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JULIEN SAGOT

Il préfère les sentiers de terre aux highways nord-américaines mal goudronnées… Évitant soigneusement des nids de poule à crever les pneus d’un 38 tonnes, Julien Sagot imagine une poésie absconse et des mélodies sensuelles.

Julien Sagot

Il arrive sur scène en robe de chambre, avec sa guitare bricolée de partout. Il joue fort, extrêmement fort, et tout semble se faire au feeling. « Étrangement, les vibrations qu’il y a dans une salle, ça ne m’importe pas beaucoup », avoue-t-il, juste après son concert du Festival des Musiques Émergentes (FME), en Abitibi, à Rouyn-Noranda, ville que Richard Desjardins appelle « le bout de l’asphalte ».

« Je fais le concert pour mes compagnons qui sont sur ‘le stage’. Si ensemble, on trouve qu’on est vraiment unis, le projet est abouti. J’ai beaucoup de plaisir à flirter avec l’improvisation, à tout mettre en péril, et à le faire avec des musiciens qui sont consentants. Ils doivent être ouverts au fait que cela puisse changer très vite. » Une fois cela acté, on comprend mieux que les concerts de Julien Sagot soient tout le temps sur le fil.

L’ancien percussionniste de Karkwa pourrait chanter tranquillement ses chansonnettes mais non, il faut qu’il « grafigne ». Sagot écorche en permanence ses morceaux, et cela donne par exemple une réinterprétation en parlé / chanté, ou bien, des séquences d’improvisation qui mènent à la transe. C’est le charme de ce personnage lunaire, négatif parfait de son ancien chanteur, Louis-Jean Cormier, d’imaginer des concerts où les chansons n’ont pas vraiment de débuts, ni de fins. Quand le charismatique Louis-Jean brille par ses chansons aux arrangements très léchés, le Français adopté par les Québécois impose en effet ses jeux de constructions / déconstructions.

Pour son troisième album, Bleu Jane, le journal montréalais Le Devoir a titré : “Ceci n’est pas un disque d’ambiance” (voir Longueur d’Ondes n°83). “Complètement, répond l’intéressé. La musique d’ambiance, c’est bon pour les soupers, pour parler par-dessus. J’ai avant tout un message poétique et j’ai envie de le faire passer en français. La majorité des gens me disent de chanter en anglais, que ce serait plus simple pour moi. Mais je n’ai pas cette fibre. Le plaisir artistique est 10 000 fois supérieur parce qu’il y a un défi. Je ne m’en cache pas, je fais une musique anglo-saxonne. C’est assez rock, ça part dans tous les sens. Mais j’écoute aussi beaucoup de musique africaine. Ça fait que je ne me sens pas prisonnier de quoi que ce soit”.

Ce dernier effort sonne bien dans la veine de Serge Gainsbourg, mais un Gainsbourg bien bruitiste. Alors que l’on pense forcément à Jane B., Sagot poursuit dans une digression dont il est coutumier : “Jane, c’est une espèce de fantasme à travers l’alcool, le gin, et pas à travers le blue jean. C’est un mirage et je me sens très tranquille avec elle. J’étais aussi content que ce soit Bleu Jane, parce que sans me comparer à Picasso, c’est un peu ma période bleue. D’ailleurs, je travaille en couleurs et en sons, je ne suis pas du tout dans les notes et les accords. Ma formation est plutôt classique, puis il y a eu la percussion cubaine, mais par le groupe, je me suis rendu compte que, tout ce qui est important, c’est comment tu sens les choses et comment tu les partages”. Les mélodies sensuelles serpentent entre des ruptures brutales et des paroles imagées, évoquant souvent l’amour physique.

Il n’apparaît pas spécialement baudelairien, mais on peut très bien imaginer Julien Sagot noyer son spleen dans quelque alcool fort. Son exigence artistique fait écho à des positions bien tranchées sur un monde “qui a peur avant même que ça fasse mal” et des villes — québécoises, et pas que… — où musicalement “tout le monde est frileux”. “Les festivals en ce moment sont pires que les banques, les producteurs de spectacles veulent savoir, comprendre, il veulent que cela fasse un hook et remplir leurs salles. Il faudrait juste sortir de cela en commençant par se demander : ‘On est-tu bien là ?’ De mon côté, j’ai envie de consacrer toute mon énergie et tout mon savoir à être dans la construction, dans le fait de faire passer des choses aux gens”, dit celui qui reste loin du mainstream.

C’est qu’avec trois albums parus depuis Piano Mal en 2012, Julien Sagot a déjà pas mal roulé sa bosse. On aimerait donc voir ce cousin éloigné de Gérard Manset repéré en France par l’excellent label Ici d’ailleurs, reconnu au-delà de cercles confidentiels, c’est-à-dire gagner non pas le highway mais des routes autrement plus fréquentées.

Texte : Bastien Brun

Photos : Fabrice Lassort

La culture de la route

Dans Bleu Jane, il évoque les “désordres et désordres le long de la highway”, et ce n’est pas un hasard. La culture de la route fait partie intégrante de la mythologie québécoise, où il faut rouler des jours entiers pour gagner le moindre recoin du territoire. Les voitures, ‘les chars’, ont des proportions impressionnantes et il vaut mieux, vu la taille des trous dans la route. Quand on l’interroge sur le fait de jouer à Rouyn-Noranda, ville minière à 600 kms de Montréal, Julien Sagot, répond : “De toute façon, au Québec, il faut rouler”. Cette géographie a façonné l’espace musical, avec des festivals ‘en région’ et l’essentiel de l’industrie musicale à Montréal. Pour un artiste, une tournée signifie donc de gros investissements logistiques, et souvent s’endetter gentiment pour ça.

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