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MATTHIEU MALON

Matthieu Malon, Petit Bain, Paris, 13/10/2018 ©Marion Ruszniewski

 

Il est aujourd’hui nécessaire de rendre à Matthieu Malon ce qui lui appartient : les galons de commandeur contemporain de la pop et du rock en français. Voilà des années maintenant que son travail nous touche, nous bouleverse, parce que sans triche, sans frime. Qu’il s’exprime électrique, synthétique, en solitaire ou en groupe, le compositeur, par ses mots crus ou tendres, permet l’identification. Chaque album de Matthieu parle un peu de nous…

Son dernier né, Le pas de côté (Monopsone), est ce que l’auditeur entendra de plus fragile et pop cette année. De plus libre et intime. Loin du commerce, loin des attentes, avec le plaisir simple de composer des chansons-passions, donc universelles.

Le pas de côté est un disque que tu as composé… dans un train ! Peux-tu revenir sur cette envie d’un album en solitaire, et comment as-tu écrit ces chansons entre Orléans et Paris ?
Je voyage quatre jours par semaine pour le travail, cela fait douze ans que ça dure et j’en ai ma claque. J’ai un peu épuisé tous les trucs qui occupent le temps et l’esprit pendant ces quelques trois heures de transport quotidien. Depuis quelques années, j’écris la majorité de mes textes pendant ce moment de temps libre, mais j’avais envie de pousser l’expérience un peu plus loin en composant aussi de la musique. Avec mon iPad et un petit clavier, je me suis mis à bidouiller l’été dernier, sans vraiment d’idées en tête, juste pour le plaisir. Il n’y avait aucun enjeu, pas d’album en vue. Et puis j’ai assez vite eu beaucoup de choses dont j’étais très content, l’idée d’un album a pris beaucoup de place dans ma tête et j’ai ensuite bouclé les textes en quelques semaines. Trois mois plus tard, le disque était terminé. En fait, le disque m’a pris par surprise et c’est une jolie expérience.

Après l’album désamour, en 2017, tu disais avoir fait le tour de la langue française. Qu’est-ce qui te conduisit à vouloir à nouveau travailler des mots français ?
Quand les musiques ont été bien abouties, j’ai senti que l’univers, ce que ces notes racontaient, n’avait rien à voir avec mes autres projets (laudanum notamment) et que le français trouverait vraiment sa place sur ces mélodies. J’avais pourtant dit que j’allais faire un break du français, mais finalement le robinet n’était pas complètement refermé, ça coulait encore et il a suffi de s’y mettre quelques soirs dans le train pour que tout jaillisse vraiment de manière très instinctive, directe. Une fois les thèmes rassemblés, je savais de quoi j’allais parler et tout a été très facile, l’intégralité des paroles a été bouclée en quelques jours.

Tu abordes ici la thématique du souvenir. D’où provient le déclic, ou l’envie, de mettre en musique les images du passé, de ton passé ?
L’envie et le déclic, c’est la prise de recul nécessaire qu’il a fallu prendre par rapport aux trois précédents disques. J’avais fait le tour de la question amoureuse, de ses déboires principalement. Je sentais qu’il fallait passer à autre chose, parler d’autre chose. Je n’ai jamais aimé écrire des textes très imagés, j’ai un besoin intrinsèque de raconter des histoires, donc les souvenirs étaient un terrain tout trouvé. Cela faisait un moment que j’avais quelques idées dans un coin (le vélo, le billet, la boite de nuit…) et ce fut une vraie récréation d’en parler, tout en étant quand même très libérateur. Il fallait que ça sorte.

Tu parles ici du passé sans la moindre nostalgie. Ce ne sont que des faits. Comment, en tant qu’individu et compositeur, différencierais-tu le souvenir de la nostalgie ?
Je crois qu’on touche là à l’ambiguïté que j’aime laisser planer dans toutes mes chansons, depuis plusieurs disques : raconter des choses très personnelles mais avec de la distance ; peut-être un peu par pudeur mais aussi pour que ce ne soit pas si personnel, finalement. C’est ma façon de faire en sorte que ces histoires soient un peu universelles, car je veux qu’elles parlent à celui qui les écoute.

Le pas de côté me semble imprévu (tu envisageais, à ce moment-là je crois, un nouveau laudanum). Comment un perfectionniste tel que toi gère-t-il l’instantanéité ?
Il a bien fallu se rendre à l’évidence que je ne pouvais pas laisser ces mélodies parfaites dans un coin, le monde devait les entendre (rire). Donc j’ai courbé l’échine et je me suis laissé faire : « Ok ok on va le faire ce disque d’accord » (!!). Non, sans blagues, j’ai foncé bille en tête, j’ai senti ce besoin irrépressible de le faire, de le faire vite, mais de le faire bien (j’ai quand même peaufiné).

Chacun de tes disques ressemble à un pied-de-nez au précédent. Ce qui, pour moi, correspond à ton éternel enthousiasme face à la musique, et au besoin de te surprendre. Envisages-tu ainsi ton parcours musical ?
Je ne me pose pas trop de questions, enfin si quand même un minimum, mais chaque disque est forcément en réaction au précédent, à ce que j’ai pu aimer, à ce qui finalement n’est plus si évident et réussi que je le pensais au moment de le sortir. Donc je cherche à pousser des idées plus loin, ou à tester d’autres angles d’écriture. Ou au contraire à abandonner un chemin qui ne fonctionne pas, ou que j’ai déjà trop emprunté. Ce dernier disque, puisqu’il n’était pas prévu, est un peu différent des autres puisque justement il n’est pas venu directement en réaction à désamour (en tous cas pour la musique). Je suis bien mal placé pour analyser mon parcours en fait, j’écris, j’aime ça, de plus en plus je crois, donc je continue.

