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Pascal Nègre

L’avocat du diable ?

Pascal Nègre - L'avocat du diable ?Plus d’un disque sur trois vendu dans le monde appartient à Universal Music. En France, c’est plus de la moitié. Épouvantail de cette industrie et éternel pourfendeur du piratage, l’actuel président de la filiale hexagonale affirme pourtant être un incompris… Sincérité ou cynisme carnassier ? Décryptage d’un franc-parler.

Une quinzaine de relances sur six mois et l’assurance que le journal ait un orteil dans chaque pays francophone, c’est ce qu’il aura fallu pour rencontrer l’un des patrons les plus puissants du marché musical mondial. Sans doute moins par méfiance qu’en raison d’un planning international bien chargé. D’autant que l’homme est un habitué des médias. D’ailleurs, stoppons là un premier cliché : Pascal Nègre est affable, souriant. Sait vous mettre à l’aise rapidement. Iconique, son grand corps sec dans ses costumes colorés, il n’aura de cesse – pendant deux heures et cigarettes à la main – de s’enthousiasmer, faire mine de s’emporter ou réfléchir à des questions maintes fois posées. Et sans jamais jeter un œil à son smartphone. Autour de lui, seuls les murs de son bureau de 20 m2 – tapissés de disques d’or, bibelots et autres portraits avec des artistes – rattrape le peu de faste du siège parisien, situé tout de même à proximité du Panthéon. Comme un discret rappel de l’autorité de la société dans le secteur.

BIOGRAPHIE

Avant de cumuler les étiquettes (président d’Universal Music France, Italie, Moyen-Orient et Afrique, puis de L’Olympia, à la tête des “New business” du groupe et président de la Société civile des producteurs associés), Pascal Nègre affirme “ne pas oublier d’où [il] vient”. Quitte à cabotiner dans sa biographie Sans contrefaçon (Ed. Fayard, 2010) ? Difficile de le savoir, même si la dimension populaire de sa vie et ses goûts musicaux y sont souvent mis en avant… Né en 1961 à Saint-Germain-en-Laye (78), de grands-parents paysans dans le Sud de la France et de parents employés des PTT, sa première habitation – un appartement – n’avait pas de salle de bain. Adolescent, il dit écouter The wall des Pink Floyd, voire le punk des Dogs et des Stranglers, mais son premier concert (à 12 ans) est Michel Fugain et le Big Bazar… Ouch ! Deux maîtrises en poche (math et… philo), Pascal Nègre commence comme DJ sur Ouest FM, réalise les premières interviews de Marc Lavoine et Mylène Farmer, puis dit, pour ses 20 ans, voter Mitterrand. Détail, qui n’en est pas un, pour légitimer son action d’aujourd’hui ? Nous ne le saurons pas. S’en suivent les rôles d’attaché de presse (BMG, 1986-87) et directeur de la promotion (Columbia, 1988-90) avant d’atterrir chez PolyGram, label racheté en 1998 par Universal Music France. Une entité dont Pascal Nègre gravit tous les échelons hiérarchiques. Il y assume la direction d’Island (1992) et Phonogram (1994), puis en devient le président (1998). Jusqu’à être fait officier des Arts et des Lettres et chevalier de la Légion d’Honneur, preuve de l’importance qu’il accorde, dans son parcours, à la méritocratie.

PRÉSIDENCE

Mais qu’aurait pensé le Pascal qui traîna longtemps à la Fête de l’Huma et travailla avec Bernard Lavilliers, de celui qu’il est devenu aujourd’hui ? Silence. Le multi-président esquive : “Les fondamentaux de mon métier sont restés les mêmes : talent, image, monétisation. Même si les techniques et les moyens d’y parvenir évoluent…” Avant de finalement lâcher : “Je ne m’imaginais pas à ma place actuelle, bien sûr. J’ai grandi avec ce métier.” Feignant même la confidence : “Les gens parachutés sont toujours les premiers à se casser la figure. Le monde de la musique reste un village d’un millier de personnes (…). La première fois que l’on m’a proposé le poste de président, j’ai refusé. Je ne voulais pas être un banquier… (ndlr : la formule a déjà été utilisée dans sa biographie) L’insistance du patron de PolyGram m’a convaincu. Si l’on me jugeait apte, comment pouvais-je dire non ?” Sincérité, fausse modestie ? Le personnage, charmeur et rusé, est troublant.

