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KENT & RADIO ELVIS

Kent Radio Elvis ©Christophe Crenel - Longueur d'Ondes

La rencontre

Cette année, Kent fête ses quarante ans de carrière. Il incarne tout un pan de la musique française. On peut raisonnablement considérer les Radio Elvis comme ses fils spirituels. L’occasion de provoquer une rencontre entre son leader et l’ex-Starshooter.

 

Cet anniversaire, en es-tu fier ?

Kent : Je suis toujours là et je m’intéresse à tout ce qui se fait. La longévité est une chose. Se renouveler en est une autre. Le jour où tu ne te renouvelles plus, il faut arrêter, fermer la boutique. Lorsque je vois Radio Elvis en concert, cela me donne envie de continuer ! Je pense aussi qu’il faut laisser la place aux autres. À 20 ans, je pensais qu’un chanteur de trente ans était un vieux chanteur…

Radio Elvis : C’est vrai que le vieux chanteur de variét’ qui passe à la télé et joue son vieux tube en playback, alors qu’il n’a plus rien sorti depuis des siècles, ça me saoule. Et pendant ce temps, tu es là, en coulisses, à attendre six heures que ton tour arrive. Je ne parle pas par rapport à l’âge ! Le talent n’en dépend pas.

Kent : C’est pire encore aujourd’hui qu’à mes débuts. À l’époque de Starshooter, j’ai écrit un morceau anti-Beatles à cause de cela ! J’en avais marre que l’on parle de leur énième compile, alors qu’il y avait plein de nouveaux groupes intéressants. Lorsque je suis dans un centre commercial et que j’entends Berger, Balavoine, ça me fatigue. Lorsque j’ai commencé ma carrière solo et que Patrick Sébastien me disait de jouer “Betsy Party” parce que les gens la connaissaient, ça m’énervait…

 

Pierre, tu imagines une carrière de quarante ans comme celle de Kent ?

Radio Elvis : L’album Metropolitain est l’album par lequel j’ai connu Kent. J’ai longtemps cru que c’était un disque de Ken, le fils d’Higelin, parce que lorsque ma mère me l’avait offert, elle m’avait dit cela. Je me suis longtemps imaginé avoir en effet la carrière de Kent, Bashung ou encore un parcours comme Brel, faite de mille vies. On recherche dans ce métier la reconnaissance de ses pairs. C’est plus important que de vendre des disques. J’ai été heureux d’être adoubé par Nicolas Jules. C’est quelque chose qui m’a touché ! Mais je ne pense pas vouloir être un vieux qui s’accroche à sa place à 80 ans.

« Chez moi, les Stooges côtoient Souchon. » Kent

 

La création n’use-t-elle pas ?

Kent ©Christophe Crenel - Longueur d'OndesKent : L’inspiration n’est pas une chose facile ! C’est un étonnement permanent… Cela fait bien quinze ans que je me dis lorsque je sors un nouvel album que ce sera le dernier. Écrire des chansons est quelque chose de simple, mais en écrire qui ont une cohérence, c’est beaucoup plus compliqué. Trouver des accords que tu n’as pas encore fait n’est pas chose aisée. J’ai bossé sur mon nouvel album avec Tahiti Boy qui, comme Pierre de Radio Elvis, était fan de Metropolitain… Travailler avec des jeunes aussi talentueux te met un sacré coup de boost.

 

Comment vous êtes-vous connus ?

Kent : Pierre a fait ma première partie aux Trois Baudets, il y a trois ans. Je le voulais car j’aimais beaucoup ce qu’il faisait, même si aucun album n’était encore sorti. Il est beaucoup plus intéressant de se comparer aux gens de la nouvelle génération qu’à ceux de la sienne.

Radio Elvis : J’avais demandé à faire la date en solo, parce que la scène était trop petite pour le groupe au complet. J’étais très fier d’ouvrir pour Kent ! Pour moi, c’est quelqu’un qui, à l’instar d’un Bashung, ne cesse de se renouveler musicalement.

