Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

NOSFELL

Nosfell ©Denoual Coatleven - Longueur d'Ondes

Par-delà les frontières

L’idée d’une rencontre au long cours a germé alors que Nosfell préparait encore son nouveau disque, Echo Zulu. C’était en mai dernier, lors d’une résidence de création à la Clef, la salle de concert de Saint-Germain-en-Laye, en banlieue parisienne. Le chanteur, danseur, performer, s’est donc livré comme rarement, à distance de son monde imaginaire de Klokochazia. Il nous a parlé, au-delà de la musique et d’un crowdfunding qui a récolté plus de 14 500 €, de ce qui le traverse.

Le fun et la noirceur

« L’entertainment, ça devrait être pour tout le monde, pas seulement pour les gamins ou les midinettes. La musique est quelque chose de sérieux pour moi, c’est une religion ! J’exprime une certaine noirceur, mais il faut qu’il y ait des éléments de fun dans la confection et dans la manière de délivrer les choses. Pour moi, Echo Zulu est une sorte de pop garage noire. Même “The party” (*) est un titre noir, parce que c’est un texte sur l’addiction. En l’occurrence, j’ai beaucoup correspondu avec une femme américaine qui aimait ma musique et qui était addict à la drogue. Je ne bois pas, je ne fume même pas de cigarettes, mais je considère que je suis moi-même accro à des schémas de vie qui m’ont longtemps empêché de vivre. On peut appeler cela de la dépression, je ressasse beaucoup. Je peux aussi avoir des colères noires que je regrette amèrement après. La forme symétrique de ce disque est un hommage à cette correspondance, avec cinq chansons en français, cinq chansons en anglais, un morceau qui mélange les deux langues, et des titres très courts qui sont comme des séquences de vie. Un jour, j’ai reçu un message de sa mère me disant qu’elle avait retrouvé notre correspondance, que Summer était morte. Cela m’a beaucoup ému. Car il n’y avait pas d’ambiguïté amoureuse, mais nous étions des âmes sœurs. Nous avons vécu les mêmes choses, dans les mêmes calendriers. »

 

Le studio et l’intime

« Ce disque s’est fait de manière très fraternelle dans un petit studio, où l’on n’avait pas de contraintes de temps. Le réalisateur de l’album, qui est aussi mon batteur, Emiliano Turi, a rendu ce lieu très disponible. Ce studio a vraiment été un quatrième homme, avec ses claviers. L’arrangeur, Frédéric Gastard, fait partie d’un trio de cuivres dont je suis complètement tombé amoureux, Journal Intime, qui évolue dans le jazz ou la musique improvisée. Il avait déjà collaboré avec moi sur Amour massif, et j’avais envie de retravailler avec lui. Globalement, Echo Zulu parle des frontières psychiques, parce que c’est quelque chose qui me taraude. Mais il y a aussi “Les gorges” qui évoque une frontière concrète : le mur entre le Mexique et les USA. Cette chanson commence comme une ballade mélancolique et finit en boucherie, comme un film de Tarantino. L’écriture de ce disque est très intime. C’est la lettre d’amour que je voudrais écrire à mon frère. Il fait écho à cette guerre spectrale que le monde traverse depuis la Guerre du Golfe (“Les rois”, “Short-timers”), comme à la naissance de ma fille (“Le corps des songes”). »

« Il y a toujours quelque chose d’autobiographique dans mes disques. »

L’enfance et l’Afrique

« Le titre Echo Zulu est un clin d’œil à l’alphabet Alpha Zulu, mon premier émoi linguistique. À l’époque, je n’avais encore ni frère, ni de sœur, mes parents travaillaient beaucoup. Ils m’avaient acheté une bataille navale. Quand j’y jouais seul, j’invoquais un frère imaginaire avec la formule “Zulu”. Souvent, pour jouer à la bataille navale, on apprend aussi l’alphabet Alpha Zulu, utilisé en mer, afin que l’autre comprenne exactement où l’on veut le toucher. Alpha, Bravo, Charlie, etc. Dans la cité où j’ai grandi, il y avait des longs couloirs, des tunnels, des arbres, des buissons dans lesquels on jouait beaucoup à la guerre. Des jeux de gamins, quoi ! Avec mes petits camarades, notre nom de code était “Zulu”, parce que l’on venait tous plus ou moins d’Afrique ; l’Afrique du Nord mais aussi le Sénégal, le Congo. Ce mot, c’était notre Afrique à nous ! Il y a toujours quelque chose d’autobiographique dans mes disques, mais c’est un peu méandreux, il faut gratter. »

 