Citation Pascal Nègre

UNIVERSAL MUSIC GROUP

Première compagnie de l’industrie musicale avec près de 39% du marché mondial (loin devant Sony et Warner), une quarantaine de labels (souvent issus de rachats), plus de deux millions de titres et une implantation dans 77 pays… Les chiffres donnent le vertige. Pas étonnant d’y avoir croisé d’importants ténors du métier : Bob Marley, U2, Madonna, Elton John, Bon Jovi, Tupac Shakur, Jay-Z, Eminem, U2, Rihanna, Lady Gaga, Miley Cyrus… ou encore Dorothée.
Les activités du groupe se concentrent autour de trois métiers : la production (signature, enregistrement, promotion et diffusion, soit 80% des revenus), l’édition (acquisition et revente de droits pour exploitation), puis le merchandising (vêtements, posters… soit 5% du chiffre d’affaires). Grâce au rachat de la major EMI en 2012 et diverses opérations d’acquisitions / diversifications, Universal Music Group a consolidé sa place de leader sur un marché pourtant en récession depuis quatorze ans. Le tout appartient à la multinationale française Vivendi, également propriétaire du groupe Canal+, dont le chiffre d’affaires avoisine les 22 milliards d’euros.
Depuis 2012, 44% des revenus d’Universal issus de la musique enregistrée viennent de la distribution numérique (téléchargement, abonnement ou financé par la publicité). C’est dire ! La major a réussi sa transition numérique plus rapidement qu’un marché mondial caracolant aux environs de 35%. Et ce, même si Pascal Nègre, donnant une idée du potentiel à venir, prétend que “80% des Français ne connaissent pas le streaming”. Après New York et Los Angeles, pas étonnant que le siège social de la compagnie soit désormais à Santa Monica, à proximité de la Silicon Valley. Ville des géants d’Internet… devenus les principaux distributeurs du milieu.

MONDIALISATION

Les aspects tentaculaires du groupe ? Pascal Nègre en est fier : “Multinationale ? Multiculturelle ! C’est aussi simple que ça…” Tournant l’argument à son avantage : “Le cliché qui voudrait qu’Universal n’édite et ne produit que des artistes lisses est faux. Aujourd’hui, c’est nous qui sortons et vendons le plus de disques de musiques urbaines dans le monde. Et nous n’avons rien contre la contestation. Au contraire : ça peut être un bon moteur ! Zebda, Noir Désir, Nirvana… Ils ont tous été signés dans des labels d’Universal. Voyez ?” OK, ça pique. Sauf que beaucoup d’entre-eux appartenaient à un label ayant été racheté entre temps par Universal. Le comble ? Pour lui, l’actuelle figure de l’artiste engagé, c’est Stromae, son plus gros vendeur francophone de l’année dernière – “Il ne l’est pas, tout en l’étant [grâce à sa] vision de la société totalement désabusée.” (Marianne, août 2014). Toujours dans Marianne, Pascal Nègre affirme même que les artistes d’aujourd’hui sont satisfaits de leur situation. La raison ? Une génération qui “n’a pas connu la guerre”, mais “un modèle capitaliste”. Or, selon lui, “dans la musique, la mondialisation, c’est plutôt positif ! Grâce à Internet, il n’y a jamais eu autant d’artistes chantant en français vendus à l’étranger.” Vrai, même si le raccourci est un peu réducteur.

CRISE DU DISQUE

Fin des plans sociaux ou de l’érosion des ventes ? “Ni l’un, ni l’autre”, répond-il. Car la crise, aux dires de l’intéressé, est encore là : “Nous avons connu, certes, une première révolution avec le transfert du disque au MP3 (légalement ou illégalement). La montée en puissance des téléchargements légaux avait commencé à légèrement compenser cette perte. Sauf qu’aujourd’hui, iTunes fait 25% de ventes en moins. Une deuxième révolution est donc en marche : la dématérialisation par l’abonnement (…) qui me semble être le seul modèle pérenne. En France, deux millions de personnes ont déjà souscrit à ce type de service. C’est un changement complet de paradigme ! Notre métier a donc, lui aussi, évolué… Il est fondamental que ce nouveau modèle – tout en permettant à l’écosystème artistes-producteurs-éditeurs-plateformes de vivre et d’investir – trouve un large public. (…) Globalement, le marché du digital augmente peu, donc on peut se demander si l’offre gratuite n’est pas de trop grande qualité ? Et de ce fait n’incite pas à opter pour du payant ? J’ai quand même un doute…” Tadam ! Nous y voilà.
Pascal Nègre © Michela Cuccagna

