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FEU ! CHATTERTON

Feu ! Chatterton, entrevue à la bibliothèque du Musée Guimet

Lumineux refuge

Après la claque textuelle d’Ici le jour (a tout enseveli), le quintette rock revient avec un second album rayonnant. Ciselée avec la précision d’un orfèvre, chaque phrase est émaillée d’une poésie solaire. Ici, la musique flirte avec la littérature, sans que jamais l’une ne prenne le pas sur l’autre.

Le poète sait mettre les mots sur l’indicible. La chanson, en alliant textes et mélodie, a le même pouvoir. C’est animés de cette conviction que les cinq musiciens de Feu ! Chatterton, à peine sortis de leur dernière tournée marathon, ont composé leur nouveau disque, L’oiseleur. Ils ont réussi un tour de force : évoquer l’absence et la perte avec légèreté, dans un équilibre parfait épuré et foisonnant. Pour comprendre comment le groupe s’est nourri de littérature et de poésie pour construire ses morceaux, nous nous sommes réfugiés quelques instants dans la bibliothèque du Musée Guimet, ce lieu hors du temps où les livres sont à l’honneur. Arthur Teboul, auteur et chanteur, Raphaël de Pressigny, batteur, ont répondu à nos questions.

 

Quelles lectures ont accompagné la création de cet album ?

Arthur : Pour écrire les textes, je me suis isolé trois semaines à Naples avec une grande valise remplie de livres, parmi lesquels Alcools de Guillaume Apollinaire et Le marteau sans maître, de René Char. S’abstraire du monde pour écrire de cette façon fut à la fois une grande chance et un devoir. Un privilège et un effort dont je peux m’enorgueillir, car il exige de la discipline. Cette prise de conscience, ces réflexions menées à Naples se sont peu à peu traduites par l’idée qu’il est important de mener un combat pour la lenteur. Aujourd’hui, tout va trop vite. Le temps nous est volé. Comment lutter contre le tapage, la violence et le bruit de notre société, mais en utilisant d’autres armes que celles de l’ennemi ? Nous avons l’immense chance de faire des chansons : c’est une façon de lutter sans fracas. Elles sont notre arme contre l’impuissance face à la furie de l’époque. Pendant ce travail, j’étais accompagné par les poètes. J’ai trouvé chez eux une forme méticuleuse d’artisanat et d’héroïsme. Ils proposent une vision alternative du monde, qui progresse à un rythme singulier, parallèle à celui du quotidien. Au-delà. Parvenir à cette forme d’épure, de tranquillité, exige un immense travail. C’est une quête de sagesse.

Trois de vos titres sont directement inspirés de poètes : “Zone libre” est une adaptation du Nil d’Aragon, “Le départ” reprend des mots de L’Aventure d’Éluard, et “Souvenirs” cite des mots de L’Adieu d’Apollinaire. Quels échos ces trois poèmes ont-ils avec notre époque ?

Arthur : Dans les jeux de hasard, il arrive que l’on tire une carte qui nous ressemble. Il y a quelque chose de cet ordre avec la poésie. Les poètes procurent des joies profondes et intenses parce que l’on reconnaît dans ce qu’ils écrivent des instants ou des émotions que l’on a déjà vécus, mais que l’on était incapable d’exprimer clairement jusque-là. J’ai eu un grand frisson en lisant L’Adieu. Apollinaire met des mots sur le sentiment que j’éprouve lorsque je songe à l’absence de quelqu’un. À savoir une sensation de manque, mais avec laquelle on vit sans douleur, dans l’acceptation. Le poète écrit seul et cette solitude lui permet d’accéder à une vérité essentielle, à quelque chose touchant l’humanité toute entière, car faisant écho à l’intime. Voilà pourquoi nous nous permettons d’invoquer les poètes dans nos textes. Pour partager ces thèmes et cette matière commune.

La musique apporte-t-elle quelque chose que la littérature et la poésie échouent à transmettre ?

Raphaël : Si Arthur écrivait de la poésie pure, il écrirait différemment. Savoir que la musique se mariera au texte influence la façon dont il les conçoit, car il sait que l’émotion jaillira différemment grâce au son. Lorsqu’on découvre un poème, on est libre de la façon dont on souhaite le lire, car il n’y a pas d’indication. La chanson apporte déjà une direction et une interprétation forte.