 

Vous êtes tous les deux dans un univers musical qui est à mi-chemin du rock et de la chanson…

Kent : Il n’y a pas de scission entre les deux. C’est propre au paysage musical français que de penser ainsi. La presse a tendance à cataloguer les artistes. Ils vont te descendre s’ils s’attendent à un album de chansons et qu’il sonne rock ou l’inverse. On n’arrive pas à sortir de ce clivage et c’est dommage ! Le public, lui, n’a pas ces à priori. Autrefois, j’avais rangé ma discothèque par genre musical. Récemment, je me suis dit que ce serait bien de le faire par ordre alphabétique ; et c’est comme cela, maintenant, que chez moi les Stooges côtoient Souchon… La musique est de plus en plus segmentée par rapport à l’époque de Starshoot’, où il y avait la variété et le rock. Quand je lisais Rock & Folk (qui était ma bible), je connaissais tous les groupes et même ceux que je n’aimais pas.

Radio Elvis : De notre côté, par exemple, nous ne sommes pas assez rock pour Rock & Folk. Je trouve que l’on devrait s’en foutre de ce que tu aimes ou pas. J’adore Nekfeu, mais lorsque je le dis, on ne me prend pas au sérieux ! Ce que dit Kent est vrai : il y a de plus en plus de niches dans la musique. Le fait que Radio Elvis soit entre rock et chanson fait que l’on n’a pas de famille. Lorsqu’on est programmé dans un festival, j’ai l’impression que l’on est potes avec tout le monde, mais que tout le monde n’est pas potes avec nous !

« Moi, j’adore Nekfeu, mais lorsque je le dis, on ne me prend pas au sérieux. » Radio Elvis

 

Vous chantez tous les deux en français. C’est une évidence pour vous ?

Pierre (Radio Elvis) ©Christophe Crenel - Longueur d'OndesRadio Elvis : C’est ma langue, donc je trouve logique d’écrire en français. C’est la langue que tu maîtrises le mieux. Et puis, je trouve que l’on sous-estime trop les sonorités de cette langue. On se met parfois une pression qui n’a pas lieu d’être. On ne parle jamais des textes de Grand Blanc, parce que c’est minimaliste avec un esprit assez punk… et c’est dommage ! Grand Blanc a fait un mémoire sur Yves Bonnefoy et je trouve leurs textes fabuleux.

Kent : On chante en français, parce que c’est notre langue maternelle. Si tu as envie de dire le plus justement les choses, chanter en anglais, c’est déjà être quelqu’un d’autre ! Après, je comprends pourquoi certains chantent dans cette langue : parce que l’on s’inscrit dans le rock pur, parce que ça ne s’entendra pas que je n’ai rien à dire ou, à l’opposé par pudeur, car je n’ose pas que l’on comprenne ce que je dis. Il y a un complexe des maisons de disques en France par rapport au marché international, estimant que pour celui-ci, tu dois chanter en anglais. C’est faux ! J’ai joué il y a quatre ans en Chine, dans un festival entre un groupe de rap américain et un groupe de hardcore chinois et j’y ai été présenté comme artiste international.

 

Pierre, comment ressens-tu l’industrie musicale aujourd’hui ?

Radio Elvis : Moi, je rêvais de choses à l’ancienne : être dans une maison de disques, avoir un manager, des gens qui s’occupent de nous. On a eu les moyens de ce que nous voulions, pour le studio, l’enregistrement. La chose qui a changé, c’est qu’aujourd’hui tu dois jouer live le plus souvent possible. On est content d’être chez [PIAS] car ce sont des gens qui sont fans de musique. Nous n’avons jamais cassé les majors, parce que la différence entre une major et un gros indé comme Because est minime ! Et je pense que le budget de Tôt ou Tard, qui est un indé sur Vianney, est digne de celui d’une major…

Kent : Ha ha. C’est leur force : ne pas avoir connu l’époque d’avant.

 

Texte : Pierre-Arnaud Jonard

Photos : Christophe Crénel

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