PIRATAGE

Pascal Nègre n’en démord pas. Et ce, même si de nombreuses études (Union européenne, université Paris XI, UFC Que Choisir, OCDE, ADAMI, Harvard Business School…), portant sur des pays aux typologies différentes (France, Canada, Hollande, États-Unis…) ne tirent pas les mêmes conclusions que lui sur l’impact du téléchargement légal.
L’interlocuteur s’emporte : “Je sais très bien qu’il y a des études qui montrent que le piratage n’a, soi-disant, aucune incidence sur la crise du disque… Restons sérieux ! Au Moyen Âge, il y avait aussi de grands intellectuels qui prouvaient que la Terre était plate…” Enfonçant le syllogisme (l’art de tirer une conclusion de deux données vraies, mais sans réel rapport) jusqu’au bout : “Regardez les années où les chiffres [des ventes] ont commencé à chuter. Quel que soit le pays, ce fut chaque fois à l’arrivée d’Internet… Si la théorie était : plus on pirate, plus on achète, alors nous n’aurions pas une baisse des ventes de 65% !” S’interrogeant même sur le nombre “d’heures de création bafouées par ce simple geste”, voire traitant les pirates de “tordus” (Numérama, mai 2013).
Par leur inadaptation technologique ou leur arrogance, les maisons de disques ont-elles indirectement incité à cette pratique illégale ? Elles qui, du propre aveu du président d’Universal France, ont abandonné, dans les années 90, leur pouvoir “aux mains des services marketing”… Belle confidence, mais qui l’exempt rapidement d’une quelconque responsabilité. “Je l’ai dit, oui. Mais le dire n’est pas un mea culpa.” Comprenez : circulez, il n’y a rien à voir. Ou le retour des “pas nous, pas nous”.

MÉDIAS

Si l’attaque est moins frontale qu’envers les pirates, Pascal Nègre semble régulièrement pointer le rôle de la radio dans cette crise : “Rejeter l’entière faute sur elle serait simpliste, mais nous souffrons beaucoup de la concentration des programmations. Prenez la première en France : NRJ. Un titre sur trois est français. Cependant, dix chansons seulement représentent deux-tiers des passages de l’année… C’est toujours de la place en moins pour la découverte !” Un problème qu’il connaît bien, lui qui utilisa la même technique sur cette station. Dans une interview à Marianne (août 2014), Pascal Nègre avoue avoir acheté, en 2002, des publicités d’une minute pour passer six fois par jour Didi de Khaled… L’arroseur arrosé ? Et ces attaques ne datent pas d’hier. En février 2014, dans l’hebdomadaire économique Challenges, il donnait déjà la charge : “Si déjà, on essayait d’avoir vingt titres et non plus dix pour faire 65% de l’antenne, cela permettrait à de nombreux artistes d’avoir une chance de se faire connaître.” Le ratio des chiffres n’est pas le même (quels sont les bons ?), mais le fond est déjà là.
Car au-delà d’une rentabilité recherchée par le renouvellement du catalogue, Pascal Nègre sait se parer d’un altruisme servant sa cause : “Arrêtons de vivre avec le mythe qui voudrait que les gens découvrent par eux-mêmes. Le premier canal reste la radio et le deuxième la télévision. Internet ne tient que la troisième place, tous pays confondus. Les médias restent donc prescripteurs !” Autrement dit : je fais ça pour vous, pas seulement pour moi.
Le discours reste identique en ce qui concerne le petit écran. En effet, le président d’Universal France juge regrettable le peu d’émissions où les artistes chantent. En références, il évoque les shows des Carpentier et de Jacques Chancel (Le Grand Échiquier), proposant, à l’instar des séries – “qui n’ont peut-être pas l’ampleur culturelle d’une bonne émission de variétés”, sic -, d’intégrer la production de ces émissions dans les quotas des chaînes françaises. Concluant sur le fait que “aujourd’hui, nous n’avons jamais autant écouté de musique…”, comme une preuve du potentiel.