Arthur : La poésie et la chanson sont deux disciplines sœurs, mais différentes. La poésie relève du graphique, elle est exclusivement dans le mot. Elle est faite pour être lue alors que la chanson est conçue pour être entendue. Je suis même convaincu qu’une bonne chanson doit être un mauvais poème, c’est-à-dire un peu décevante lorsque elle est lue sans musique.

C’est-à-dire ?

Arthur : Même les meilleurs textes de Brel, Gainsbourg ou Brassens sont en dessous de leurs versions musicales lorsqu’ils sont lus tels quels. Les mots et la musique s’étreignent et cohabitent. Ils entrent dans un jeu de séduction exigeant une grande humilité des deux côtés. Le mot ne doit pas écraser sa forme chantée, et la mélodie ne doit pas écraser le sens. Trouver cet équilibre est une recherche infinie qui nous excite profondément.

Comment ton écriture a-t-elle évoluée depuis le premier disque ?

Arthur : Quand j’ai commencé, il y a dix ans, je ne savais pas chanter. Je parlais sur la musique et mon écriture était exclusivement littéraire. Plus nous avons été à l’aise avec la musique, plus nous avons affiné le texte et changé notre façon de travailler. La puissance des belles chansons réside précisément dans la façon dont la mélodie accueille le mot et dont le mot reçoit la mélodie. Cela crée un jeu de miroir vertigineux susceptible de faire jaillir un sens très fort, et de caresser l’esprit de mille façons.

Feu ! Chatterton, entrevue à la bibliothèque du Musée Guimet

Pratiques-tu l’écriture automatique à la façon des surréalistes, ou comme Bashung l’expérimentait parfois avec ses paroliers ?

Arthur : Cela m’est arrivé par le passé. Mais par pour cet album. Cette fois, mon travail était guidé par l’unique quête de l’épure. Le fantasme que la maîtrise confine au lâcher prise. J’ai épuré, encore et encore, jusqu’à frôler la conviction qu’il n’était plus nécessaire de discipliner les mots. C’est probablement pour cela que nos textes semblent parfois énigmatiques, ou codés : à tant élaguer, il ne reste plus que des symboles, comme les fleurs, les robes, les oiseaux… Pour y parvenir, j’ai écrit en fermant les yeux afin de convoquer des images.

Est-ce pour cela que le thème du souvenir est si présent ?

Arthur : Oui. Nous avons travaillé dans l’idée que le passé jamais ne passe. Nous avions une question à l’esprit : lorsque nous repensons à un épisode que l’on a vécu, sommes-nous juste en train de visiter le passé, ou vivons-nous quelque chose de nouveau ? Ce souvenir ne continue-t-il pas à vivre quelque part, dans un monde parallèle ? Ces réflexions évoquent le réalisme magique et latin des écrivains Jorge Luis Borges et Roberto Bolaño. Tu te réveilles, mais ton rêve se poursuit sans toi, dans un autre univers.

En plus de ceux-là et des poètes, qui sont les auteurs de votre Panthéon ?

Arthur : Il y en a tant. Nos maîtres sont John Fante, Balzac, Baudelaire… Leurs univers sont très différents, mais tous partagent la même acuité, un regard précis qui ne les empêche pas de rester rêveurs et drôles. On a souvent l’impression de mieux voir le monde tel qu’il est lorsque l’on est sombre et triste. Comme si la noirceur était plus vraie que la joie. Que l’amertume et l’ironie rendaient plus clairvoyant. Ces auteurs n’ont pas ce travers.

Raphaël : Des pans entiers de la littérature se revendiquent de la posture cynique. Celle-ci donne de la force. Elle est plus séduisante. Mais ce n’est pas notre truc.

Arthur : John Fante peut être dur, mais il se montre toujours tendre, quelque soit le niveau de petitesse qu’il décrit, chez lui comme chez ses personnages. Cette quête nous plaît bien : accepter l’imperfection. Chez Bolaño, la frontière entre le rêve et le réel est en permanence floue, un peu comme dans le cinéma de David Lynch. Ce flottement est probablement l’issue, à ses yeux. Son moyen d’échapper au réel si prosaïque. L’humanité est basse. Certains tentent de s’élever par la noirceur et l’ironie. D’autres, par le jeu de la comédie humaine.

