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ROCK’N’VEGAN

Res Turner ©Sly2 - Longueur d'Ondes 82

Des médias aux rayons des supermarchés, une tendance s’affirme ces dernières années dans la société : celle du véganisme. Stimulés par des campagnes choc sur les réalités de l’exploitation animale, doucement mais sûrement, les compteurs se mettent au tout végétal. Du rock au rap, en passant par la pop et le metal, comment cette tendance se manifeste-t-elle dans le milieu musical français ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé une dizaine de musiciens véganes.

Elli Medeiros ©David Sarfati - Longueur d'Ondes 82Du 16 au 18 septembre 2016 avait lieu à Paris la première édition du Smmmile Vegan Pop Festival : signe des temps, cet événement branché mettait en avant véganisme et cause animale mais surtout, de façon inédite, liait ces sujets à la musique. Au programme : du bon son, du bon sens et de la bonne cuisine, comme le présentent ses organisateurs. Le projet est révélateur des ponts qui se dessinent timidement entre les deux univers. Des ponts qui, il y a une dizaine d’années, n’existaient que de façon isolée, au hasard de parcours personnels liant implication dans la scène musicale et engagement en faveur des animaux. Ainsi, le groupe de shock rock Undercover Slut (et son chanteur “O”, végétarien depuis 2005), n’hésitait pas à mettre en avant son engagement pour la cause animale dans l’album sorti à cette époque, Communism Is Fascism. Une plage d’une minute de silence intitulée “Sixty Silent Seconds To Repent For Your Animal GENOCIDE” se voulait un hommage aux victimes du « plus grand génocide mondial », le livret comportait des références directes à l’association américaine PETA et des vidéos tournées dans des abattoirs étaient projetées lors des concerts. C’est aussi dans un isolement complet qu’en 1974 / 75, Elli Medeiros est devenue végétarienne puis rapidement végane. Malgré son implication dans les tout débuts de la scène punk française au sein du groupe Stinky Toys, le contexte culturel n’a joué aucun rôle dans sa décision, fruit d’un cheminement personnel : « Dans mon entourage, les gens mangeaient à peine ou ne s’intéressaient pas au sujet, c’était plutôt alcool et drogue ! J’ai commencé avec les Toys en 1975 et le mouvement vegan punk en Angleterre a dû démarrer un peu plus tard. De toute façon, je n’avais aucun contact avec ce mouvement, je n’ai appris son existence que bien plus tard. »

Undercover Slut (c) HSP - Longueur d'Ondes 82

Si, pendant des décennies, le véganisme au sein du monde musical a été soit le fait d’individus isolés soit un des attributs de genres à la dimension politique forte comme le punk hardcore, aujourd’hui, la meilleure diffusion d’informations sur les traitements infligés aux animaux d’élevage et la plus grande accessibilité de produits végétaliens ont fait prendre au véganisme une toute autre tendance qui se vérifie aussi dans la musique. Comme le relève Stefan Mandine du groupe d’électro rock Velvetine, végétarien depuis son adolescence et végane depuis une dizaine d’années : « Aujourd’hui, la cause a gagné toutes les scènes musicales. De la scène hardcore où elle était très représentée dans les années 80 au R’n’B en passant par le rap ou la pop minimaliste, nous entendons des timbres différents qui participent à la même symphonie. »

 

Des voix au service de la cause animale

 

France de Griessen © Thomas Bader - Longueur d'Ondes 82Désormais quasi phénomène de mode, le véganisme n’a pas pour autant perdu sa dimension militante. Comme le prouvent quelques récentes campagnes d’associations œuvrant pour la cause animale, la musique peut même être un outil. Ainsi, lorsque l’association L214 publie en février 2016 une vidéo révélant des mauvais traitements dans un abattoir de la commune du Vigan, c’est la chanteuse de Lilly Wood and the Prick, Nili Hadida, qui prête sa voix pour commenter les images. Pour la jeune femme, récemment devenue végane, utiliser le succès de son groupe pour faire entendre une cause qui lui tient à cœur est une responsabilité. De la même façon, France de Griessen, végétarienne depuis l’enfance et végane depuis de nombreuses années, a participé au concert donné lors de l’édition 2014 de la Veggie Pride, festival antispéciste revendiquant l’abolition de l’exploitation animale. Pour elle, c’est une évidence : « Si on me propose d’utiliser ma musique pour aider une cause qui m’est chère, je le fais. Je ne suis pas de l’école de ceux qui disent que les artistes n’ont pas à se mêler de politique ou de questions de société. Cela peut être motivé par la crainte de perdre des fans mais vivre selon mes convictions, essayer de susciter un questionnement sur des habitudes ou des traditions cruelles m’importent davantage. » Rares sont ses concerts où le stand de merchandising ne propose pas tracts et magazines sur le sujet et où, lors du salut, elle ne présente pas des animaux à adopter ou n’appelle pas à une collecte pour une association.