La langue imaginaire et le sens

« Ma mère a des origines espagnoles et italiennes par ses grands-parents, mon père venait du Maroc. Chez moi, on ne cultivait pas particulièrement l’athéisme. Je ne saurai jamais si mon père était musulman ou juif, c’était délirant ! C’était un jour, la prière, le lendemain, les beuveries ! Et puis, c’était quelqu’un de très violent ! La crise identitaire qu’il a traversée, et dont j’ai été le témoin, je l’ai traduite dans ce personnage de Nosfell, dans mon langage imaginaire. Le Klokobetz serait notre langage à lui et moi, un langage universel. Il y avait cette volonté de dire : Je ne veux pas parler de mes origines. Je suis musicien, je suis français, je m’adresse à qui veut m’entendre. Ce n’est pas parce que j’ai des origines maghrébines que je vais commencer à faire de la world music ! De la même façon, quand j’ai commencé les concerts, on a longtemps attendu de moi que je fasse du hip-hop, parce que j’avais la casquette, des baskets, tout l’uniforme. Maintenant, je suis plus à l’aise avec ces origines, mais… (longue hésitation) je n’ai jamais eu l’occasion d’en parler vraiment, avant… »

 

Le rap et les guitares

« Ce qui m’attirait dans le hip-hop, c’était la fascination des “grands frères” de ma cité. Je me souviens des cassettes que l’on s’échangeait, j’ai passé des nuits entières à couper des bandes de cassettes audio et de VHS. Les Geto Boys, A Tribe Called Quest, NWA, 2-Pac ou Ice Cube. Et en même temps, il y avait les guitares que l’on écoutait à la maison, tout le folk américain. David Crosby, Stephen Stills, Neil Young, Joni Mitchell, mais aussi les Who. C’est très cliché ce que je vais dire, mais c’est vrai. On vivait dans des HLM de 17 étages, avec je ne sais pas combien de familles entassées les unes sur les autres. Le fantasme du ghetto, c’est ce qui nous rapprochait du rêve américain. Rétrospectivement, je trouve cela un peu fabriqué, mais les Américains sont très forts pour nous vendre leur culture. Le rap est devenu un style de vie maintenant. Moi, cela m’a toujours nourri, c’est intégré. Depuis mon premier album, je n’ai jamais compris pourquoi il faudrait revendiquer de faire du rap, du rock, ou quoi que ce soit d’autre. Il sort ce qui sort, et puis voilà ! Si c’est ça, ton langage ? Ainsi soit-il ! »i

 

(*) The party : la fête, en anglais. Les titres sont à plusieurs degrés de lecture chez Nosfell. On pense évidemment au film The Party (1968), le classique de Blake Edwards mettant en scène Peter Sellers, dans le rôle d’un M. Catastrophe mettant sens dessus dessous une fête à laquelle il n’est pas invité. Mais les paroles font ici référence à d’autres fêtes.


Echo Zulu

Likadé / Differant

NosfellNosfell branche à nouveau sa guitare électrique ! Son cinquième album alterne entre les moments disco / rock et d’autres, plus alanguis. Les morceaux, écrits en français et en anglais, et la production sont épurés. Echo Zulu présente un chanteur en noir et blanc, qui tranche singulièrement avec tout ce que l’on connaît de lui. Loin du monde imaginaire de Klokochazia, c’est le retour au rock d’un artiste rare. Le début de nouvelles aventures, qui s’annoncent encore une fois passionnantes.


Nosfellogie

Cinq chansons pour entrer dans l’univers de Nosfell

“Shaünipul”

(Pomaïe klokochazia balek / 2004)

Crâne rasé, danse habitée et jeux de voix. Nosfell débarque sur la planète musique. Sa langue imaginaire, le klokobetz, laisse parfois la place à l’anglais comme ici. L’acte de naissance d’un personnage.

 

“Hope ripped the night”

(Kälin bla lemsnit dunfel labyanit / 2006)

Un titre complètement à part dans l’univers du chanteur venu de Klokochazia, sur un deuxième album qui assoit sa collaboration avec Pierre Le Bourgeois. Si l’espoir a déchiré la nuit, il émane de cette chanson un calme inquiétant.

 

“Bargain Healers (Nirsiki)”

(Nosfell / 2009)

Ce rock du désert est interprété en trio, avec Josh Homme, des Queens of the Stone Age, et Brody Dale. C’est aussi une chanson sur l’incommunicabilité, où le couple Dale / Homme demande à Nosfell : « Mais qu’est-ce que tu nous racontes, là ? »

 

“Le signe et le hasard”

(Octopus / 2011)

Extrait de la bande originale d’Octopus, le premier spectacle de Philippe Decouflé auquel participe la paire Nosfell – Pierre Le Bourgeois, c’est un hommage aux comédies musicales de notre enfance. Mais derrière la fantaisie pointe toujours le tragique.

 

“Amour”

(Amour massif / 2014)

On aurait pu s’attacher à “La romance des cruels”, sublime chanson interprétée par Daniel Darc qui a donné au chanteur l’envie de creuser son écriture en français. Mais non… Amour donne le ton d’un disque apaisé, principalement chanté en français. Cette langue va bien à Nosfell, aussi.


 

>> Site de Nosfell

Texte : Bastien Brun

Photos : Denoual Coatleven

Nosfell ©Denoual Coatleven - Longueur d'Ondes

ARTICLES SIMILAIRES