RENTABILITÉ

On sait Pascal Nègre être “en quête d’artistes que l’on écoutera encore après [sa] mort.” Mégalomanie ? Lui, le réfute. “Le long terme, la recherche du succès pérenne, c’est la base de notre économie. Nous produisons beaucoup d’artistes. Sur l’ensemble, certains se vendront encore dans cinquante ans. C’est ce fond de catalogue qui nous permet de financer la suite.” Car le PDG d’Universal Music France assume les termes d'”industrie culturelle”, que les Français désapprouvent traditionnellement : “Je revendique à 100% cette logique économique. La nier, c’est revenir au seul mécénat… Et si le mécène n’avait pas de goût ? Là, c’est le public qui décide. Le capitalisme, c’est la démocratie. (rires) Oui, la musique est aussi un produit de consommation.” Le mot est lâché.
Sauf qu’il s’agit du reproche récurrent fait à Universal : sa supposée obsession de l’argent et de la rentabilité, voire la marge financière que la major se ferait sur le dos de l’artiste. Ou pire : que le futur modèle va vers un appauvrissement des artistes. Pascal Nègre nie, se désolant de cette éternelle attaque à l’encontre de sa compagnie. “En cas de succès, nous partageons, avec l’artiste et à part égale, les profits. Puis on mutualise les bénéfices afin de financer nos échecs. Si nous gagnons, c’est que l’artiste aussi !” Se méprendrait-on sur les intentions d’Universal Music ? “On l’explique souvent, mais personne ne nous croit”, acquiesce-t-il, goguenard. Jouant les victimes au sein d’un système (la machine médiatique) qu’il maîtrise pourtant.
Début 2014, Pascal Nègre donnait déjà ces chiffres : un artiste touche en moyenne 8% du prix de vente dans le marché physique et 13% dans le numérique. Dix ans plus tôt, toujours selon lui, les Français consacraient 40 € (deux disques) par an à la musique. Aujourd’hui, ce serait 120 € (abonnement à un service en ligne). Le problème, selon lui, ne viendrait donc pas de la marge, mais de l’éclatement des acteurs. De là à justifier la concentration du secteur ? “Nous n’obligeons personne à signer chez nous…”, répond-il d’un très large sourire. Glaçant.

Citation Pascal Nègre

DIVERSIFICATION

Si les ventes de disques se réduisent, comment fait-on pour maintenir des bénéfices ? En trouvant d’autres sources de revenu, bien entendu. Ainsi, Universal Music a monnayé la diffusion de son catalogue à travers des partenariats. Exemples : les ordinateurs Hewlett-Packard (vendus avec des titres préchargés), la Société Générale (accès illimité au catalogue pour les jeunes clients), McDonald’s (titres offerts dans le cadre d’un jeu Monopoly), ou encore Samsung et Citroën (application mobile d’écoute offerte à l’achat d’une voiture). Exit, par contre, les anciennes tentatives pour faire baisser la TVA de 19,6 à 5,5%. Le lobbying du président d’Universal Music France a aussi ses limites.
La piste des concerts avait également été entamée avec le rachat du mythique Olympia en 2001. Enfonçant le clou à la rentrée dernière, le groupe s’est associé à Eurosites pour candidater à la reprise de la Salle Pleyel. Objectif du rapprochement entre les deux structures : “La rentabilité du lieu ne peut se réaliser qu’en complétant l’offre des concerts par des séminaires, des défilés ou des dîners de gala.” De quoi aussi étendre l’offre de prestations du groupe ? Si la tentative semble (pour l’instant ?) frileuse, il est étonnant qu’aucun gros festival français n’ait encore été officiellement approché.
Enfin, la major travaille à des contrats globaux, dits “360°” (inventés par EMI en 2002). Si tous les artistes ne sont pas prêts à y consentir, il s’agit d’associer son image à un produit, dépassant alors la simple production musicale. Quelques exemples : Nolwenn Leroy vantant dans un spot TV les mérites du jeu Nintendogs+Cats (Nintendo), Melody Gardot pour Bose / Renault, Mickey Green pour les vêtements Mango, ou encore Mika, designer d’une bouteille de Coca-Cola. En octobre, la major s’est aussi associée avec l’agence Havas Media et la start-up MirriAd pour intégrer (en temps réel !) de la publicité personnalisée dans ses clips TV et sur Internet. Les artistes seront-ils consultés ? On en doute… En novembre, toujours sous couvert de diversification, Universal Music & Brands (le département s’occupant des mariages entre artiste et marque) allait plus loin en créant une nouvelle subdivision : Uthink ! Sport. Son but ? Jouer les managers / apporteurs d’affaires en associant des athlètes maison à l’image d’une entreprise. Pelé, Mike Tyson, Blaise Matuidi, Jean-Christophe Péraud ou Neymar Jr ? Contre un généreux chèque, ils seront les ambassadeurs de votre marque. On est loin de la mission initiale d’un label musical…