 

Maxime Ginolin ©Jordan Dorey - Longueur d'Ondes 82Pour elle comme pour Nili Hadida, s’ils s’associent, création et engagement demeurent cependant indépendants l’un de l’autre : nulle chanson évoquant directement la question dans leur répertoire respectif. « Je n’ai jamais abordé ce sujet à la manière de chansons engagées comme celles de Bérurier Noir, No One Is Innocent ou Les Sales Majestés. Ayant une écriture poétique voire onirique, faite d’évocations de sensations, j’ai du mal à rédiger ce genre de textes, même si je les trouve forts et que je les aime. Mais presque toutes mes chansons font référence à mon attachement à la nature. Elle est une composante primordiale de mon mode de vie donc, forcément, cela nourrit ma création. Par exemple “Agneau Mystique” m’a été inspiré par la vue d’un petit agneau dans un pré », explique France de Griessen. Une conception que partage “O” d’Undercover Slut : « Mes convictions interviennent dans mon processus créatif à mi-chemin entre le défouloir et une forme de thérapie. Si tu ne souffres pas de quelque chose, tes disques vont tous finir par sonner pareil. Tu assimiles tout un tas de choses et tu les purges via ton art. » Chez Elli Medeiros, musique et véganisme ne se mêlent pas ouvertement mais cohabitent sans cesse : « On est une seule entité et chaque aspect de ce que nous sommes se reflète dans ce que nous faisons. Ce sujet passe donc dans tout ce que je fais, d’une manière ou d’une autre. » À l’époque des Stinky Toys, elle avait écrit un article intitulé “Le manger moderne” dans le fanzine Annie aime les sucettes, où elle énonçait des préceptes de l’alimentation végétarienne et récemment, elle a créé deux t-shirts pour Agnès b., dont l’un portait la mention “vegan punk”. Très présente sur les réseaux sociaux, la musicienne y aborde constamment le sujet du véganisme. Dans les réalisations de Maxime Ginolin, la question animale est omniprésente. Il a composé la chanson “A Song for a Heroe” dédiée à Paul Watson et à son association de défense des écosystèmes marins Sea Shepherd et souligne son profond respect pour les actions que mène l’association 269Life Libération Animale contre des abattoirs et des sociétés liées à l’exploitation animale : « Je serais très heureux de collaborer avec eux sur un projet artistique. Ils sont ceux avec qui je suis le plus en phase et qui ont mon appui le plus total. » Il a d’ailleurs donné deux concerts à Tel-Aviv il y a deux ans pour l’association 269Life qui en est le mouvement fondateur. Pour autant, l’artiste refuse d’être réduit à un musicien militant : « On m’a souvent étiqueté comme musicien végane, ce qui est dommage car mon travail artistique ne se limite pas à mon alimentation ou à mon engagement pour les animaux. J’écris, je compose, je chante, je réalise mes clips et films, je les monte et participe à la création des décors et des costumes. Et même si la cause animale est l’un des sujets qui me touche le plus, j’en développe beaucoup d’autres. »

 

