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BENOIT CACHIN

Mylène Farmer – Inspirations, Benoît Cachin, Editions E/P/A : « Je l’aime parce qu’elle conceptualise tout ce qu’elle fait » déclare le chanteur Seal, avec qui elle partage le duo “Les Mots” en 2001. C’est exactement ce que démontre le magnifique ouvrage de Benoît Cachin, précieux livre-objet relié de toile rouge mêlant textes, photographies et illustrations. Partant du sentiment d’étrangeté au monde qui l’habite depuis l’enfance, la chanteuse, auteure, comédienne, danseuse et dessinatrice a réussi – avec le concours de collaborateurs tour à tour évoqués dans ces pages – à fédérer des milliers de fans par le biais d’un univers musical et visuel aussi singulier qu’accessible. L’auteur, soutenu par une mise en page originale évoquant un journal intime illustré, présente dans ce livre l’univers d’une femme lettrée, libre et sulfureuse, ayant fait de sa fragilité une force, exploré à travers ses diverses inspirations dans les domaines des arts plastiques, de la littérature, de la poésie, du cinéma et bien sûr de la musique. Un travail remarquable. Une rencontre s’imposait !

Comment est née l’idée de cet ouvrage original ?

J’ai écrit auparavant un gros livre qui s’appelle Au Fil des Mots (Éditions Grund, 2013) qui reprend toute la discographie de Mylène Farmer de façon chronologique, de sa première chanson “Maman a tort” jusqu’à son dernier album Interstellaires. Est apparu avec une certaine évidence que tout au long de ses trente-trois ans de carrière, des inspirations et des références littéraires, poétiques, cinématographiques, artistiques, philosophiques et spirituelles revenaient de manière assez récurrente, album après album. Je me suis dit qu’il serait intéressant de rassembler toutes les pièces du puzzle pour donner une vision complète de l’univers de Mylène Farmer, qui est souvent résumé, si on reste en surface, à quelque chose de gothique, noir et qui parle de la mort, alors qu’il n’y a pas que cela dans son monde, loin de là ! J’ai donc choisi de faire ce livre présentant ses influences autour de six grands thèmes, « Littérature », « Arts Plastiques », « Cinéma », « De l’amour à la mort », « Musique » et « Spiritualité ».

Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a vraiment une construction chez cette artiste. Dans le livre, entre les premières photos où son apparence est très différente de ce qu’elle est devenue par la suite, c’est flagrant. Petit à petit, elle ajouté des éléments, comme des strates qui composent un personnage de plus en plus complexe, tout en restant, semble-t-il, très sincère.

Au fil du temps, elle s’est épanouie et révélée. Au début, inconnue, elle est apprentie-comédienne au Cours Florent, n’a encore rien fait à part quelques publicités. Elle apprend par un ami qu’il y a un casting pour une petite chanson – que toutes les maisons de disques refusaient d’ailleurs – et se dit « Pourquoi pas ? ». Mais elle n’a pas, au départ, le désir d’être chanteuse. Et pourtant elle remporte ce casting haut la main, non pas par sa voix qui n’est pas exceptionnelle, mais parce que tout de suite, Laurent Boutonnat perçoit en elle ce côté femme-enfant, cette étrangeté, ce mystère… Quelque chose qui interpellait. Donc même s’il y a eu une construction, ce personnage est là dès le début, et c’est en cela que c’est une construction sincère. Au fil du temps, elle n’a fait que renforcer ce personnage en se créant un univers. Ce qui est passionnant chez elle, c’est qu’elle s’est créé un univers et qu’elle s’y tient. Il y a eu des évolutions importantes, dans son look, sa manière d’écrire ou de concevoir les spectacles, mais toujours en gardant l’essence de ce qu’elle est. C’est une artiste très sincère, ce n’est pas du tout fabriqué. Renforcer ou fabriquer, ce n’est pas du tout la même chose. Je pense que c’est quelqu’un de très timide, qui n’aime pas parler d’elle en dehors de ses chansons, à travers lesquelles, quand on connaît bien son parcours, elle raconte pourtant toute sa vie…

Elle choisit de le faire d’une manière qui n’est pas du tout quotidienne, mais plutôt onirique, mystérieuse. Ce qui va aussi avec son refus des interviews.

