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ROSELAND

Il faut que la culture résiste à tout ça.

LES CONFINÉS DE LA MUSIQUE. ÉPISODE 14

Pendant cette période pour le moins troublée et troublante, Longueur d’Ondes fait le tour des artistes et professionnels des musiques amplifiées de l’espace francophone (cœur du magazine) afin de parler de la situation et de ses conséquences… Aujourd’hui : Roseland.

La musicienne Emeline Marceau est une activiste de la scène musicale indépendante française. Que ce soit en solo sous son alias, Roseland, au sein de formations comme Génial au Japon, Pyramyd Kiwi, elle se signale par ses intentions créatives pleines de malice et d’inventivité, mais sans excès, à travers un sens de l’équilibre, de la retenue et de la nuance que beaucoup pourraient lui envier. Au travers de To save what is left, son premier album en solitaire sorti cette année, faisant suite à un premier EP Behind the walls remarqué et salué par la critique, sa musique a évolué vers de nouveaux territoires sensibles, points de convergences entre des envies d’écrire des chansons au sens pop du terme et une grande faculté à créer des climats sonores vaporeux, étranges et synthétiques. Aux côtés de musiciennes comme Léonie Pernet et Camilla Sparksss, elle symbolise cette génération de musiciennes autonomes et émancipées, qui inspirent le futur des musiques électroniques et de la pop.

 

Comment vis-tu cette période ?

Comme tout le monde, je la subis un peu mais j’essaie de la transformer en quelque chose de constructif et de créatif. Je compose tous les jours par exemple sans penser à des objectifs de rentabilité ou de productivité, je m’autorise aussi des journées un peu plus light … J’essaye de prendre du recul sur ce qui nous arrive.

Tu es où là ? Toute seule ?

Je suis confinée dans mon échoppe bordelaise avec mon copain et notre chat. La rue est calme, c’est chouette, on aimerait juste avoir un petit bout de jardin pour laisser rentrer le soleil et s’aérer un peu, mais on n’est pas les plus à plaindre !

Ce qu’on vit là, ce virus qui se propage à la vitesse de la lumière et qui met le monde KO, c’était quelque chose de prévisible pour toi ?

Pas du tout, je ne l’ai pas vu venir un instant. C’est quand ce genre de choses te tombe dessus que l’on se rend compte que l’humain n’est pas invincible, qu’on reste tous vulnérables, et que si un maillon de la chaîne s’effondre, cela peut vite avoir une incidence et des conséquences sur tout le reste. On se doit donc d’être solidaires et unis dans ce genre de période et oublier un peu sa petite personne…

Pendant cette période, tu as continué à jouer et à composer, est-ce que ta musique a été changée/influencée par ce qui se passe dehors ?

Mon album s’appelle To save what is left et il est sorti fin mars, en plein début de confinement ! C’est un titre qui pourra donc avoir une résonance un peu particulière dans le contexte actuel où l’on ne sait pas ce qu’il va ressortir de toute cette période ; je le trouve très à propos au regard de la situation que l’on vit, même si ce n’était pas du tout l’idée de départ… Après, globalement, je n’ai pas changé ma manière d’écrire ou de composer ces jours-ci, quoiqu’il y aura peut être une ou deux futures chansons qui parleront encore davantage de repli sur soi, ou qui aborderont peut-être des thèmes un peu post-apocalyptiques… On verra bien ! Mais c’est vrai qu’en ce moment, c’est difficile de ne pas se sentir aspiré par cette ambiance anxiogène.

Est-ce que vous répétez à distance ?

J’ai la chance que mon compagnon, avec qui je vis, Benjamin Mandeau, soit aussi le claviériste de Roseland sur scène ; on fait régulièrement des concerts en duo, donc le confinement ne freine pas vraiment nos temps de répétition, car on est bien équipés en matériel son à la maison. On en profite pour répéter ensemble le live, peaufiner le set up, améliorer des choses techniques, tester des choses, etc. Avant le confinement, nous préparions un set à trois musiciens pour les futurs concerts. Norbert Labrousse, le batteur, n’est pas confiné avec nous, donc on se réunira tous les trois après le confinement. Au final, chacun bosse un peu de son côté, nos relations ne sont pas stoppées pour autant.

Tu angoisses de ne plus faire de live ?

Oui, un peu. C’est toujours triste de sortir des chansons sans pouvoir les défendre sur scène car ça laisse une sorte de sensation d’inachèvement. C’est un peu comme si tu écrivais une dissertation et qu’on t’enlevait le temps que tu avais à disposition pour écrire ta conclusion : c’est frustrant ! Mais le live me manque aussi et surtout parce qu’il permet de me confronter directement au public, de savoir vraiment ce qu’il ressent face aux chansons ; c’est toujours plus vivant et direct de saisir en concert tout ce qui définit un artiste, plutôt que derrière un écran, une plateforme de streaming, où les rapports sont beaucoup plus distancés. Mais d’un autre côté, heureusement, qu’on a justement d’autres biais de diffusion – et ces canaux numériques notamment – pour faire découvrir la musique quand tous les rideaux de l’industrie musicale (distributeurs, salles, disquaires,…) sont fermés.