Musique militante

Res Turner ©David Tavan - Longueur d'Ondes 82Chez d’autres au contraire, la musique est ouvertement un support pour la cause qu’ils défendent. Res Turner, qui se définit comme « un militant qui rappe », explique : « Mes combats ont pris la plus grande place dans ma vie. J’aime la musique et ce qui l’entoure, mais elle est en majeure partie un support pour les messages que je veux faire passer. » En plus de consacrer la majeure partie de ses morceaux à la cause animale, il a récemment interprété la chanson “Destins croisés”, dont il a écrit le texte, pour la campagne “Mode Sans Fourrure” de l’association Animalter. Il organise également des shows-conférences en milieu scolaire au cours desquels il partage ses convictions. Pour le groupe Velvetine, dont les trois membres sont véganes, « la cause animale n’est pas l’unique aspect de la création mais il n’y a aucune dissociation non plus ». La moitié des morceaux de leur dernier album Crematorial Dance aborde ce sujet et, en 2010, le groupe a publié le morceau et le clip “Un jour ordinaire”, une dénonciation directe de la mise à mort des animaux dits d’élevage : « C’était notre première contribution à la cause animale. Cette chanson fut le point de départ d’une collaboration avec l’association L214. Le premier objectif était de montrer la réalité de l’élevage et des abattoirs à un public non militant qui, à l’époque, était encore plus ignorant de ce qui s’y passait. L’idée était de parler au cœur et à la raison en évoquant cette réalité avec des mots, de la musique et des images. Le deuxième était de faire connaître à notre public L214 qui était alors une jeune association. » Des démarches militantes qui portent parfois leurs fruits. « Au cours des cinq dernières années, énormément de personnes m’ont remercié de les avoir fait évoluer sur ce sujet », témoigne Maxime Ginolin. Un constat que partage Res Turner : « Je reçois assez souvent des messages de personnes me disant qu’elles ont ouvert les yeux et changé leur régime alimentaire ou leur mode de vie grâce à mes chansons et mes clips. C’est la meilleure des payes que je puisse toucher ! »

 

Être musicien et végane peut prendre des formes et entraîner des engagements très différents, de la création d’une ligne de bottines véganes par Lilly Wood and the Prick en collaboration avec le chausseur Robert Clergerie, à l’activisme direct de Res Turner. Des différences de profils et une présence encore marginale qui ne permettent pas une véritable connexion entre artistes. Res Turner observe : « En France, la question du véganisme et des droits des animaux est quasiment inexistante dans la musique et encore plus dans le rap. Je suis très isolé dans le milieu par rapport à mes engagements. Aux États-unis ce n’est pas pareil, beaucoup des grands rappeurs sont véganes ou au minimum végétariens : Method Man, Red Man, Krs One, Common, Dead Prez, RZA… »

 

Velvetine ©May Lune Photographie - Longueur d'Ondes 82Le véganisme se développe dans le milieu musical comme dans le reste de la société : « C’est un éveil général qu’Internet a beaucoup accéléré car les informations deviennent bien plus accessibles. Aujourd’hui, il faut être de mauvaise foi pour prétendre ne pas savoir ce qui se trame dans les abattoirs, les élevages et toutes les industries reposant sur l’exploitation des animaux ! » note France de Griessen. L’évolution est peut-être plus rapide dans le milieu musical que dans le reste de la société, comme l’analyse Maxime Ginolin : « Les artistes sont souvent en avance sur leur époque. Ils ont une grande sensibilité et sont nourris par les émotions que leur inspire ce monde. Donc effectivement, je trouve le véganisme bien implanté dans le monde de la musique, ou du moins bien accepté. » Pour Stefan Mandine de Velvetine, « la société change à une vitesse incroyable. Il y a une prise de conscience que nous n’aurions même pas espérée il y a dix ans. De plus en plus d’artistes prennent position et œuvrent en faveur de la libération animale. Cette proportion suit l’évolution de la société et comme cette frange est influente, elle participe à la dynamique ».


Végétarien, végétalien, végane…

Quelques définitions s’imposent. Rappelons que les végétariens excluent toute chair animale de leur alimentation, tandis que les végétaliens y ajoutent les sous-produits animaux tels que le lait, les œufs et le miel. Les végans quant à eux s’opposent à toute forme d’exploitation animale et ajoutent donc à une alimentation végétalienne le refus de matières issues des animaux comme le cuir, la laine ou la soie, des produits testés sur les animaux ou encore des activités de loisirs impliquant leur exploitation comme certains cirques, zoos ou delphinariums.


