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MADAME RAP

Eloïse Bouton / Madame Rap ©P-Mod

Balance ton corps

 

Éloïse Bouton est auteure, journaliste, militante féministe. Depuis 2015, elle porte à bout de bras Madame Rap, « premier média en France dédié aux femmes dans le hip-hop. » Dans une industrie de la presse en crise, elle œuvre pour se démarquer. Travail titanesque, fait de bouts de ficelles et de porte-monnaie vide, elle nous en dit davantage…

 

UN MEDIA PRÉCAIRE

Le jour de notre entretien, Éloïse Bouton est en pleine campagne de financement participatif. « Le milieu de la presse est en crise, et je ne reçois aucune subvention. Je n’ai pas d’autre choix que d’être bénévole à plein temps, toute seule. » Elle espère récolter l’argent suffisant pour refaire de fond en comble le site Internet qui accueille Madame Rap. « Ce que je cherche à construire, c’est une plateforme internationale, que je souhaite bilingue (l’anglais), voire trilingue (l’espagnol). Ce n’est pas à cause de la précarité que Madame Rap est un média numérique. C’est un choix assumé. Le papier ne permet pas la même interactivité. »

LES RAPPEUSES FRANCOS À TRAVERS LE MONDE

« C’est partout dans le monde que des femmes rappent. En Amérique latine, en Europe, en Afrique, partout… » Éloïse Bouton affirme sa démarche : mettre en lumière les femmes qui rappent. « Les stigmates et les discriminations auxquels les femmes font face sont les mêmes partout. N’importe où dans le monde, une femme, comme un homme, peut accéder à l’écriture – et donc se lancer dans le rap. Avec Madame Rap, j’ai recensé deux cent cinquante rappeuses professionnelles actives en Afrique – c’est une chose que les gens n’imaginent pas. Dans certaines régions de la planète, des femmes se trouvent au carrefour de plusieurs discriminations et cela nourrit – forcément – leurs créations. En France, Madame Rap a recensé soixante-dix rappeuses professionnelles actives. Ça non plus, personne ne l’imagine. » La poussant à nous parler des rappeuses francophones, Éloïse Bouton admet davantage connaître le milieu anglophone. « Le rap anglophone est celui que j’écoute le plus. Je suis venue au rap francophone sur le tard. Je pense aux inévitables Diam’s, Keny Arkana, Casey, Roll.k… Entre cette dernière qui s’autoproclamait comme une ”superlopsa” et Casey qui refuse d’être assignée à un genre quelconque, on ressent la diversité qu’il existe dans le monde des rappeuses francophones. De mémoire, plusieurs choses me viennent sur les rappeuses francophones. Une scène underground s’est structurée au Québec. En Belgique et en Suisse, on trouve des scènes riches. À travers l’Afrique, je dirais que le Sénégal se démarque. Mais je n’ai pas encore suffisamment pris le sujet à bras-le-corps pour être plus précise. »

Eloïse Bouton / Madame Rap ©P-Mod

DESPENTES, ARKANA, LEDUC : UN MÊME STYLO

« En France, les rappeuses sont confrontées à une culture littéraire, lourde. Le rapport aux textes et aux mots est poussé. Les rappeuses anglophones ne connaissent pas cela. Les rappeurs aussi sont stigmatisés. Leur qualité d’auteur n’est pas reconnue. Il n’y a que pour certains cas, des rappeurs ”intellectuels” comme Oxmo Puccino ou Abd al Malik, que la frontière s’effrite. Pourtant, le rap est résolument une double-pratique : musicale et littéraire. Gil Scott-Heron, The Last Poets sont des artistes que j’ai beaucoup écoutés. Ils ont inventé quelque chose. Aujourd’hui, le slam me frustre, il manque quelque chose. Le rap se démarque car c’est du 50/50 entre musique et écriture. » Avant d’asséner, fièrement : « Violette Leduc, Virginie Despentes, Keny Arkana : toutes trois font face à cette même aventure qu’est l’écriture. Cette même mise en danger et à nue. Cette même résistance. »

 L’ÉCRASANT  PATRIARCAT

« Ce que Madame Rap cherche, c’est de rendre visibles les minorés, les non-entendus, ceux que l’on n’écoute pas ; mettre en lumière la pluralité des humains. C’est comme ça que l’on œuvre pour conquérir l’égalité des conditions. Il s’agit de rééquilibrer, de combler l’asymétrie qu’il y a entre la norme dominante et les atypiques. Créer de nouveaux modèles et de nouveaux repères avec lesquels les gens vont grandir et s’éduquer. » Le monde du rap est-il un cas particulier ? « Le patriarcat est présent insidieusement partout dans notre société. Il faut ouvrir les milieux historiquement masculins à toutes. » Avant d’affirmer : « Être une femme, je ne sais pas ce que c’est. Moi je suis  une autrice. Ce mot existe, il était employé au XVIIIè siècle. Écrire revient à se mettre en danger. On se retrouve seule, personne en face de soi. Cet acte est solitaire. Jamais on ne se retrouve autant à poil… » Quels livres a-t-elle en tête ? « Des livres qui m’ont marquée, il y en a beaucoup. La pensée straight ou Le corps lesbien de Monique Wittig, par exemple. Sur l’hétérosexualité, la norme dominante, la culture queer. » Avant de se rappeler : « J’avais treize ans. Par hasard, La Bâtarde de Violette Le Duc a fini entre mes mains. Ça m’a changée. Cette femme parlait du corps comme un homme, elle nourrissait son langage d’images fortes et de mots crus. » Une rappeuse avant l’heure.

>> Site de Madame Rap

Eloïse Bouton vous propose de prendre ce chemin… 11 titres d’introduction aux rappeuses francophones.

  • Sarahmée et Marie-Gold – Jamais trop tard (Québec)
  • Zara Moussa – Femme objet (Niger)
  • KT Gorique – Outta Road (Suisse)
  • Lady B – Afrik Politik (Cameroun)
  • PunchLyn – Eldorado (France)
  • Milly Parkeur – Agbana (Togo)
  • Nina Miskina – Un verre de plus (Belgique)
  • Lady Do – Libomi 2.0 (République Démocratique du Congo)
  • Le Juiice – One Way (France)
  • Fabio’AL – Yacou le Chinois (Côte d’Ivoire)
  • Sister Lessa – Je suis les deux (Guinée Conakry)
  • Féenose feat. Ami Yerewolo, Raymi T, Thaliane, Besko et Sutong Nooma – Djarabi (Burkina Faso / Mali)

Valentin CHOMIENNE

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