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LAST TRAIN

LAST TRAIN © Guendalina Flamini

Sur le bon rail

À l’heure du jugement dernier que peut constituer un second disque, Last Train affirme son identité dans un rock libre de toute contrainte. En résulte un son brut et intime contrant les logiques subversives qui font de la musique un produit. Ces quatre gamins ont le feu sacré et leur destin en main…

Il faut rappeler quels éléments auront, ces dernières années, participé à faire le buzz autour d’un petit groupe de rockeurs venu de la cambrousse mulhousienne, les corps et l’esprit en pleine évolution vers l’âge de fer, ou ce passage de l’enfant à l’adulte… Marquant Bercy au fer chaud et l’Histoire lors d’une première partie à l’invitation de Johnny Hallyday en 2016, ces derniers auront depuis muté au travers des différentes strates du secteur musical. Engrangeant assez de pognon en tournant aux quatre coins du monde à une cadence infernale (300 concerts en trois ans, voir LO N°81), Last Train a fait le choix de l’indépendance artistique et promotionnelle, s’offrant la possibilité d’enregistrer et de produire un disque comme il l’entendait, misant sur la prise live avant tout. Jean-Noël, leader du quatuor, explique cette intention : « La différence avec notre premier album Weathering est que l’on a pu faire des constats, ce disque avait été quasiment subi car on était en construction. Il s’était ainsi fait à partir d’EP’s alors qu’on était en pleine tournée et enregistrement… Pour ce second, tout a été pensé en amont, du premier coup de caisse claire à la dernière harmonie de corde. On a d’abord enregistré le squelette du disque en Norvège et n’avons procédé que par des prises d’enregistrement live. Rémi Gettliffe a fait un boulot super sur la production du disque ; on lui doit beaucoup. L’indépendance, ça nous décrit certes, mais sans lui, le résultat n’aurait pas été le même. »

Une situation acoustique préférentielle que l’on devine aisément pour cette bande qui s’est construite par et dans l’expérience scénique. Julien, guitariste au cœur passionné, précise comment le groupe s’est approprié ces lieux norvégiens. « On a tenté de nouvelles choses, la salle d’enregistrement était plus grande que ce que nous avions connu. On a pu ainsi espacer les amplis et la batterie pour avoir quelque chose de plus propre et amoindrir les diaphonies. Après, ce fut du classique, on jouait à trois mètres les uns des autres et Jean-Noël faisait face à un ampli tourné vers la batterie afin d’avoir du larsen. » Tim, le batteur, conclue sur la matière sonore expulsée durant cette expérience : « Certains morceaux du premier disque avaient trois ans d’écart avec leur production, là tout s’est fait en un an. L’homogénéité de notre musique s’en ressent clairement. »

 

Last Train © Guendalina Flamini

 

Une première étape qui aura donc cimenté les arcanes d’un nouveau disque dans une liberté d’action peu commune à l’industrie musicale, et qui au-delà, aura permis aux Alsaciens de rompre avec une monotonie pesante depuis l’arrêt de leur dernière tournée, bien que leurs activités annexes soient légion (gestion de label, boîte de tournée, réalisations vidéo et graphique). Mais « rien de tel ne possède le goût de la sueur qui coule sur des lèvres déshydratées par l’effort », ainsi que l’exprime de nouveau Julien, gratteur de cordes frénétique, dont les doigts lacérés baignent régulièrement dans l’hémoglobine à la fin d’un concert : « Ce fut une période en effet difficile où l’on est passé par tous les états d’âme car après trois/quatre ans de tournée et de promo, tout s’est arrêté soudain. On pensait pouvoir profiter de ce repos, mais l’ennui arrive vite. On a vécu le même truc que Rocky Balboa qui finit par retourner à la boxe car sans, sa vie ne fait plus sens. » Un certain spleen a ainsi étiré la construction de ce second LP, un mal pour un bien qui aura permis à ces jeunes adultes de sonder leurs âmes et d’en retirer une matière autrement plus introspective, tel que le confirme Jean-Noël : « On a vécu des trucs intenses, très tôt, avec de très grands hauts et des bas tout aussi profonds, cette dynamique de vie a construit ce disque, il est ainsi plus introspectif et certainement plus mélancolique. Ce n’est clairement pas l’album de la teuf… »

Plus matures donc, toujours aussi passionnés, et tournés vers un devenir gargarisant, bien du chemin a été accompli par ces bambins rockeurs, pour qui le temps n’est pas que de l’argent, ainsi que le confirme le tracklisting du disque, avec ses titres en forme de montagnes russes frôlant les huit minutes. Le leader de la bande termine ainsi par cette conclusion d’une sagesse éloquente : « Notre objectif est de faire ressentir à l’auditeur ce que nous vivons quand on fait du rock. Actuellement, tout va très vite avec les stories sur Instagram ou les séries en six épisodes. Mais je pense clairement qu’il faut du temps pour pouvoir procurer des émotions aux gens. » Si le train n’attend jamais les retardataires et qu’il part toujours à l’heure, gage qu’il sifflera encore une troisième fois, comme dans l’ancien monde… Last Train nous en rappelle clairement certains effluves, faisant de ce The Big Picture une madeleine de Proust à savourer autrement que sur le pouce.

The Big Picture - Cold Fame Records

The Big Picture – Cold Fame Records

 

Une ouverture d’un riff pachidermique et Last Train indique immédiatement de quel bois il se chauffe. Du rock lacérant les tripes et porteur d’un désir de liberté contagieux. La suite offre un panel sonore plus étendu et à la fois dans la continuité de Weathering. L’explosion sonore semble devenue quasiment réflexive dans le déploiement de cette musique généreuse ; quelques arrangements avec des instruments classiques servis par l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, de l’épure avec du piano, une voix qui prend de l’ampleur et des couleurs étonnantes, The Big Picture dresse le portrait d’un rock en devenir car il ne regarde ni devant ni derrière lui, mais simplement l’instant.

 

Last Train © Sébastien Serrus

 

JULIEN NAÏT-BOUDA

Photos : GUENDALINA FLAMINI SÉBASTIEN SERRUS

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