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LA RUMEUR

La Rumeur en entrevue sur Longueur d'Ondes

Folie pure et dure

Si les politiques ne cessent pas de falsifier une réalité qui dérange, certains restent vent debout face à la manipulation du vivre ensemble. Ekoué, membre du groupe de rap le plus lucide de France, fait partie de ces derniers et ne compte pas la fermer devant le délitement du réel, entraîné par les faussaires d’idées. Entretien brûlant…

 

La Rumeur n’a pas l’habitude de lâcher l’affaire. Misère sociale, violences policières, pratiques refoulant toute notion de probité, ces rappeurs ont fait de la dénonciation un étendard, une marque de fabrique. Leur message aura même chatouillé les narines du Ministère de l’Intérieur en 2002, traînant Hamé l’un des membres du crew, dans un combat judiciaire de près d’une décennie. Sortis victorieux du procès face à Nicolas Sarkozy en 2010, ces gars de Pigalle sont peut-être les derniers gardes fou d’une société en proie à la schizophrénie. Près de cinq ans après sa dernière invective musicale Tout brûle déjà et au sortir d’une expérience de réalisation cinématographique (Les Derniers Parisiens, voir en fin d’article), le groupe de rap prépare son retour avec un nouveau disque qui, à n’en pas douter, apportera sa dose de soufre en ce bas monde. En attendant, on prend le pouls de la société française en écoutant la parole sage d’Ekoué.

 

La Rumeur sort un album en 2017, pourquoi cette volonté de sortir un disque à chaque année d’une élection présidentielle ?

Hasard du calendrier c’est tout. On n’a pas besoin de sortir un skeud en période électorale pour donner une couleur politique à notre démarche.

 

Pour évoquer cette campagne présidentielle, on a l’impression d’une escalade vers le pire…

Cette campagne est à l’image de celles et ceux qui la font et la commentent officiellement. On assiste à l’effondrement du système politique et de ses représentants. Plus rien n’est à sauver, aucun parti, aucun candidat. Toutes et tous s’accrochent comme des morpions aux privilèges de la puissance publique, mentent comme des arracheurs de dents et engrangent les deniers publics pour se constituer des patrimoines. C’est peut-être un peu schématique mais c’est malheureusement la vérité. Je prédis des taux d’abstentions record aux législatives.

 

Les intentions de votes attestent d’une percée du FN prégnante, notamment chez les jeunes, quel constat cela t’inspire-t-il ?

La même chose qu’à chaque élection. Cela fait bien longtemps que la famille Le Pen capitalise sur l’ignorance de son électorat et fait fructifier son business avec. Ce sont des hommes et des femmes d’affaires ni plus ni moins. La nièce n’a même pas fini ses études de droit, son grand-père l’a parachutée dans une circonscription acquise et elle empoche 12 000 € de salaire mensuel en sa qualité de parlementaire. Sa tante crache sur l’Euro à longueur de journée, mais pas sur les euros que lui confère son salaire de députée européen… Bref, des escrocs comme tant d’autres.

 

Le vivre ensemble disparaît-il vraiment ? Existe-t-il encore un semblant d’union entre les gens ?

Je n’ai jamais eu l’impression que les gens vivent ensemble. Chacun sauve son cul et se supporte dans la mesure de ses propres limites.

 

Quelles sont les perspectives pour la banlieue parisienne ? Va-t-on vers une ostracisation de plus en plus marquée ou penses-tu que les politiques réagissent au problème, ne serait-ce que par démagogie pour satisfaire l’opinion ?

J’opte pour la deuxième option… La politique étant une énorme machine à cash, tous les moyens sont bons.

 

Penses-tu que les nouveaux artistes rap aient encore envie de s’exprimer politiquement pour faire bouger les choses ?

Ils ont fait (ou ils font) ce qu’ils peuvent, anciens comme nouveaux. Tant qu’ils arrivent à faire bouffer leurs gosses avec, c’est déjà pas si mal. Quant à exprimer des choses politiquement, cela fait un bail que je n’attends plus rien de ce côté-là.

 

Quel regard portes-tu sur la jeunesse et son avenir ?

Des raisons d’espérer pour celles et ceux qui s’accrochent sur le chemin du savoir et de l’instruction. Pour le reste, c’est chaud !

 

On a assisté à la réunion d’anciennes têtes du rap en France au travers du collectif baptisé “L’âge d’or du rap français” ; vous n’avez pas été convié ?

J’ai vu ça effectivement, ça me fait un peu penser aux Stars des années 80 avec Jean-Luc Lahaye et les “Démons de minuit”… Bref, si ça peut permettre à certains de prendre un dernier petit billet et des points de retraite supplémentaires, j’ai envie de dire tant mieux pour eux. Pour le reste, tu penses bien, si nous avions été conviés nous aurions poliment refusé l’invitation… Il ne faut pas déconner quand même !

 

La Rumeur fête son 20e anniversaire, quel bilan fais-tu des ces deux décennies, personnellement et artistiquement ?

On fait des disques, on édite des livres, on écrit, réalise et produit des films, on s’éclate en concert… Je me dis que nous avons bien fait de rester sur notre ligne parce que j’ai toujours su qu’elle serait payante. Après, il faut travailler davantage et avoir les neurones constamment en marche !

 


Les Derniers Parisiens

Les derniers parisiens - Longueur d'OndesDéjà auteurs d’une série télévisée sur l’univers du rap, “De l’encre”, diffusée sur Canal Plus, réalisant eux-mêmes leurs clips, La Rumeur voit le 7e art comme un prolongement naturel dans son parcours. Ce premier long métrage financé de manière indépendante dresse le portrait d’un quartier en pleine mutation, Pigalle, touché par le phénomène sociologique du moment, la gentrification. Une expérience qui selon les dires d’Ekoué n’a pas changé leur manière de faire du son. « Au final la musique et le cinéma sont deux choses complémentaires, le plus important dans ces deux arts reste l’écriture. »

 
 
 


>> Site de La Rumeur

Texte : Julien Naït-Bouda

Photo : DR

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