 

 

Est-ce que tes concerts ont été annulés ? Comment as-tu rebondi ? Comment envisages-tu tes prochains concerts ?

Oui, plusieurs concerts de Roseland ont été annulés, dont 2 releases party, ainsi que toute une tournée italienne qu’on devait faire avec mon autre projet, Génial au Japon. J’ai accusé un peu le coup… mais je relativise, vu l’ampleur de la crise, en me disant qu’on est tous dans l’impasse et qu’il va falloir être patient et coopératif pour le bien commun. J’ai rebondi avec les moyens du bord au départ, en proposant un concert de Roseland en direct depuis notre salon pour fêter la sortie de l’album, ça a plutôt bien marché, on a eu des supers retours ; ça fait chaud au cœur de voir que les gens continuent de nous suivre, on se sent moins seul. Pour les prochains concerts, c’est encore un peu flou, on a réussi à reporter certaines dates à l’automne, mais la promotion du disque ne sera pas optimum.

Ça te fait réfléchir différemment ? Est-ce que tu vois les choses sous un autre angle désormais ?

Parfois je me dis qu’il n’est pas forcément bon de prévoir des choses sur le long terme car la vie est faite de surprises, d’aléas qu’on ne peut contrôler et qui peuvent nous laisser démunis. D’un autre côté, j’ai toujours eu cet optimisme latent – mais peut-être naïf – qui me fait penser que, de tout temps, on a réussi à s’adapter et qu’on continuera toujours à trouver des solutions pour surmonter ce qui arrive. En tout cas, cette crise permettra de remettre certaines choses en perspective, de nous interroger peut-être aussi sur certains de nos fondements, et imaginer, pourquoi pas, de nouvelles façons d’organiser ou d’adapter la société.

T’as pas eu envie de tout lâcher ?

Professionnellement et artistiquement parlant, c’est sûr qu’on peut avoir l’impression que tout s’envole, surtout pour des artistes comme moi, en développement et sans grande notoriété, pour qui chaque date de concert trouvée, chaque article de presse obtenu, chaque album vendu, représentent des vecteurs importants et primordiaux de la réussite professionnelle du projet. Alors c’est évidemment décourageant quand tout s’arrête, mais il faut continuer à croire un minimum à ce que l’on fait, donner à son art assez d’importance pour justifier qu’on s’y intéresse tout de même… tôt ou tard ! Alors au contraire, j’ai envie de m’accrocher encore plus. Et puis, surtout, il faut que la musique et la culture en général résistent à tout ça, car elles sont indispensables à l’élévation de l’esprit, l’épanouissement personnel, la construction mentale, etc. On a toujours besoin !

Tu crois que tout cela aura un impact durable par la suite, est-ce que la prise de conscience sera suivie d’actes pour minimiser les risques futurs voire les anticiper, ou on reviendra dans le monde que l’on connaîat parce que l’argent plus fort que tout ?

Je suis partagée entre espoir et fatalisme. Oui, il y aura toujours des gens pour appuyer et diffuser cette prise de conscience et la concrétiser par des actes innovants et fédérateurs, qui – j’espère – finiront par porter leurs fruits économiquement, écologiquement, socialement… Mais d’un autre côté, les lobbys financiers si importants et la classe politique, si majoritairement corrompue et avide de pouvoir, ne me font pas forcément envisager un avenir très radieux. C’est là toute la tristesse induite par certaines gestions de crise : avoir l’indécence de privilégier l’argent à l’humain alors que la question de ce choix ne devrait même pas se poser.

L’industrie de la musique est paralysée, quels qu’en soit ses composants et quelle que soit la taille des acteurs qui la composent. Tu penses que tout va repartir comme avant, petit à petit, ou au contraire il va falloir repenser certaines choses ?

Oui, les grosses machines vont s’en remettre, mais les plus petites structures risquent d’accuser le coup et peut-être même de fermer, si bien que le fossé entre la culture populaire et la culture indé risque de se creuser davantage, et uniformiser encore plus le paysage musical. Il faut que tout le monde s’entraide et soit solidaire.

Si tu pouvais faire un vœu pour demain ?

Se retrouver dans les rues, les bars, les salles, les restos, en retrouvant des échanges avec une bonne dose de bienveillance dans tout ça !

Ta playlist confinement : 5 titres.

Ryuichi Sakamoto “Merry Christmas Mr Lawrence » (sa version au piano sur l’album Playing the piano)

Foxwarren “To Be”

Idles “Colossus”

Sorry “In Unison”

Kate Bush “Running up that hill”

 

Propos recueillis par LAURENT THORE

 

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