Pascal Nègre © Arthur De PinsMÉTIER

Quitte à déminer les clichés, le président d’Universal Music France se désole qu’en France “l’image du producteur soit restée sur Eddie Barclay, ses “Nuits blanches”, ses six femmes… Par contre, personne ne précise ses signatures : Dalida, Aznavour, Ferrat, Salvador, Bardot, Brel, Ferré, Lavilliers… et tant d’autres !” Il est vrai que l’image du producteur véreux, cigare en bouche, billets en poche et écoutant les disques les deux pieds sur son bureau, est encore ancrée dans l’imaginaire collectif… Mais en quoi consiste réellement le travail de producteur, cœur de métier de Pascal Nègre ? “C’est dénicher un talent, en être convaincu de manière irrationnelle, lui signer un contrat, choisir les musiciens et les techniciens, puis lui faire rencontrer son public. (…) C’est un peu comme l’entraîneur sportif. C’est un compagnon dans le sens latin du terme : celui avec qui l’on partage le pain.” Les bénéfices… À croire, effectivement, que c’est une réelle obsession.

MÉTHODES

“Dans ce métier, on n’est jamais en vacances. On analyse constamment les images, les sons que l’on entend. Je suis comme un chef cuisinier qui s’autorise régulièrement à manger chez les confrères. Et puis, quand j’écoute une nouvelle production – vous pourriez demander à n’importe lequel de mes directeurs -, je monte naturellement le son quand cela me plaît. D’ailleurs, c’est souvent le futur single ! Je ne saurais pas expliquer. C’est physique, inconscient. Pour être à ma place, il faut impérativement allier la réflexion à l’action, le pragmatisme à la passion, l’économie et l’artistique. Tout ça est palpitant !” L’homme semble sincère, jubilant. Plein d’assurance. Trop ? “Bien sûr que j’ai déjà eu des doutes. Bien sûr que cela nous arrive de nous planter. Un jour, pour l’anecdote, le directeur de Barclay m’apporte une cassette… que je n’ai jamais écoutée. Sauf que c’était Louise Attaque ! Bon, ils ont tout de même fini par signer chez Barclay (ndla : label d’Universal Music) quelques années plus tard. Évidemment que c’est un métier dans lequel on se trompe. J’ai l’air très sûr de moi, là, mais je n’oublie jamais que sur dix artistes que l’on signe, huit ne perceront pas.” Ou seront remerciés par ses soins ?

RELATION ARTISTES

On s’étonne tout de même que le grand PDG traîne les studios d’enregistrement. Lui ne comprend pas pourquoi. Il trouve même cela essentiel : “Ça m’arrive souvent ! Bashung (ndlr : caution morale ? L’artiste est très régulièrement cité dans sa biographie…) partait dès que j’arrivais. C’était très étonnant vu sa carrière… Oui, il est déjà arrivé que je fasse réécrire des disques complets ou réenregistrer des titres trois fois. Ce n’est pas tabou, c’est pousser l’artiste jusqu’au bout de sa création et l’aider à prendre son envol. Attention, l’artiste attend les critiques ! Elles sont importantes et l’expérience nous a souvent donné raison. Je ne m’immisce pas, nous aidons et accompagnons. Ce n’est pas moi qui crée ! Et si ce n’est pas nous qui poussons, ce sera un autre producteur.” Cela justifie-t-il pour autant la démarche ? À propos de Bashung, si l’idée de sortir Osez Joséphine en single (ainsi que le contenu clip) semble bien lui revenir, comment savoir ce qui, pour d’autres, a été sacrifié ? Doit-on faire confiance aux financiers pour déterminer les arrangements d’un morceau ou le packaging d’un album ? Car dire la vérité à un artiste, Pascal Nègre prétend ne s’en être jamais privé : “Je ne mens jamais, et ce, même si ça ne fait pas plaisir ! L’artiste a besoin de fonds et de miroir s’il veut percer.” Essayant, après coup, de nuancer son implication : “Je ne suis pas le fondateur d’Universal, juste un employé qui développe et augmente un catalogue.” Mais lâchant malgré tout que “les trois-quarts des artistes signés actuellement n’étaient pas là avant [son] arrivée.” Fierté.
Celui à qui l’on prête pourtant quelques soirées avec Johnny Hallyday et qui remercie “Mylène” (ndlr : Farmer) dans son livre, avance n’être “le parrain d’aucun fils d’artistes et [n’être] jamais parti en vacances avec l’un d’entre eux. Confiance et amitié, ce n’est pas la même chose !” Pascal Nègre avoue pourtant au Point (mars 2005) qu’une part de son métier c’est de “boire des coups tard dans la nuit avec des chanteurs.” Et à l’occasion, se muter en entremetteur à en juger le livre Sarkozy et l’argent roi (R. Dély et D. Hassoux, éd. Calmann-Lévy 2008). Les journalistes y rapportent une proximité avec le candidat UMP à la présidentielle. Est-ce pour cette raison qu’il rappelle souvent, à propos de son métier, qu’il lui faut désormais “faire écouter plus pour gagner plus” ? L’anecdote est en tout cas croustillante : il aurait en effet organisé, pour Sarkozy, un déjeuner entre des chanteurs et des personnalités des médias en 2006. Nul doute que les artistes n’aient été forcés, mais l’officielle absence de porosité entre le patron et (certains) employés prend du plomb dans l’aile.

