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HELLFEST OPEN AIR 2018

HellFest 2018

Du 22 au 24 juin à Clisson (44)

 

Qu’importe la courte longévité face aux mastodontes hexagonaux, il n’y a que des enseignements à tirer de l’édition du festival rock/punk/metal qui s’est déroulé au cul de la fête de la musique. Démonstration.

De la nécessité de thématiser sa programmation.

En se concentrant sur les musiques rock/punk/metal, l’événement a toujours pu échapper aux mimétismes artistiques de ses confrères (les fameux groupes « squatteurs de festival » que la profession se partage). Pas de réel flagrant délit de putasserie au compteur, non plus… Rien de mieux pour alimenter le sentiment de vivre un instant rare dans l’année. Mieux : le style permet un grand écart entre revivals et élans contemporains ; idéal pour le renouvellement des générations (éternelle obsession des festivals).

Il n’empêche qu’à creuser malicieusement les niches (avec quelques beaux efforts du côté du hip-hop ou électro hybrides), et même si les concurrents de même importance sont peu nombreux, le danger est l’uniformisation de sa propre programmation… (ou l’arroseur arrosé) En effet, les groupes du genre se font vieux ; les jeunes générations peinent à se hisser au niveau de leurs aînés ; et les médias de masse – à commencer par les radios – ne laissent plus d’espace pour ces musiques pourtant hégémoniques sur les plateformes d’écoute en ligne. Comment la relève pourrait-elle donc se faire connaître ?

Si nous en avions donc déjà aperçu une grande majorité les années précédentes (le privilège de l’âge et de la récurrence), on n’a pour autant pas boudé notre plaisir devant le podium de tête de 2018 : Iron Maiden (gros décor, pas si ringards/vieux que ça du tout, excellents solos) ; Carpenter Brut (habile, massif et esthétique pour qui n’est normalement que DJ) ; et Deftones (dont la rage est encore intacte et la madeleine de Proust encore consommable). S’en suivent les éternels punkeux : Burning Heads ; Pogo Car Crash Control ; Svinkels ; Seven Hate ; et Uncommonmenfrommars. Rien à redire, si ce n’est que l’exercice porte évidemment plus sur le défoulement que l’émotion.

Et puis, bien sûr, il y a les espoirs qui font pchittt : Hollywood Vampires (super-groupe pas-ouf-sympatoche, formé avec Alice Cooper, un Johnny Depp amaigri et un peu cabot, plus le guitariste d’Aerosmith) ; Body Count (tristement homogène, manquant de variations/breaks/montées) ; Limp Bizkit (qui s’est cru DJ pour un anniversaire) ; et Nightwish (sans aucune aspérité)…

Reste le cas troublant de Marilyn Manson : si l’interprétation du best-of fut intense et enchaînée avec une troupe de femmes topless en arrière-scène (dont certaines chopées dans le public), le temps d’attente entre les morceaux, les six micros jetés au sol et la fin rêche ni-au-revoir-ni-rien laissent dubitatif.

De l’importance de travailler sa scénographie.

Une des forces du festival se situe surtout en dehors de ses scènes. Le décor, tout d’abord, visible et visitable toute l’année, permettant de prolonger la “marque“ au-delà des 3 seuls jours : statues géantes, conteneurs reconvertis en boutique, flammes qui battent en rythme, semi-forêt, poubelles en forme de crane, bancs en forme d’os, brumisateurs customisés (une nouveauté), piscine dans l’espace presse… Rares sont ceux qui ont à ce point compris qu’investir dans le domaine était autant d’économies dans la communication traditionnelle, grâce aux nombreuses photos des festivaliers postées sur les réseaux sociaux… ; que “l’expérience festivalière“, concept récent et rabâché pourtant si cher aux directeurs, commençait ici. Et qu’elle permet d’éviter le procès d’intention pour cynisme en alignant des tentes blanches copiées-collées.

La division des espaces, ensuite. En multipliant les zones et les écrans, c’est autant de publics différents qui peuvent cohabiter : fous furieux des scènes extrêmes, troupeau de chaises pliantes, amateurs de Muscadet (sans être folle, la cuvée 2018 était meilleure que l’année précédente) ou encore badauds visitant le zoo rock… Le tout, en évitant la cohue.

Et puis, cette répartition par zone permet également de proposer un village partenaire additionnel et cohérent, où les stands ne se résument pas qu’à la simple vitrine (recharge de portables, barbier, tatouages, vente de disques et de vêtements, bars thématiques…) et dont les horaires permettent de prolonger la nuit jusqu’à la réouverture matinale du site principal.

Facile, direz-vous, parce que le style musical peut dépasser son cadre pour devenir un art de vivre ? Allez dire ça aux autres festivals ! CQFD.

N’empêche qu’ici le détail est roi (ex : les logos partenaires adaptés en version métal) et déborde au-delà des limites du festival (rond-point, magasins…). Pas étonnant que tout le monde se prenne au jeu en adoptant le dress-code, des festivaliers jusqu’aux journalistes. Jusqu’à assumer ses rondeurs et imperfections, sa blancheur, ses tatouages et coiffures excentriques, voire sa sexualité… Le décor tantôt iconique, tantôt hilare, annonce la couleur : bienvenue chez les freaks, les décalés, les rebelles. Personne ne vous jugera.

 

De l’utilité de s’appuyer sur le tissu local.

C’est l’un des grands oubliés des grosses productions jouant les saute-moutons entre les pays : pas de festival sans territoire. C’est en utilisant les forces vives du coin (qu’ils soient bénévoles, prestataires, commerçants…) que le sentiment de fierté et d’appartenance irradiera autrui. Exemples avec l’éventail des restaurations proposées (poulet thaï, longe de porc, moules, épaule d’agneau, nouilles vegan…) ou le service du petit-déjeuner du camping, assuré par la MJC du coin dans le but de financer le futur voyage scolaire. D’un côté ou de l’autre, comment ne pas se sentir concerné ? Ni ne pas transmettre cette envie aux amis et nouvelles générations ?

D’autant que la thématique a permis de conserver une image (réelle ou fantasmée) d’enfant terrible, prétexte au détournement et à l’anti-communication institutionnelle, renforçant les échanges et le lâcher-prise altruiste (nombreux sont les verres offerts entre festivaliers, les mains tendues pour relever quelqu’un à terre, les partages de produits de nécessité dans le camping…). N’allez pas chercher plus loin : quand on entend « Je viens d’abord pour l’ambiance », c’est que le pari est en partie gagné et que la proximité créée pardonne(ra) les années en demi-teinte.

Qu’on se le dise : le HellFest raconte une histoire (au prisme évidemment déformant selon les récepteurs). Et si l’événement a su se remettre en cause et ne pas reproduire certaines recettes, c’est son ancien statut d’outsider et la jeunesse, l’audace de son équipe qui ont permis – à contrario de certains événements-leaders – de se remettre en question en cassant les codes. Preuve encore cette année, où le festival a déjà annoncé 5 premiers noms (Manowar, Slayer, Mass Hysteria, Dropkick Murphys et Carcass) avec la possibilité dès maintenant d’acheter son aller-retour pour l’édition 2019…

On serait tenté de dire aux concurrents et confrères de venir prendre quelques leçons… Avant rapidement de se raviser, de peur que l’uniformisation n’entame un nouveau cycle. Plus que con : ce serait un enfer.

 

>> Site du Hellfest Open Air Festival

 

 

Texte : Samuel Degasne

Photos : Guendalina Flamini

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