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TURC MECANIQUE

<Entrevue avec Charles Crost du Turc Mécanique sur Longueur d'Ondes

 

Une autre idée de la musique…

Le label indépendant Le Turc Mécanique tient sa sauterie annuelle le weekend du 3 au 6 septembre à Paris. L’occasion de s’entretenir avec son fondateur, féru de musique indépendante devant l’éternel mais pas que…

Dans le mille-feuille du paysage musical, certains paressent allègrement quand d’autres s’échinent à rendre ce petit monde meilleur. C’est le cas de Charles Crost, fondateur du label Le Turc Mécanique, qui depuis maintenant quatre ans, œuvre sans relâche pour donner plus de lumière aux obscures talents de la scène musicale francophone. A l’occasion de l’anniversaire du label, ce dernier organise un festival de trois jours à La Station – Gare des Mine à Paris, au prix famélique et féerique de 15 euros pour les trois jours. Un nouveau pallier de franchi pour ce passionné dont la vie se veut constamment rythmée par et pour la musique.

  • Salut Charles, après quatre ans d’existence, ton label Le Turc Mécanique tient un festival sur trois jours, une concrétisation en soi ? Peux-tu nous rappeler brièvement les étapes importantes dans la création de ce label ?

C’est la première fois que je me sens de me mesurer à un format de cette taille. Il faut dire que les conditions sont réunies : un spot chanmé à Paris et un accueil qui permet tout ça sans que l’on ait à nous éloigner des valeurs de la maison. Merci la Station. Les groupes y ont aussi mis du leur, personne n’est là pour faire un cachet ou quoi, c’est pas notre style. Faut que les gens aient en tête que se sont surtout les artistes qui rendent ça possible. On a rarement vu un festival impliquant 21 lives et DJ sets sur trois jours avec un pass complet à 15 boules. Et ça, ça rend fier. Historiquement, on arrive à la 4ème année d’exercice du label, on dépasse les vingt sorties, le rythme ne cesse de s’accélérer. Il y a un an et demi, on organisait l’anniversaire du label dans une salle qui ne pouvait comporter que 80 personnes, sur deux jours. A la Station on n’en rentre pas loin de 1000, c’est une autre paire de manche !

On s’est dressé au départ contre des apparatchiks de la musique dite « indie », ceux-là mêmes qui n’ont jamais fini de chouiner après la crise des années 2000.

  • Lors de notre première rencontre tu m’avais évoqué une mouvance particulière et inhérente à l’autoproduction sur Paris depuis une dizaine d’années…?

Ce n’est pas l’autoproduction en elle-même qui est intéressante : techniquement, tout le monde s’enregistre seul ou à ses frais en 2016, sauf sur des labels subventionnés, ce qui n’est ni le cas du Turc Mécanique ni le cas d’aucun de nos amis. C’est devenu une norme. Ce qui est intéressant, c’est que l’on s’est dressé au départ contre des apparatchiks de la musique dite « indie », ceux-là mêmes qui n’ont jamais fini de chouiner après la crise des années 2000. Aujourd’hui, on est bel et bien en train de prendre leur place, en termes d’impact, de visibilité, de soutien « populaire ». Je parle de nous, mais aussi des potes que peuvent être des labels comme Teenage Menopause ou Howlin Banana, pour ne citer qu’eux. Ceux que l’on qualifiait autrefois de « micro-label » sont en passe de devenir les principaux vecteurs de la musique intéressante d’aujourd’hui. On vit la victoire de la qualité des disques, de la spécificité des groupes et des choix radicaux sur les calculs, les « projets », la budgétisation ou encore le « développement ». Ça, c’est très excitant. C’est aussi le signe de la précarisation de la musique. Ça, ça ne nous pose pas de problème, on est « nés » avec ça, on ne fait pas de plan et la plupart d’entre nous n’aspire même pas à rentrer dans leurs frais. C’est le jeu tel qu’on l’a envisagé dès le départ.

  • Qu’attends-tu de ce festival et de ces retombées (financières, médiatiques…) ?

Objectivement, j’en attends surtout une fête monstrueuse et mémorable. Un joyeux bordel et surtout, et c’est là l’essentiel, un vrai moment de camaraderie : pour la première fois, tout le gang sera au même endroit, au même moment. C’est aussi un coup de force, une manière de montrer qu’on peut réunir beaucoup de monde tout en ne proposant que des gens de la maison. On n’a pas ramené de grosses têtes d’affiche extérieures, c’est un choix volontaire. On n’en a pas besoin. Je crois que les guests, c’est pas trop notre truc de toute manière, on préfère s’aligner tous ensemble. C’est un festival « Que la famille » ! (référence au titre magique de PNL)

  • J’ai constaté que Marble Arch ne figurait pas à l’affiche, une raison ?

A la sortie de son disque, il était déjà une exception pop dans un label qui a toujours eu vocation à frapper plus dur. Mais on n’a jamais su vraiment trouver un rythme de travail ou une façon de se parler, de bosser ensemble. Ça doit faire bien un an que je n’ai pas eu un mail de sa part, sur quoi que ce soit. De fait, et sans heurt aucun, il ne fait plus partie du Turc Mécanique aujourd’hui.

Il y a dans tous les disques labélisés par le Turc Mécanique un même « malaise contemporain…»

  • Peux-tu rappeler justement, pour ceux qui ne connaissent pas ton label, la couleur musicale dominante de ce dernier ?