POLÉMIQUE

Avec un tel franc-parler et une envie d’en découdre sur tous les sujets, il est normal de commettre quelques maladresses. Ou “quiproquos”, précisera-t-il, insistant sur sa sincérité. Sur Twitter, nombreux ont raillé ses déclarations à l’annonce de la mort d’artistes maison. Exemple en mai 2013 : “Avec Georges Moustaki, c’est une des dernières légendes, artiste et poète, qui disparaît ! Ses plus grands succès sont chez Universal ! RIP.” (Notons l’insistance sur “ses plus grands succès chez…”, le chanteur ayant été chez Universal Music jusqu’en 1984.) Si les internautes ont crié à l’indécence, lui ne comprend pas pourquoi, s’emportant à nouveau : “Je déteste les pseudo bonnes consciences. Quand une personne tweete qu’untel était incroyable et qu’il avait déjeuné une fois avec lui, cela ne pose aucun problème ! D’autres font des “émissions spéciales sur” et des hors-séries. Dire que l’on a fait du chemin avec un artiste n’a rien de déshonorant… Il faudrait même, à en croire certains, avoir honte ! (…) Si des gens croient vraiment que mes tweets vont faire augmenter les ventes, c’est n’importe quoi !” Le compositeur ne fut pas le seul remercié. Dalida, Daniel Darc… Même le président vénézuélien Hugo Chavez a eu le droit à son RIP, ponctué d’un “Hasta siempre”. Pied de nez à son statut de président ? Alibi politique ? L’homme sait brouiller les pistes.
Pascal Nègre est d’ailleurs régulièrement cité par TweetBosses (site lobbyiste pour Twitter du vice-président de l’agence de pub TBWA Europe) comme l’un des patrons les plus influents du réseau social. Il faut avouer qu’avec ses 58 000 abonnés, ses deux ou trois tweets par jour et ses interviews régulières dans la presse, il a su incarner physiquement une entreprise aux multiples ramifications. “Demandez donc à un gosse : il connaîtra Universal, mais malheureusement pas Georges Moustaki.” Maladroit, toujours, mais cruellement vrai.
Pour prouver la bonne foi de ses tweets, il affirme – sans que nous ayons pu vérifier – que la chanteuse Juliette lui aurait envoyé le SMS suivant : “Si je meurs, j’espère que tu rappelleras que j’étais chez Universal.”. Légitimant ainsi, pense-t-il, son action. “Être chez Universal, c’est un lien profond. Ce serait méconnaître le métier que prétendre l’inverse. Parfois, nous étions les seuls à croire en eux. Bien sûr qu’il y a une émotion à la mort d’un artiste. Émotion qui donne parfois au public l’envie de racheter des disques. Mais à aucun moment, il y a de la récupération de ma part !” Rien à voir avec l’intégrale des albums studio (13 CD) de Georges Moustaki réalisés chez Universal Music, sortie en octobre 2014…