Votre album est mélancolique mais ne sombre jamais dans la noirceur, justement. Plus proche de la saudade latine que d’un spleen un peu macabre, à l’anglaise…

Arthur : Exactement. Nous avons voulu faire un disque lumineux, un refuge baigné de lumière, tout en abordant des thèmes tels que l’absence, la mort, le départ, susceptibles de sembler tristes de prime abord.

Raphaël : Cet album a également un effet thérapeutique pour nous. Cathartique. Chacun d’entre nous a traversé des phases de douleur qui auraient pu nous entraîner vers une certaine lourdeur. Mais les textes d’Arthur et les mélodies que nous avons composées ensemble nous ont tirés vers la lumière. Je m’en suis rendu compte au moment de l’enregistrement : soudain, nous avons basculé vers autre chose. Pratiquer notre musique et incarner cet album nous a apporté un apaisement réel. Une quiétude. Celle qui permet de continuer à vivre en acceptant ce que l’on a perdu, sans se faire de mal.

Certains musiciens sont aussi écrivains. Est-ce un idéal à atteindre ?

Arthur : C’est peut-être un fantasme, mais j’aime l’idée que l’on ne peut s’accomplir vraiment que dans une seule discipline. Je suis un immense fan de Serge Gainsbourg – je fais probablement de la musique à cause de lui -, mais le roman qu’il a écrit, Evguénie Sokolov, n’est pas très bon…

Raphaël : Boris Vian était un excellent trompettiste de jazz, il est peut-être le seul ayant vraiment réussi dans la littérature comme dans la musique. Mais c’est à nuancer : ses chansons n’ont pas la puissance de ses romans. Elles sont une légèreté pour lui.

Arthur : En vérité, l’important n’est pas tant la discipline que l’on pratique, que celle où l’on place son sérieux. Mais la vie est parfois ironique. Il arrive que l’on soit meilleur là où on ne met pas son sérieux !

Vous reconnaissez-vous dans les auteurs contemporains ?

Arthur : Nous ne les lisons pas beaucoup. Les rentrées littéraires sont encombrées par tant de sorties : comment choisir, comme savoir quels sont ceux qui marqueront la littérature ? Se tourner vers les classiques a un avantage : le temps a fait le tri. Lorsque je commence un livre, j’aime être certain qu’il sera le témoignage d’une certaine grâce de l’humanité. Qu’il me fera vivre une expérience riche.

Feu ! Chatterton, entrevue à la bibliothèque du Musée Guimet

Quel personnage de roman aimerais-tu être ?

Arthur : Arturo Bandini, de John Fante, dans son roman semi-autobiographique Demande à la poussière. C’est un écrivain tourmenté et un peu looser, vivant dans un hôtel de Los Angeles. Il passe son temps à taper sur une machine à écrire un livre qu’il ne finira jamais.

Quel personnage de fiction détestes-tu ?

Arthur : Le personnage central de Le tour du malheur, de Joseph Kessel,  Richard Dalleau, un jeune homme idéaliste rêvant de devenir avocat. Au début, on s’attache beaucoup à lui. On désire le voir réussir. À la fin, on réalise qu’il est devenu aveuglé par l’ambition et dévoré par l’orgueil, brûlé par les tentations de la société. Mais on a du mal à le détester pour autant. Tout l’art d’un bon roman est justement de réussir à nous faire aimer un personnage profondément antipathique.

Texte : Aena Léo

Photos : Denoual Coatleven

 

L’oiseleur

Barclay

Le regret sombre qui imprégnait le premier album du quintette s’est dissipé pour céder la place à un soleil méditerranéen et réparateur. Ici, textes et fulgurances poétiques sont à l’honneur. Les mots d’Arthur Teboul croisent ceux d’Apollinaire, Éluard et Aragon, sublimés par des mélodies foisonnantes, fruits d’un travail aussi minutieux que cohérent. Chaque écoute révèle une nouvelle couche du cocktail ambitieux dont le groupe s’est nourri : rock, pop, électro, envolées à la Radiohead ou dignes d’une bande-son de James Bond, intégrant le classique pour quelques plages intenses. La beauté rayonnante de ces treize titres reste longtemps accrochée au cœur.

 

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