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RIVKAH

RIVKAH en entrevue dans Longueur d'Ondes

À l’occasion de la sortie digitale de son dernier album Birthdayz (chez Believe), rencontre avec l’enchanteresse Rivkah (alias Rebeka Hasson). Des chansons qui nous ressemblent. Des pop songs féériques.

En 2016, Rivkah fête dix ans de musique (et cinq disques au compteur), son dernier album se nomme donc Birthdayz. Cependant, la tonalité n’est pas spécialement à la joie. Il pourrait même s’agir de son opus le plus inquiet, le plus instable peut-être ? « En fait Birthdayz me paraissait évident pour un titre d’album qui fête mes 10 ans de musique officielle et mes 40 ans de vie, explique Rivkah. Après, le contenu est parfois teinté d’humour mais effectivement tous les sujets abordés ne sont pas drôles. Cela vient du fait que chaque album résume en général les deux années qui viennent de s’écouler dans ma vie et il est vrai que ces dernières ont été particulières. De plus, un anniversaire n’est pas toujours festif. »

Cette inquiétude ressentie s’exprime à la fois par l’aspect autobiographique du disque (une constante, chez Rivkah), mais également par l’universalité en découlant : « Mon coté autobiographique, je ne le prémédite pas et je pense que, comme on est jamais vraiment seul au monde à vivre et avoir des expériences, d’autres peuvent s’y reconnaître et cela devient un partage ou un point commun. »

Effectivement : cette idée de partage, ou d’identification, s’exprime dans une chanson en hommage à la célèbre activiste Madeleine Riffaud. Soudainement, l’Histoire fraye avec l’intime. Rivkah : « Madeleine Riffaud est une femme que j’ai vue dans un documentaire en compagnie d’autres femmes formidables, mais elle m’a particulièrement touchée. D’abord par sa façon de parler, son coté titi-parisien doux avec son cigare, ses jeans et sa longue tresse… De même, il y a dans sa vie des tas de croisements avec les vies de mes quatre grands-parents : en premier, elle devient résistante à Paris et prend carrément les armes ; au même moment, mon grand-père paternel turc-juif se retrouve à Drancy et ma grand-mère paternelle polonaise-juive se cache sous un faux nom espagnol. Ensuite, comme elle a commencé à écrire très jeune ses poèmes, elle rencontre Paul Eluard et Hô Chi Minh, devient grand reporter en Indochine. Mon grand-père maternel était Indochinois et n’a eu aucune trace de sa famille après la guerre. Après avoir couvert l’Algérie et le Vietnam, elle revient en France et se trouve à observer les infirmières et en écrire un livre qui raconte la difficulté de ce métier. Ma grand-mère maternelle, qui est arrivée de Suisse au commencement de la guerre pour aider les Français, a été infirmière pendant de très longues années à l’hôpital Curie. »

Ce titre hommage a permis à Rivkah de rencontrer Madeleine Riffaud : « J’ai eu la chance de la rencontrer car je lui ai envoyé ma chanson. Elle est incroyable, si vivante et si forte alors que sa vie a été remplie dès le départ de tant de moments tragiques et difficiles. »

Autre point abordé dans Birthdayz, à deux reprises : le souhait de maternité. “A Life Alive” et “Adoptable” questionnent violemment le sujet. En quoi ce thème, aujourd’hui, devient-il un domaine à aborder avec urgence ? « “A life Alive” est assez directe, c’est vrai, mais vivre la perte d’un bébé (si petit soit-il) est tellement violent… Pour “Adoptable”, inversement, je ne trouve pas que ma chanson le soit, j’ai plutôt essayé de prendre avec humour les moments où on t’examine psychologiquement et « logistiquement » pour voir si tu as « droit » d’élever un enfant… »

On sent Rivkah assez critique sur le sujet. « Ils ont raison de faire comme cela et d’être précautionneux car les enfants adoptés ont déjà un parcours de vie si compliqué qu’il est impensable de les confier à des gens qui risquent de leurs faire vivre encore des choses troublantes. C’est un sujet qui me touche depuis mon plus jeune âge car je me suis toujours vue mère. Le problème, à mon sens, est que la difficulté de faire un enfant après 35 ans existe et qu’on ne le sait pas assez. En parler pourrait aider d’autres personnes ; et puis l’adoption c’est très difficile, il y a énormément de demandes pour peu d’enfants à adopter de nos jours. En plus, ils ferment petit à petit les frontières et adopter à l’étranger devient également de plus en plus dur et très cher – alors qu’à l’étranger il y a un paquet d’orphelins ! »

Le spleen ressenti à l’écoute de Birthdayz ne viendrait-il pas du contexte des derniers mois (social, intime) ? L’album apaise à la première écoute, mais, pour ceux connaissant les précédents travaux de la musicienne, ressemble également au plus tortueux de sa discographie. Disque en trompe-l’œil ? « En fait, au moment de l’enregistrement (en décembre), j’ai perdu mon cinquième bébé, alors oui, ça s’entend carrément, j’ai même parfois du mal à dire qu’il s’agit de mon dernier album, à certains moments je reste fixée sur Shara (NDLA : précédent disque de Rivkah). C’était très près des attentats de novembre et l’atmosphère restait étrange… C’est important que mes albums aient vraiment la couleur de l’ambiance du moment. »

Ne pourtant pas croire au journal intime (superbement) mis en musique. Si l’écrin folk / jazzy incite à l’interprétation autobiographique, on trouve chez Rivkah beaucoup d’ouvertures au monde (comme le prouve, si nécessaire, l’hommage à Madeleine Riffaud). Les chansons de Rivkah nous parlent car, banalement, nous partageons avec elle des inquiétudes et des questionnements similaires, une vision effrayée de la société contemporaine, un constat à l’encontre de certaines règles bureaucratiques. À sa façon (modeste, discret), Birthdayz est un disque « engagé ».

>> rivkah.fr

Texte : Jean Thooris
Photo : Mina Murray

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