Citation Pascal Nègre

STAR ACADEMY

Ce rôle d’épouvantail-VRP, Pascal Nègre l’a toujours assumé. Là encore, il sous-entend que c’est une posture adoptée malgré lui. “Si c’était à refaire, je ne referais pas la Star Ac’ – émission que j’assume et qui a découvert de nombreux talents. Ce que je n’avais pas compris, à l’époque, c’était l’impact de la médiatisation. Cela m’a propulsé dans les foyers. (…) Je suis franc et j’ai un nom qui, malheureusement, se retient plutôt bien… Or, la notoriété a plus d’inconvénients que d’avantages.” Si son visage trahit un trouble, il semble pourtant s’être accommodé de cette visibilité depuis. La parenthèse (il fut juré sur la saison 7 en 2007-2008) l’a en tout cas marqué. Assez pour y consacrer un chapitre entier dans sa biographie où l’homme tente de réhabiliter l’émission TV produite par TF1 et Endemol. À en croire Gonzaï en 2010, l’envers du décor ne serait pourtant pas si rose. Le webzine évoquait, sans toutefois corroborer ses sources, des candidats “épuisés et surcocaïnés qui finissent dans les vapes” et un Pascal Nègre qui serait venu, “en personne”, menacer les journalistes si “l’envie leur en prenait de publier la moindre ligne sur ce qu’ils venaient de voir.” Intox ? Nul ne sait. Sur Twitter, le PDG n’a désormais d’yeux doux que pour le nouveau télé-crochet de TF1 : The Voice.
Malgré quelques polémiques (intervention du CSA sur le respect de la vie privée des candidats, attaques d’anciens intervenants…), la Star Academy aura tout de même vendu – par l’intermédiaire d’Universal Music – près de vingt millions de disques. Si les albums de toutes les saisons étaient cumulés, cela en ferait la septième meilleure vente de tous les temps en France ! Pratique : la caisse de résonance de la télévision permet de façonner une notoriété en quelques mois, contre plusieurs années habituellement. En 2004, on se souvient, par exemple, des reprises de Sardou par les candidats… Une aubaine, suite au rachat de son label Trema, pour remplacer un Johnny ayant alors décidé de quitter le navire. Résultat : 800 000 albums vendus. La même technique fut appliquée pour appuyer une tournée de Michel Polnareff en 2006 (son dernier concert datait de 1995). Là encore, le succès est sans appel : un million de spectateurs et deux Victoires de la Musique. À ceux qui croient cependant que la major n’axe sa stratégie que sur ce type de “talent show”, Pascal Nègre précise malicieusement “qu’ils ne représentent que 3% de [leurs] revenus.”

SALAIRE

Le magazine Le Point avait lancé un pavé dans la marre en 2005, dévoilant que les patrons des labels d’Universal Music émargeaient à 30 000 € par mois. Des salaires hérités de la période faste et non revus à la baisse depuis. Quid de son président français ? Un 83 330 € mensuel… hors bonus. Le sujet, une habitude, fait rire l’hôte : “Je ne confirme, ni n’infirme ce montant de salaire que l’on m’attribue… 1 million d’euros par an, cela fascine surtout les gens…” Silence. Avant de finalement confirmer à demi-mot : “Pour commencer : est-ce que je les mérite ? Vous savez, il y a un marché du travail, tout comme il existe un marché des artistes. Est-ce que tous valent la somme qu’ils sont payés ? Aucune idée. À partir du moment où l’on vous donne ce montant, pourquoi en douter ? C’est comme le prix de l’immobilier ! L’offre, la demande, les spécificités… En tout cas, ce chiffre n’est pas ce que je gagne en tant que président d’Universal Music France (ndlr : il est bien plus que simple président du pôle hexagonal…) et la baisse des salaires a été proportionnelle aux chutes des ventes.” De quoi parle-t-on : du salaire fixe ou des bonus ? Et combien de disques faut-il justement pour financer ce salaire ? On n’ose y répondre… Sur les bonus ou les avantages en nature (la question fut plusieurs fois posée), il se défile. Tout juste apprenons-nous que la visio-conférence a “réduit le nombre de déplacements à l’étranger” et que le directoire est visité “une fois par trimestre”.

