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JEAN-MICHEL RIBES

JEAN-MICHEL RIBES en entrevue sur Longueur d'Ondes - magazine ete 2016 - Photo : GIOVANNI CITTADINI CESI

Résistant

A l’entrée du théâtre parisien du Rond-Point qu’il dirige, une affiche annonce la couleur : « On ne vous empêche pas de croire, vous ne nous empêcherez pas de penser. » Jean-Michel Ribes, dramaturge subversif et militant, prône la résistance. Selon lui, l’engagement des artistes et des musiciens doit d’abord passer par le rejet du prêt-à-penser.

  • Les musiciens en particulier, et les artistes en général, sont-ils moins engagés qu’autrefois ?

Je ne suis pas sûr. Je crois en revanche que les formes de l’engagement ont changé. En 2011, par exemple, j’ai monté René l’énervé, une épopée chantée en réaction à Nicolas Sarkozy. Cet homme n’était pas à la hauteur des Français, il fallait faire quelque chose ! Pour ne pas sombrer dans l’aigreur, j’ai choisi la forme de l’opéra-bouffe.

Mais aujourd’hui, qui est la cible ? Qui incarne le mal contre qui lutter ? C’est bien plus compliqué que lorsque le FN se limitait, par exemple, à la figure xénophobe de Jean-Marie Le Pen ou encore à Berlusconi, il y a quelques années en Italie. La menace est différente, notamment parce que les idéologies sont devenues floues. Aujourd’hui, le rejet de la mondialisation se retrouve aux deux extrêmes. Les lignes vacillent. Nous nageons dans un marécage mou des idées, où les amalgames et la confusion sont rois. Un véritable brouillard-bouillie-brouillon. La gauche comme la droite ne proposent plus de valeurs qui permettent d’aller mieux et de penser (panser ?) le monde.

Le sérieux, c’est le cholestérol de l’imaginaire !

  • Le FN, pourtant, est toujours là. Marine Le Pen gagne du terrain tous les jours. Pourquoi ne pas se lever contre ce parti ?

Peut-être parce qu’en se banalisant, en normalisant sa participation au jeu politique, le FN est devenu médiocre. D’un point de vue artistique, personne n’a envie de mettre la médiocrité sur scène, même pour la dénoncer : ce serait lui faire trop d’honneur.

Surtout, le véritable danger n’est plus aujourd’hui franco-français. Il est bien plus grave que notre seul FN : il s’agit de la montée des ténèbres dans toute l’Europe, de l’obscurantisme qui, partout, s’empare à nouveau des esprits. En Hongrie, en Autriche, en Suède, les mouvements bruns et racistes, nourris du rejet de l’autre, montent en puissance. Face à cela, l’engagement frontal, ciblé sur une personne ou un parti, ne fait plus sens. Il doit prendre d’autres formes, plus globales.

  • Lesquelles ?

L’artiste, qu’il soit musicien ou auteur, doit s’attaquer à l’embrigadement des valeurs de façon large. à tout ce qui, dans la société, incarne le repli sur soi, interdit la pensée, mène au formatage. Pour cela, il doit bousculer, déranger, éclater les codes et les formes, en permanence. Il lui faut rejeter toutes les politiques qui enferment. Refuser de dire les choses telles qu’elles ont toujours été dites et balayer les équations prédéfinies. En cela, la création artistique est déjà, en soi, un acte de révolte. à condition qu’elle ne se résume pas à la technique du coucou, l’oiseau qui va poser son œuf dans le nid des autres.

Au théâtre, par exemple, je trouve d’une infinie tristesse ces jeunes qui mettent en scène Shakespeare en prétendant que celui-ci dénonce le monde contemporain. Ils font fausse route. Shakespeare n’est pas notre contemporain, il n’a pas connu le désastre de la pollution et du réchauffement climatique, ou encore de la montée de l’extrême droite. Pour résister, il faut aussi “péter nos papas”, si l’on peut dire ; sortir du carcan des pères.

Contre la tyrannie, un éclat de rire peut se révéler aussi mortel qu’un éclat d’obus.

  • A vos yeux, qui incarne aujourd’hui cette forme de résistance sur la scène musicale française ?

Je pense spontanément à Philippe Katerine. Il est dans l’éclatement des formes dont je parle. Il casse les codes du sérieux, qui est le cholestérol de l’imaginaire. Cette liberté de penser et de créer est essentielle car elle est la liberté première de toutes les sociétés démocratiques. Si elle disparaît, nous devenons des clones. Nous ingurgitons du prêt-à-penser et l’obscurantisme gagne. Pratiquer et défendre cette liberté est l’engagement politique premier.

  • Katerine pratique une forme d’humour absurde et caustique. L’humour est-il un engagement, même en musique ?

Absolument. Tous les régimes dictatoriaux et tyranniques ont en commun de ne pas supporter l’humour. Je ne parle pas des blagues gratuitement bêtes et méchantes mais du véritable humour, tel que le pratiquait par exemple Rabelais. Sous couvert de farce, il critiquait férocement les mœurs religieuses et politiques de son temps.

La meilleure façon de tuer la terreur est de la ridiculiser car elle n’a pas d’arme contre l’humour. Lorsqu’il s’agit de combattre la tyrannie, un éclat de rire peut se révéler aussi mortel qu’un éclat d’obus. Le rire libère, littéralement. C’est une résistance.

 

 


50 ans de théâtre engagé

Jean-Michel Ribes crée sa première compagnie de théâtre en 1966, avec le peintre Gérard Garouste. à la frontière des genres, il enchaîne mise en scène de pièces contemporaines et écriture de séries mordantes d’humour noir pour Canal+, telles que Merci Bernard et Palace. En 2002, il prend la tête du Théâtre du Rond-Point dont il fait une « petite république libertaire » en plein Paris. Il y défend des créations libres et irrévérencieuses. En 2007, il publie Le rire de résistance, ode à ceux qui, de Diogène à Charlie Hebdo, ont résisté à tous les pouvoirs par le rire. En 2011, il prend partie contre Nicolas Sarkozy, qu’il raille dans sa pièce René l’énervé.


 

Le site de jean-Michel Ribes

Texte : AENA LEO
Photo : GIOVANNI CITTADINI CESI

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