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DISCO

Dossier Disco - Longueur d'Ondes

Entre héritage et modernité… Le disco, un genre mutant

Voilà belle lurette que le disco se reflète sur les corps et dans les têtes, incarné par cette fameuse boule à facettes, totem symbolisant l’avènement d’une musique qui ouvrira les portes de la nuit à de nombreuses âmes. 40 ans après, le disco n’est plus un style musical à part entière, mais une lame de fond qui n’aura eu de cesse de traverser de nombreux genres musicaux, réussissant un tour du monde comme presque aucun mouvement sonore n’en a été capable. L’histoire qui lie ce courant à la France est mal connue, voire oubliée, et pourtant elle témoigne d’une histoire d’amour qui n’est pas terminée, loin de là…

 

Depuis son apparition sur le sol américain dans les années 70, instituant une nouvelle forme sociologique de consommation de la musique, via l’ouverture des discothèques, le disco aura connu bon nombre de transformations, preuve de ses multiples réappropriations. Si l’on se souvient avec difficulté que Michel Sardou ou Sheila n’ont pas su résister aux sirènes du genre, ou que la mémoire collective francophone ne retient que le spectre des Marc Cerrone et autres Patrick Hernandez, peu reconnaissent qu’un Français eut une influence sans pareil sur cet univers musical à la jonction des années 70 et 80 : ­Bernard Fèvre et son Black devil disco club. Adulé aux États-Unis et au Japon, ce dernier ne sera reconnu dans l’Hexagone que dans les années 2000 après avoir été samplé par The Chemical Brothers, et la réédition d’un disque emblématique, Disco club, redécouvert par Aphex Twin.

 

« Toute ma vie j’ai eu ce souci d’être en avance sur mon temps. » Bernard Fèvre

Bernard se souvient : « Je me suis moi-même mis en abyme car j’étais hors cadre. Toute ma vie j’ai eu ce souci d’être en avance sur mon temps. Je me souviens que quand je travaillais avec Jacky Giordano dans les années 80 (quelqu’un de bien plus showbizz que moi), ma musique fut écoutée par des professionnels de la radio. Ils m’ont clairement indiqué que mon son était de la merde. Sans passage à la radio, aucune chance d’avoir du succès. À ce moment, j’ai choisi de me mettre en retrait pour pouvoir manger et payer mon loyer tout en continuant à travailler dans la musique. Une voyante avait dit à ma mère que je réussirai très tard, elle ne s’était pas trompée. »

Pas amer pour un sou, Bernard tire cependant un constat éloquent sur les profits générés par l’industrie musicale (vénale en essence) sur le dos d’artistes connaissant mal la logique de ce système : « Les Chemical Brothers ont pompé mon son en tombant dessus lors de recherches sur la Library music française. Aphex Twin m’a découvert en chinant dans des brocantes. Lors de la réédition de Disco club par le label Amplitude, ils ne m’ont payé qu’une partie des royalties. Aphex Twin me doit toujours du pognon, il n’a jamais voulu l’entendre. Les Anglais sont des gros c…, ils ont balancé mon son pour le jeu GTA IV sans même me faire signer d’autorisation. J’étais très rêveur. Sans talent, je ne pense pas que j’aurais pu être là où j’en suis. »

D’autre part si l’artiste a pu revenir en odeur de sainteté dans son pays qui n’en avait pas fait un prophète, c’est également grâce au retour d’un son discoïde dans les multiples productions électroniques. Car si le disco a su perdurer, c’est qu’il a été capable d’épouser toute forme de technologies sonores.

À ce propos, Ygal Ohayon, cofondateur de l’association Deviant disco et manager pour le label Versatile, explique : « C’est un style qui fait complètement partie d’une certaine forme d’inconscient culturel et collectif, et qui a su muter de différentes manières, de la fameuse French Touch à la fin des années 90 avec ses samples disco filtrés à des prods plus organiques comme Phoenix et sa pop « discoïsante ». D’ailleurs ce qu’on appelle disco n’est qu’une forme mutante du funk à son origine. »

Aussi, une autre logique tient dans la survivance du disco, à savoir son caractère éminemment universel, tel que le prouvent les sonorités retrouvées dans les musiques des pays dits émergents. Ygal reprécise ainsi le caractère originel du disco. « Il se définit par ses lignes de basses, ses rythmiques, et des éléments ethnologiques inhérents aux percussions, etc. C’est pourquoi ce genre a pu être assimilé et reproduit un peu partout dans le monde y compris en Afrique ou au Moyen Orient. Et en Europe, la fascination pour les machines a fait que les lignes de basses ont été plutôt synthétiques, les guitares et les drums furent alors remplacés par des boites à rythmes. C’est ce qui donnera le « Munich disco » avec Moroder en fer de lance et l’avènement de l’Italo disco. »

