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MARC NAMMOUR

CANAILLE-FULL-03-worked- Crédit coin-print

« Le rap grand public est vénal et ne s’en cache pas. »

Porte-parole de La Canaille, collectif hip-hop formé en 2003, également présent dans Zone Libre et bien d’autres projets musicaux, Marc Nammour est un artiste autant engagé qu’enragé, acteur d’un rap téméraire et militant dont le message reste clairement l’élément central.

  • Quel est ton point de vue sur le rap d’aujourd’hui ? Cette musique, par nature contestataire, a-t-elle perdu en combativité ce qu’elle a gagné en renommée ?

Vaste question… Je ne parlerais pas de rupture mais plutôt d’évolution. Au niveau de l’industrie, le rap a clairement pris de l’ampleur. Il y a bien plus de groupes qui sortent par rapport aux années 90. Plus de sorties indépendantes également. C’est devenu un véritable marché. Ce n’est plus une musique de niche ou réservée à un public issu des quartiers populaires comme dans les années 90. Tout le monde en écoute.

Le revers de la médaille c’est que les caricatures sont encore plus poussées. Au niveau artistique, là où il y a les plus grands progrès, c’est dans les productions et le flow. Le son est beaucoup plus travaillé. L’usage du sample est moins récurent pour faire place à des compositions originales plus personnelles. Les façons de poser les mots se sont quant à elles complexifiées. C’est de plus en plus technique. Après, je pense qu’il y a toujours la même proportion de rap commercial, ghetto, subversif ou festif. Je ne fais pas partie de ceux qui avancent l’idée que c’était mieux avant. La nostalgie empêche d’avancer. Certains projets me font plaisir et d’autres me font honte. Tout dépend de la plume et du positionnement de l’artiste.

  • Le rap doit t-il forcément être militant ?

Non, pas forcément. Mais le rap que j’aime est ancré dans le réel. Dans les morceaux légers comme dans ceux plus profonds. Ce rap-là est un témoin. C’est quelqu’un qui raconte sa vie à l’auditeur et lui fait ressentir que c’est la sienne. Qui lui décrit une situation dans laquelle il peut se projeter parce qu’elle lui est familière. Ce n’est qu’un prétexte pour raconter le monde en fin de compte. Donc, forcément, il y a une dimension politique en filigrane. Comme le rap reste à l’origine l’expression musicale des quartiers populaires, la question de l’émancipation est centrale. Ce n’est pas par hasard qu’on le retrouve dans toutes les lignes de front du globe. Il a dans ses gènes un “groove“ debout et digne !

  • On constate que les grandes radios spécialisées en musiques urbaines ont totalement délaissé le rap contestataire depuis plus d’une dizaine d’années. Pourrait-on penser qu’il a disparu ?

Il n’a pas du tout disparu, il a simplement très peu de visibilité. Pour le rap, comme pour tous les autres styles de musique d’ailleurs, la face visible du mouvement est de plus en plus consensuelle et policée, pour ne pas dire vide de sens. Aujourd’hui, tous les groupes que j’écoute, tous styles confondus, ne passent pas à la radio ni à la télé. Ce n’est pas parce que j’ai des goûts trop pointus, c’est juste qu’il n’y a plus de place pour ces artistes.

Nous vivons à l’ère d’une dictature du divertissement. Les grands médias n’éclairent que des projets qu’ils jugent parler au plus grand nombre. Ils sont dans la course à l’audience ou aux résultats et pensent qu’en proposant une musique “easy listening”, ils mettent toutes les chances de leur côté pour améliorer leurs chiffres. Voilà pourquoi aujourd’hui les mélomanes ont fini par éteindre leurs postes et vont écouter la musique sur le net. Quand on sait que la plupart des médias sont détenus par des grands groupes financiers (Axa pour Skyrock par exemple), il ne faut pas s’étonner du contenu qu’ils choisissent de mettre en avant…

  • Est ce que les grandes maisons de disques exercent une pression sur les rappeurs pour les pousser à se censurer ou le font-ils de leur plein gré ?

Je ne pourrais pas parler en leurs noms. De mon côté, toutes mes sorties se font sur mon label ou sur celui de mes amis. J’évolue dans une scène où nous sommes nos propres maisons de disques. Nous montons nos structures pour nous éviter justement ce genre de situation et rester maître de notre direction artistique. Après, ça m’étonnerait qu’un directeur artistique bataille pendant longtemps pour imposer ses choix. Si un rappeur se retrouve dans un bureau de major et accepte leurs conditions, c’est uniquement pour l’appât du gain. Il sait où il met les pieds ou alors avec un peu de jugeote il va le découvrir assez rapidement. Cet artiste fait un pari commercial en espérant que ça va lui rapporter gros. Il n’a pas besoin qu’on le censure, il le fait tout seul comme un grand. Ce genre de personne n’avait pas, de toute façon, une conscience politique ou une vision artistique subversive à la base. Sinon, il aurait déjà fait demi-tour avant même sa première prise en studio.

  • Cette musique, victime de son succès, se serait-elle embourgeoisé ?

Le rap devenu grand public n’est pas victime de son succès, il en est acteur. Il l’a bien cherché ou en tous cas, il a durement travaillé pour. Il est vénal et ne s’en cache pas. Mais ni plus ni moins que les autres grandes figures de la variété. Comme eux, il assume ne rien revendiquer à part tenter de divertir. Pourquoi le rap serait-il le seul à se faire taxer de capitaliste quand il veut faire de l’argent et chanter des chansons creuses ? Le haut de l’iceberg est sclérosé, c’est un fait, il n’y a qu’à voir la tronche du top album.

Heureusement qu’à coté de cette mascarade commerciale, de cette boulimie de guimauve et de chantilly, de ces buzzs grossiers et éphémères de communicants, il y a toujours des résistants de la culture qui s’évertuent à défendre une intégrité, une éthique et une esthétique sans concessions.

 

 

  • A ce propos, quels groupes de hip-hop, anciens et récents, représentent pour vous le vrai militantisme musical ?

Je ne citerai que des plumes contemporaines françaises sinon je ne m’en sortirais pas : La Rumeur, Rocé, Vîrus, Lucio Bukowski, JP Manova, Billie Brelok, Casey, Gaël Faye, Kenny Arkana ou encore D’ de Kabal.

  • Le rap a-t-il encore aujourd’hui cette capacité à déranger ?

Il y a presque autant de raps que de rappeurs. Dire s’il dérange de manière générique est impossible. Par contre, il y a un rap qui dérange, ça c’est évident ! Un rap qui n’a pas la langue dans sa poche, qui ne se contente pas de postures pseudo- rebelles, d’ego-trips graveleux ou d’effets de style pour adolescents. Celui-là, il faut creuser pour le découvrir, être curieux car il évolue à la marge.

  • Quels combats seraient à mener au-delà de la musique pour être acteur d’un véritable changement ?

Le véritable changement ne peut se jouer que sur le terrain politique. C’est le politique qui rédige les lois ou les abroge, l’artiste ne fait que proposer une oeuvre. Une chanson aussi bien soit-elle ne pourra changer le cours des choses. Par contre, elle peut participer à diffuser des valeurs, mettre en lumière des événements, soutenir des luttes, etc… Donc si quelqu’un veut vraiment s’impliquer pour changer le monde, il a l’embarras du choix : se retrousser les manches au sein d’un parti, d’une organisation ou d’une association. Car il y a du boulot !

Entrevue à lire dans le Longueur d’Ondes été 2016 / magazine N° 78

Site de Marc Nammour

Texte : ZIT ZITOON
Photo : COIN PRINT

 

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