Le rock, plus vert outre-Atlantique

Si le véganisme relève encore de cas isolés au sein de la scène musicale francophone, celle-ci compte en revanche un certain nombre de végétariens déclarés, de Diane Dufresne à Diane Tell en passant par Mylène Farmer, Arielle Dombasle ou encore Gogol 1er. De l’autre côté de la Manche ou de l’Atlantique en revanche, la liste d’artistes végétariens et véganes s’allonge. Aux plus militants tels que Morrissey, Paul Mc Cartney et Moby s’ajoutent entre autres Thom Yorke, Eddie Vedder, Kate Bush, Elvis Costello, Rob Zombie, Fiona Apple, Brian May, le guitariste de Queen, ou encore les regrettés Leonard Cohen et Prince.


Quand la cause animale inspire la chanson…

Nombreuses sont les chansons de Georges Brassens évoquant les animaux, auxquels il vouait une grande affection. “Le petit cheval”, interprétation d’un poème de Paul Fort, relate la triste histoire d’un cheval de trait dévoué tandis que “Montélimar” dénonçait déjà en 1976 les abandons d’animaux de compagnie pendant les vacances d’été. Cinq ans plus tôt paraissait la célèbre chanson “La cage aux oiseaux” dans laquelle Pierre Perret incitait à libérer les oiseaux prisonniers. Plus récemment, le morceau “Rouge sang” de Renaud évoque de multiples atteintes aux animaux, de la chasse à la baleine à la corrida. C’est l’opposition à cette dernière qui inspire à Francis Cabrel le morceau sobrement intitulé “La Corrida”. En 2007, Calogero fait avec la chanson “Drôle d’animal” le procès d’une humanité violente et destructrice et décrit l’homme comme « le moins humain des animaux ». Enfin, dans un registre beaucoup plus humoristique et beaucoup moins acquis à la cause, citons le morceau “Végétarienne” du groupe de hip-hop parisien TTC, portrait caustique d’une conquête végé.


Nico de Yalta Club ©Fred Lombard - Longueur d'Ondes 82

Smmmile le festival pop et végane

En 2016 avait lieu la première édition du Smmmile Vegan Pop Festival, trois jours mêlant musique, nourriture végane, ateliers, conférences et films sur l’écologie ou la cause animale. Quelques questions à l’un de ses fondateurs, Nicolas Dhers, par ailleurs membre de Yalta Club…

 

Comment est né ce festival que tu as fondé avec deux autres musiciens, Sylvain Tardy et Jean-Benoît S. Robert ?

Jean-Benoît en a eu l’idée alors qu’il participait à un festival dont l’ambiance et la musique étaient cool mais où il ne trouvait rien à manger, faute de proposition végé ! Nous partagions l’envie d’allier nos deux passions, la musique et l’engagement positif, et de proposer une sorte de militantisme pop !

 

Pourquoi est-ce important de créer une passerelle entre musique et véganisme ?

Il existe des salons ou des rassemblements véganes, mais pas de festivals de musique se revendiquant véganes. Nous souhaitions créer un espace festif et culturel où l’on puisse parler véganisme de manière ouverte car ce sujet est central dans la réflexion de nos sociétés pour un monde meilleur. Il est lié à la préservation de la planète, au respect de l’altérité et à la remise en cause des logiques de domination. De plus, nous sommes musiciens et pensons que la culture a un rôle à jouer pour accompagner et soutenir ces réflexions.

 

Que peux-tu nous dire sur la prochaine édition qui aura lieu du 15 au 17 septembre ?

Nous gardons la couleur sono mondiale de la première édition. Nous présenterons la nouvelle création de Bachar Mar-Khalifé, Ata Kak, Islam Chipsy et une soirée club dont Acid Arab fera la programmation. Nous prévoyons une soirée hip-hop dont le premier nom annoncé est Cakes da Killa. Puzupuzu sera en live gratuit dans le parc de la Villette toute l’après-midi et de nombreux autres noms arrivent !

Texte : Jessica Boucher-Rétif

Photos : Sly2, HSP, Thomas Bader, JF Aloïsi, Jordan Dorey, David Tavan, May Lune, Fred Lombard, Max Riche, Alice Daguzé, Adèle Rickard

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