AVENIR

À force de mêler les genres, difficile de cerner celui qui se cache derrière le businessman. La réponse est immédiate, presque récitée : “Un homme libre, sans enfant. Avec une maison en Touraine et un chat qui s’appelle iTunes.” Ça ne s’invente pas ! Mais un solitaire, alors ? “On ne réussit jamais seul”, se fait-il subitement philosophe. “Le succès, c’est avant tout une équipe. C’est la même chose pour les échecs. (…) Tant que le plaisir et l’excitation sont là, je continuerai.” Et si c’était demain, quelle reconversion possible ? “Certainement pas derrière un micro, je chante comme une casserole ! Les médias ? Passionnant, oui, mais cultiver son jardin, c’est bien aussi… L’important, on l’oublie trop souvent, est d’être heureux. J’ai d’autres passions que la musique. L’art contemporain en est une.” Silence. Apparemment, la thématique le trouble. Reprenant : “Réussir sa vie, ce n’est pas nécessairement réussir dans sa vie, mais ce n’est pas contradictoire non plus. Je suis quelqu’un d’honnête. L’idée d’un départ, un jour, n’est pas quelque chose qui m’angoisse. Je n’ai pas besoin de reconnaissance : j’ai été le responsable du plus gros label français à 33 ans… Que dire de plus ?” Nouveau silence. Les sourires du début de l’entretien ont laissé place à un regard perdu.
Nostalgique ? Inquiet ? Soucieux de son héritage ? Pascal Nègre reste songeur, comme arrivé en bout de course, laissant sa cigarette se consumer entre ses doigts. À se demander ce qui le passionne aujourd’hui… “L’Afrique !”, s’emporte-t-il soudain, enthousiaste. La flamme se rallume : “Je crois très fort au fait que la francophonie, qui était un concept culturel, devienne très prochainement une réalité économique. L’arrivée notamment de la 3G, là-bas, va révolutionner le secteur. Et puis, regardez le succès de Stromae (originaire du Rwanda) ou de Maître Gims (République démocratique du Congo) : ce sont parmi nos plus gros vendeurs de 2014 ! Tout ça est intellectuellement passionnant.” Ce qui pourrait passer pour un néo-colonialisme mercantile, sous couvert d’aider des peuples en voie de développement, a de quoi mettre mal à l’aise…

DIABLE

Pascal Nègre © Michela CuccagnaCôté pêchés, on a fait pire : “Non, je ne consomme pas de cocaïne. Mon seul vice est, vous le voyez, un trop-plein de cigarettes et… du bon vin, oui, à l’occasion.” Grand sourire charmeur. Comment en vouloir à cet homme qui, potache, a racheté deux pressings à Tours en 2011 pour les passer sous l’enseigne écologique Sequoia ? Jeu des masques, toujours. Pourtant, et par raccourci, beaucoup ont fait le parallèle entre le président d’Universal Music France et la personnification du mal. Facile : l’homme concentre les crispations d’un secteur qui souffre, d’artistes se sentant pressurisés et de consommateurs refusant l’homogénéisation. Car à force d’occuper l’espace public, il est devenu le symbole d’un libéralisme mondial et obséquieux, dont il est l’un des visages les plus médiatiques. C’est en tout cas le clin d’œil que s’autorisa notamment Skip The Use – un groupe Universal – dans le clip Nameless world (inspiré de l’univers de la BD Zombillenium d’Arthur de Pins) : Pascal Nègre y apparaît en diable, faisant signer un pacte aux musiciens pour les faire jouer éternellement dans un parc d’attraction… Le businessman n’ignore pas ce qui se dit sur son compte : “J’ai tout entendu. Le salaud, le diable… En général, quand quelqu’un vous traite de “diable”, c’est que ça l’arrange. Regardez toujours qui le dit !” Pourquoi un tel acharnement, selon lui ? “Je fus surtout le “salaud” qui s’est positionné contre le piratage. Vous savez quoi ? Cela ne me dérange pas du tout ! Tout travail mérite salaire.”
Et si, au fond, plutôt que diable, Pascal Nègre n’en était finalement que l’avocat ? Celui qui assume la position la plus indéfendable, qui se plaît à présenter des contre-arguments. Son entourage intime confirme une dualité, preuve d’une complexité moins manichéenne qu’elle n’y paraît. Celle d’un “ex-anticonformiste”, “moitié comptable, moitié troubadour”, rattrapé par la réalité de sa fonction et la ligne à tenir. D’un homme parfois “premier degré” qui “adore être aimé”. Voire d’un “esprit espiègle”, à l’image de l’écolier chahuteur faisant semblant, pour la bienséance, de vouloir “échapper à la punition de la maîtresse, alors que papa possède l’école”. En un mot : diabolique !

Par Samuel Degasne
Photos : Michela Cuccagna

* Seules les citations directes de Pascal Nègre ont fait l’objet d’une demande de validation de la part de la direction d’Universal Music. Mise à part une anecdote sur sa rencontre avec Deezer (service d’écoute de musique en streaming), le rajout du terme “(rires)” (cherchez où) et quelques expressions héritées du langage parlé, aucun propos ni sens n’ont été corrigé par l’intéressé.

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