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KENY ARKANA

Keny Arkana ©Koria

La dynamite artisanale

 

Keny Arkana est dans les parages. Depuis plus de dix ans, la rappeuse marseillaise brûle les scènes françaises. Pour beaucoup, son nom est un franc coup de pied dans les codes du rap d’aujourd’hui. Elle nous embarque avec elle. À l’horizon, un troisième album : Exode. En route…

 

EXODE, UN ALBUM À VENIR

« L’album est en plein chantier. » La rappeuse phocéenne a les mains dans le cambouis. « Pour la première fois, je travaille tout, toute seule, depuis chez moi. J’écris, je compose, je rafistole, je m’occupe de tout. Je fais toute la matière première. Ça faisait quelques temps que je ne recevais plus d’instrus inspirantes. Je sais où je veux aller, alors j’y vais seule, comme une grande. Ce qui est étonnant, c’est qu’il sera mon premier album conçu de façon artisanale depuis chez moi et qu’il sera aussi celui le plus porté vers l’international. Je trace un chemin à deux têtes, le cul entre le terrestre et le céleste, entre les musiques urbaines et ethniques. Ce chemin est toujours double. Je marche sur une brèche, je cherche à casser les cloisons dans mes morceaux. »

Exode. Tel est le nom de cet album à venir. « Le sens est large. Cela renvoie à des tas de choses, l’exode urbain, le retour à la terre, le retour aux sources, les migrations, l’évasion, le retour vers soi. Dans ce mot, j’y place un élan de vie. D’ailleurs, le hasard fait quand même vachement bien les choses… par hasard, j’ai pris pour mon troisième album le même titre que celui qu’avait choisi Bob Marley pour son troisième album… Exodus. »

Keny Arkana ©Benjamin Pavone

 

LE TÉLESCOPE POINTE VERS SOI

« Je ne suis pas une religieuse mais je me nourris de spiritualités. Je n’ai pas forcément de rites, rituels ou pratiques régulières. Parfois, ce sont des respirations particulières, d’autres fois il m’arrive de méditer. Je cherche à creuser en moi. Lire différents Upanishad [textes fondateurs de la religion hindoue, ndlr] m’a marquée. On ne nous apprend pas à nous connaître. L’humain est un ordinateur gigantesque qui ne sait pas taper sur son propre clavier. » Pourtant, l’on pourrait croire qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies amènent à ne penser qu’à soi… « Je me méfie de ces choses-là. Je suis née dans la société de consommation. Aujourd’hui, nous arrivons dans la véritable société du spectacle. Toute intimité est refusée. Plutôt que de vivre des moments, on montre des choses. On enfile les vices comme des perles : voyeurisme, égocentrisme, égoïsme… »

 

ENGAGÉE ?

« Jamais je ne suis rentrée dans le monde de la musique. J’aime que les personnes qui me croisent n’en aient rien à faire que je sois musicienne ou femme de ménage. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir me regarder dans une glace quand j’aurai cinquante piges. » Et que fera la personne qui lui sourira dans le miroir ? « Je ne suis plus toute jeune. Je n’en sais rien mais… Je ne me vois pas rapper jusque là. Peut-être que je ferai des documentaires plus aboutis, sur les zapatistes par exemple. Pour faire passer des messages, c’est plus efficace que la musique. » Parlera-t-on encore d’elle comme d’une artiste engagée ? « Cette étiquette me gave. Elle est réductrice et caricaturale. Ce que je fais aujourd’hui, ce n’est pas du rap politique. Nombreux sont mes morceaux exclusivement introspectifs et spirituels. Ce ne sont pas des dissertations, j’ai quitté l’école à 12 ans. Je suis de la génération qui prétend faire du rap sans prendre position. J’ai des idées, claires, je les affirme mais je reste une artiste à part entière. La musique qui oublie la poésie m’ennuie mortellement. »

Keny Arkana ©Koria

 

IDENTITÉ VAGABONDE

Un père argentin, une éducation marseillaise, des voyages en pagaille. La rappeuse ne se laisse pas facilement définir. « Enfant, j’avais en tête que l’Argentine était un pays arabe. Aujourd’hui, je me trouve à mi-chemin entre Marseille et l’Amérique du Sud. Mais… je reste changeante et cosmopolite. En 2005, j’ai rencontré des Mexicains zapatistes, pour la première fois. Déjà à l’époque, je me demandais si je voulais rentrer en France… Je me sens comme une métisse, appartenant à des tas de tribus. Avant tout, je suis terrienne, humaine. Je ne m’identifie pas à des barrières douanières. Je m’identifie à mon esprit. » Quels sont ses points d’ombres ? « L’Asie. Je ne connais pas ce continent – et il me fascine. Il est sans doute le dernier à ne pas avoir coupé avec ses racines spirituelles. Et il reste des tas de lieux où je n’ai pas mis les pieds… au Moyen-Orient ou en Europe du Nord… Partout j’aimerais me produire. » Il y a tout de même un point d’équilibre pour la rappeuse : « Le monde entier est marseillais. Rien ne tuera cet esprit d’aventure, ce caractère aiguisé. Marseille est un carrefour. On y est Marseillais et Italien, Marseillais et Arabe, Marseillais et Breton, Marseillais et tout ce que tu veux. Il y a cinq ans, je disais que Marseille était la capitale de la rupture. Aujourd’hui, c’est la capitale de la fracture. Dans la même ville y’a Plus belle la vie et les jeunes types de 20 ans qui se flinguent. »

 

NOÉ le roman de Jean GionoNOÉ

Jean Giono

La Plaine, quartier marseillais fétiche de Keny Arkana. Dans Noé, Jean Giono le décrit : « C’est une place encadrée de chaque côté par deux allées d’arbres. Au printemps il y a dessus une foire. Du temps de ma jeunesse, il y avait au centre un bassin dans lequel évoluait un bateau à rames à forme de petit paquebot et pouvant contenir une dizaine d’enfants. Un feignant costumé en matelot faisait faire pour deux sous trois fois le tour du bassin, lentement, avec de longues pauses. Cela s’appelait le tour du monde. »

 

 

 

>> Site de Keny Arkana

 

Texte : Valentin Chomienne

Photos : Koria

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