Elle raconte sa vie sur scène plutôt que dans les magazines ou les émissions people, oui. Pour ce qui est des interviews, il faut relativiser, parce que durant les dix premières années de sa carrière, elle en a beaucoup données. Pendant les années 80, elle participait à toutes les émissions de télévision. Le virage a lieu à partir des années 90, où elle va choisir la stratégie du silence, et n’accordera quasiment plus d’interviews. Elle applique clairement la technique de Greta Garbo, qui est une de ses grandes sources d’inspiration quant au comportement. D’ailleurs, dans le livre, je m’amuse à citer des phrases de Greta Garbo dont on pourrait penser qu’elles ont été dites par Mylène Farmer. Ne jamais dire ni de mal ni de bien des autres, ne jamais raconter sa vie privée, ses amours, ses amis… On sait très peu de choses de sa vie personnelle. Et je pense, et c’est une particularité de Mylène Farmer, que les fans ne veulent pas savoir. Ils aiment ce côté icône mystérieuse, et n’ont aucune envie de la voir en vacances, ou dans son quotidien.

Avec toutes ces choses qui l’intéressent, on peut dire qu’elle compose une sorte de « cabinet de curiosités musicales et visuelles. »

Complètement, c’est tout à fait ça. Et c’est dans cet esprit que nous avons fait réaliser la photographie qui est reproduite sur le bandeau qui entoure le livre et qui est repris à l’intérieur. Son œuvre est pleine de clins d’œil et de références dans tous les domaines, et il y a aussi un côté « horreur », un peu monstrueux dans son univers, qui évoque les choses bizarres que l’on mettait dans des bocaux dans les cabinets de curiosités du XIXème siècle. Son univers est tout de même très particulier. Le thème du double y est omniprésent. Dans plusieurs de ces clips, elle incarne des personnages à plusieurs facettes, le yin et le yang. Elle a chanté qu’elle était « aussi bien diabolique qu’angélique »…

Même s’ils ont des univers très différents, il y a un parallèle entre Mylène Farmer et Étienne Daho au sens où ce sont tous les deux des artistes pop, très grand public, qui aiment profondément profiter de cette position pour partager des références très pointues.

Oui, ce sont effectivement tous les deux des « passeurs », même si leurs références diffèrent. Mylène Farmer s’inspire d’Emily Dickinson, du poète surréaliste Pierre Reverdy, de Cioran, de Sartre, de Primo Levi, de Saint-Exupéry…

Il y a aussi ce rapport de transmission avec une autre artiste que Mylène Farmer aime beaucoup, qui est Marie Laforêt, présente dans le livre, qui a transmis beaucoup de références poétiques à travers ses chansons.

Tout à fait. Mylène Farmer a d’ailleurs repris “Je voudrais tant que tu comprennes”, et Marie Laforêt avait à son tour souhaité reprendre “Ainsi soit je…”, mais n’ayant pas trouvé une manière de l’interpréter dont elle soit satisfaite, a renoncé à le faire. Ce sont toutes les deux des chanteuses qui écrivent leurs propres textes, des sensibilités littéraires qui ont en elles une mélancolie.

Graphiquement parlant, le livre fait penser à un journal intime, dans lequel on aurait fait des collages, des dessins…

Un carnet, avec des passages manuscrits, des taches d’encre, des papiers différents, c’était l’idée première. Je voulais que ce soit un livre vivant. Mais pour éviter toute ambiguïté, tout a été mis à la troisième personne et la mise en page a été pensée pour qu’il soit clair que ce n’était pas écrit par l’artiste elle-même. Mais je n’ai rien inventé ni fait d’interprétations sauvages. Tout est vérifié et toutes les sources sont citées. Ce livre, c’est un peu le carnet qu’elle aurait pu faire toute seule.

Benoît Cachin, Mylène Farmer – Inspirations, éditions E/P/A
156 pages – relié – couverture en tissu rouge – 25 euros

France de Griessen

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