De l’Italo disco aux productions actuelles, il n’y a qu’un pas, et quelle autre formation que celle de L’Impératrice ne saurait mieux établir ce constat ? Auteur d’un premier LP sorti il y a peu, le groupe est peut-être celui qui aura réussi le mieux à canaliser les influences du disco des années 80, réactivant un courant oublié de la musique francophone, le funk blanc (dit aussi le french boogie). Charles de Boisseguin, aux commandes de L’Impératrice, explique ainsi la genèse de sa musique. « Séquences, notre premier disque, n’est pas tant un hommage à l’Italo disco qu’un clin d’œil à tous ces chanteurs ou producteurs de variété française qui se sont mis à suivre la tendance dans les années 1970 / 1980 comme Jean-Pierre Castaldi et son Troublant témoignage de Paul Martin. Après c’est un genre que chacun a tendance à définir selon sa subjectivité. Ça nous est arrivé d’être comparé à Abba, qui représente pour moi l’anti-disco par excellence. On a tous grandi avec le disco, que ce soit dans le hip-hop, la techno ou la French Touch qui l’a carrément fait renaître dans les années 1990. C’était la première musique de club, elle existait pour rassembler et faire danser les gens. Elle continue ainsi à exister par ses codes et ses ingrédients dilués dans les musiques actuelles. »

 

Calypsodelia

Calypsodelia


 

Bien que difficilement saisissable car inlassablement mutant, ce style ne cesse de résonner par le biais d’une alchimie stylistique qui touche de nombreuses formations. Qu’il soit new-wave (en atteste le succès récent d’un groupe comme Agar Agar), italo, cosmic, boogie ou pop, il connaît actuellement un revival depuis l’apparition de ce courant sonore appelé synthpop : l’utilisation des synthétiseurs revenant au centre de l’esthétique musicale contemporaine. Eva Peel, DJ et fondatrice de Deviant disco*, témoigne : « Des formations comme Bon Voyage Organisation, Paradis, Calypsodelia, ou Syracuse dans une autre mesure, ont influé la synthpop vers un sens disco. S’il y a beaucoup de tentatives de ce genre, c’est en général que le côté chic et sexy y est pour beaucoup dans l’ADN français de la musique actuelle. Mon regard sur cette scène est celui de la surprise au bon sens du terme, j’y ai découvert des musiciens passionnants qui ont redoré le blason de la France. À l’époque des Patrick Juvet, Hernandez et Massiera, les studios français étaient fréquentés par des artistes du monde entier qui venaient enregistrer à Paris – principalement des Africains, des Antillais ou des Nord-Africains, soit un vrai melting-pot. La France et le disco, c’est une love story qui part de plusieurs rencontres pour donner de beaux enfants dans un pays pas forcément toujours renommé pour ses ambitions musicales dans la pop, qui chez nous est souvent nommée variété française. »

 

« La France et le disco c’est une love story qui part de plusieurs rencontres pour donner de beaux enfants. » Eva Peel

 

Une formule que le trio Calypsodelia semble avoir très bien digéré, comme leurs prestations scéniques azimutées ont déjà pu le faire remarquer. Dress code de circonstance, le groupe se sert ainsi des codes disco pour mieux les exploser, basculant dans une musique métamorphe, qui en essence se base sur un groove diablement dansant. Izzy, chanteuse et maîtresse de cérémonie du crew, précise : « On dégage peut-être ce côté rétro-futuriste car on ne respecte pas tous les codes du genre. Ce style musical répond d’un état d’esprit, entre générosité et partage, il ne faut pas trop se prendre au sérieux. Notre musique reste très improvisée en live car ce que l’on recherche en premier lieu, c’est la liberté. On surfe sur une musique psyché mais on pourrait très bien basculer dans le reggae, rien n’est arrêté, on aime la transgression. »

Plus qu’un genre donc, le disco est un espace mental stimulant de manière inconsciente une opération créatrice dont le principe actif repose sur un esprit indubitablement festif, toute une science dont le savoir-faire se veut aussi bien technique qu’artistique. Entre héritage et modernité, un nouveau chapitre s’écrit aujourd’hui, et la France possède toutes les facettes pour en être le prochain centre névralgique.i

* Ce collectif artistique, label et promoteur d’événements, fondé en 2012 par Eva Peel, ancienne journaliste et conférencière en université, reconvertie en DJ et digger, n’a pas d’autres buts que d’éclabousser les oreilles de sons de l’ordre du disco mais qui n’en sont pas vraiment.

 

> deviantdiscoparis.tumblr.com

>> facebook.com/deviantdiscoparis

 

Texte : JULIEN NAÏT-BOUDA

Photos : DR

 

L'IMPERATRICE - Pierre-Emmanuel Testard

L’Impératrice

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