Avec le temps, j’en viens à dire que c’est un label de punks, dans le sens où on est une maison qui rassemble des gens qui sont punk. Mais en 2016, se cantonner à faire des disques avec les trois même accords de guitare me semble absurde. Les punk ne jouent pas que de la guitare et heureusement. Partant d’une certaine idée du post-punk et de la cold wave, j’ai librement élargi à la techno, à des choses plus pop ou carrément industrielles quand un projet me semblait coller à un ADN commun. J’aime bien dire qu’il y a dans tous les disques un même « malaise contemporain » et que c’est le liant dans la sauce. On vit dans une époque merdique, on le sait, on ne fait pas semblant d’être heureux. En rigolant, on pourrait dire qu’on est certainement une bande de dépressifs nihilistes et on est très heureux de le faire savoir, un truc comme ça.

 

  • A quel genre de public s’adresse les disques sortant sur ton label ?

A ta petite sœur de 14 ans comme à des papas de 50 balais. Je ne veux pas penser comme ça, on n’est pas dans une école de commerce. Si un disque me semble pouvoir faire partie du catalogue, je le sors, voilà tout. Après, de fait, on a d’abord intéressé des gens qui avaient envie de voir autre chose dans le paysage, d’écouter une musique différente, qui n’aiment pas qu’on se foute d’eux. Des militants de la musique. Mais il n’y a pas qu’eux. Aujourd’hui, le label plait aussi à des « civils ». J’entends par là des gens dont la vie n’est pas uniquement orientée autour des bacs à disques du shop Born Bad. Des kids qui font la teuf en club tout le week-end et qui se retrouvent dans ce qu’on propose, parce qu’on a une énergie assez proche de ce qu’ils vivent. Des parents qui collectionnent des disques de Grauzone et qui sont tombés sur Strasbourg, puis ont topé le Jardin. Toute une faune hétéroclite mais éclairée. C’est une des grandes satisfactions de l’évolution récente du Turc Mécanique.

  • Quelle volonté et philosophie prédominaient et prédominent aujourd’hui derrière la tenue de ce label qui fête maintenant ces quatre ans ? L’as-tu créé dans une perspective individualiste ou altruiste ? Comment vois-tu le futur de tes activités ?

C’est toute la question. Entre mon boulot de jour, ma passion récente pour la house music et la promotion de fête club (Jeudi Minuit à la Java ou Mon Cul Est Une Autoroute du Soleil), je suis constamment au bord du crash, j’ai toujours 10 000 trucs en retard à gérer, je dois m’organiser une semaine avant pour aller prendre un pot avec un copain. Le label reste naturellement ma priorité.

Certains me disent que je devrais prendre quelqu’un pour m’aider. Mais je ne vais pas proposer à un type de devenir mon « associé » dans ce qui est une entité ultra chronophage et un immense aspirateur à pognon. « Viens perdre ton temps et ton fric pour me seconder ». C’est un peu chelou, non ? Certain fans du label m’aident financièrement, ils ont pris la Carte Cold, un système de don à 10 balles par mois qui leur permet d’écouter les disques avant même qu’ils ne partent à l’usine.

Après quatre ans, je reconnais que je commence à peiner à être sur tous les fronts. Mais dès que je lève le pied, je m’ennuie. Comme toujours : « Jusqu’ici, tout va bien ». Donc je vais continuer comme ça et finirai vraisemblablement par déléguer des choses au moment où ça se justifiera, sous la forme qui me semblera la plus adaptée.

(c) Quentin Pierce (avec Bajram Bili et Jardin dessus, à l'Epicerie Moderne de BXL) - Turc Mecanique x Longueur d'Ondes

  • Comment juges-tu la création musicale à Paris ? La trouves-tu en ébullition ? Et de manière plus générale quel regard portes-tu sur la scène francophone ?

A Paris, il ne se passe pas grand-chose : on n’a besoin de trop de fric pour vivre, on a trop peu d’espace et de temps pour travailler. Disons ce qui est : il n’y a pas beaucoup de bons groupes à la capitale et une bonne partie sont sur Le Turc Mécanique.

Je sens un petit coup de mou généralisé en France ces temps-ci. Il y a moins de nouveaux projets, les groupes jaillissent moins des réservoirs qu’ont pu être Strasbourg, Bordeaux ou Lyon par exemple. Mais il y des trucs mortels malgré tout, genre Nina Harker ou Rien Virgule qui débarquent sans bruit et ravagent tout.

De mon côté, j’ai déjà plus de 10 albums qui sont sur les starting blocks, des anciens comme des nouveaux groupes, et tout démonte, donc j’ai pas à me plaindre à ce niveau-là, je suis plutôt chanceux.

  • Un petit mot sur La Station – Gare des Mines, tu sembles y avoir élu résidence durant l’été ? C’est un spot qui défend le secteur de la musique indé de manière pertinente ?

Ça ressemble pas mal au paradis ouais : un lieu ouvert plutôt très grand, un soundsystem de qualité, une sécu pas relou, une prog en béton armé entre rock’n’roll et techno-indus, un staff compétent qui ressemble pourtant à une bande de copains… J’y ai passé l’essentiel de mes soirées cet été, que ce soit pour y jouer en DJ ou pour venir supporter des potes, comme Danger Records. A chaque fois, j’ai passé des super moments. J’espère que la SNCF laissera au collectif Mu la charge du spot après leur première saison, parce que pour le coup, ils ont vraiment créé quelque chose d’important.

Le site du Turc Mécanique

JULIEN NAÏT-BOUDA

 

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