Le titre Le pas de côté signifie-t-il que tu places cet album un peu à part dans ta discographie ?
Oui, voilà exactement ce dont je parlais juste avant. Et puis en même temps, plus je l’écoute et plus je lui trouve aussi des accointances avec Froids, mon premier disque en français paru en 2000. Sûrement pour l’univers minimal électro et pour les thèmes. Un titre comme “Respire” par exemple est assez proche de “L’espace d’un instant”, une chanson dont je suis toujours très fier vingt ans plus tard.

Et maintenant, un nouveau laudanum ? Peux-tu en dire quelques mots ?
Je travaille dessus depuis un an mais de manière très sporadique. J’avais prévu de m’y mettre en septembre dernier, et finalement il y a eu ce pas de côté. Alors je reprends juste les choses depuis quelques semaines et je sens que ça va être long, J’ai plein d’idées, plein d’envies, et il va falloir tout concrétiser, notamment les collaborations. J’ai envie d’un disque ambitieux et très travaillé. Donc il prendra le temps qu’il faudra. J’ai déjà une trentaine de bouts d’idées, certaines plus avancées que d’autres. Le ton général est très proche des deux premiers (System:on en 2002, your place & time will be mine en 2006), assez loin du troisième (Decades, 2009). Je sample à nouveau pas mal. Et je ressors les boites à rythme vintage.

Que devient le deuxième album de Breaking The Wave, le groupe que tu formes avec Cédric Baud de Air Wave ? Skin is The Limit sortira-t-il bientôt ?
Le disque est au stade du mixage après une pause nécessaire depuis quelques mois (on avait Cédric et moi d’autres projets). Il devrait finalement sortir en fin d’année. On va communiquer dans les prochains mois sur le sujet.

Quel est maintenant ton regard, en 2019, sur l’industrie musicale française. Vois-tu des changements depuis 2017 ? Tu exerces une activité en plus de la musique, et tu dis souvent que ce job te permet d’enregistrer et sortir des albums sans avoir à te questionner sur le revenu. Est-ce pour toi un gage de liberté artistique ?
Totalement, tout comme de travailler avec un label comme Monopsone qui me laisse carte blanche pour écrire et composer ce que j’ai envie. À 25 ans, je ne t’aurais pas répondu la même chose (et puis l’industrie musicale n’avait pas la même tête), j’aurais voulu me lever le matin en ne pensant qu’à faire de la musique. Un ami m’a dit récemment : « Tu ne ferais pas de la bonne musique si tu avais tout ton temps pour la faire, c’est cette pression du quotidien qui te pousse à être créatif ». Je crois qu’il a raison, finalement c’est une méthode qui me convient. Après, je ne dis pas que je n’aimerais pas me lever le matin en ne pensant qu’à allumer mes machines en buvant un café…

En tant qu’auditeur compulsif, quels sont tes derniers coups de cœur ? Un mot sur le Brutal de Camilla Sparkss et le Crushing de Julia Jacklin ?
Pas mal de jolies choses depuis ce début d’année et quelques disques incontournables déjà : le dernier disque d’Apparat (LP5) est la plus belle chose parue pour le moment en 2019 et c’est sans doute son meilleur disque, il est incroyable. Côté français j’aime aussi beaucoup le dernier Bertrand Belin (Persona, son meilleur) et le deuxième album de Malik Djoudi (qu’il faut aussi voir absolument sur scène). Je découvre récemment le It It Anita et c’est une vraie claque. Le Nick Waterhouse tourne pas mal à la maison, idem pour le Snapped Ankles dans un autre genre. Le Thomas Joseph sorti en début d’année chez Herzfeld est une pure merveille. J’aime aussi beaucoup le dernier album de Watine. Enfin, mes chouchous sur scène The Psychotic Monks viennent de sortir leur nouvel album, c’est un disque incroyable et je pense qu’ils méritent haut la main le statut de « meilleur groupe français en live » actuellement. Concernant Camilla Sparkss, après plusieurs écoutes, je crois que ce n’est pas un disque pour moi. J’aime beaucoup de choses, notamment vocales, mais je m’y retrouve moins que dans son autre projet (Peter Kernel). L’album de Julia Jacklin quant à lui est un vrai « grower ». Je suis passé de « ah c’est pas mal » à « quelle beauté ». C’est d’une justesse à couper le souffle (y compris au niveau des paroles qui me parlent beaucoup).

Le dernier album des Chemical Brothers vient de sortir. Le groupe est une référence pour toi. As-tu écouté No Geography ?
Bien sûr, il tourne beaucoup dans la voiture ou dans le train. Un chouette disque pour voyager. Je trouve qu’ils reviennent à des choses des deux premiers albums, c’est très intéressant car pas une redite, plutôt justement l’envie de pousser des nouvelles idées mais avec le son fondamental et originel des Chemical. Sans être parfait de bout en bout, c’est un très bon disque qui cache quelques dingueries de production que je passe en boucle pour essayer de comprendre comment ils ont fait.

Le pas de côté – Monopsone

JEAN THOORIS
Photo : MARION RUSZNIEWSKI

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