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FRANCOPHONIE – Partie 2

La francophonie dans (presque) tous ses états - Partie 1


 
Ringard le français ? Pas si l’on en croit les statistiques, annonçant qu’une personne sur 13 dans le monde le parlera en 2020… Sauf que, dans les 80 pays où on le pratique, les enjeux sont chaque fois différents. Après la France, le Québec, la Belgique, la Suisse et le Luxembourg, suite de notre tour du monde, entamé dans le numéro d’octobre. Avec cette question : pour vous, la francophonie, c’est quoi ?

 

Partie 2 : LE SUD

 

REUNION

 « Une occasion manquée »

Margie Sudre, ex-secrétaire d’Etat à la Francophonie (1995-1997), présidente du conseil régional de La Réunion (1993-1998) et députée européenne (1999-2004)

Margie Sudre - DR

« La Réunion, du fait de son statut de département et région d’outre-mer français, dispose des mêmes atouts que la Métropole…

La francophonie est tout d’abord un outil d’échange. Exemples avec les nombreuses rencontres entre les médecins réunionnais et ceux du sud-est asiatique (où il est peu pratiqué hors zone touristique)… Cela a aussi facilité les rapprochements avec Madagascar (dont le nombre de francophones a diminué), l’Île Maurice (stagné), les Comores (mais où on parle mal français) ou les Seychelles (davantage créoles).

C’est ensuite un point d’ancrage pour développer économiquement l’Afrique francophone. En tant que secrétaire d’Etat, c’est un point qui m’a tenu à cœur et sur lequel la France était pourtant restée frileuse. Heureusement, cela a changé…

Il y a, certes, eu une diminution des francophones en Europe de l’Est – Roumanie, Bulgarie ou Moldavie, attirés par l’anglais –, mais la courbe s’inverse avec l’explosion de l’Afrique.

C’est enfin une occasion manquée. Dans les années 50, alors que nous n’étions que six pays fondateurs de l’Union européenne, il avait été proposé que la langue principale soit le français, vu que c’était celle de la diplomatie. Or, les Flamands s’y sont opposés et l’Hexagone est resté modeste. Dommage ! Aujourd’hui, 23 langues sont parlées au Parlement…

Le français est ancien, bien entretenu. Sa grammaire en fait une langue difficile, mais précise et subtile (contrairement au créole). C’est ce qui en fait sa richesse en philosophie ou en diplomatie. D’autant qu’elle véhicule des valeurs liées aux droits de l’Homme, au partage et à la solidarité. »

 

CÔTE D’IVOIRE

« L’enrichissement d’une langue commune »

Abdou Toure, ambassadeur auprès de l’Organisation internationale de la francophonie

Abdou Toure - Ministre - Portrait 2015.Paris - Michela Cuccagna©

« La francophonie est extrêmement importante pour nous. Mon poste et le fait de résider en France – un choix du président – en témoignent. Tout comme l’accueil, dans notre pays, des 8e Jeux de la francophonie en juillet 2017. Avec 80 pays représentés et près de 4 000 participants, nous en espérons des retombées économiques et touristiques.

Le français est la langue officielle, aux côtés d’une multitude de langues nationales. C’est un trait d’union ! Il y a eu, dans les années 60, une gêne par rapport à son utilisation, mais  uniquement par peur que cela ne se fasse au détriment des autres langues nationales. Ont ainsi été mis en place des programmes de promotion de l’ensemble des pratiques linguistiques. Aujourd’hui, il est démontré que les enfants, parlant leur langue maternelle avant d’être scolarisés, maîtrisent mieux le français.

Je suis né avant l’indépendance dans une famille de 24 enfants. À l’époque, les langues nationales étaient subdivisées par quartier. Il s’agissait donc de communautés linguistiques qui partageaient des valeurs communes. En conséquence, un passant pouvait corriger un enfant qui s’est mal conduit, sans que ses parents s’en plaignent… Bien au contraire !

Aujourd’hui, le français est devenu le meilleur moyen de communication entre Ivoiriens. Même ceux qui n’ont pas fréquenté l’école parlent français (grâce à la rue), mais en se réappropriant cette langue. C’est-à-dire : en créant de nouvelles expressions imagées. Ainsi, une maison à étage devient : maison-qui-est-debout-sur-son-camarade. Les Français gagneraient à connaître ces réadaptations pour enrichir notre langue commune. »

 

MALI

« Une unité nationale »

Mory Toure, journaliste RFI et Radio Afrika

Mory Toure - DR

« Le français est la langue de la colonie devenue celle de l’administration. A Bamako, près de la moitié des habitants sont donc francophones, même si la langue la plus utilisée reste le bambara (reconnue comme l’une des douze langues nationales).

Le français est une langue qui a été imposée. Quoi de plus normal ? Les colons ont créé les écoles à leur image. Nos cours ressemblaient donc à ceux du système éducatif français : Napoléon, Louis XIV, la conjugaison… Je suis même persuadé que certains Maliens connaissent mieux l’Histoire de France que certains métropolitains !

60% des maliens francophones sont complétement Français de part leur culture ou leurs pratiques : études prolongées en France, consommation de vin bordelais chez les bourgeois, films français (Belmondo, de Funès) plutôt que blockbusters américains… Le contexte historique a laissé des traces.

Il y a, certes, un patriotisme africain, mais nous restons des francophones avant tout. Et le français facilite justement les échanges au sein de notre pays – une sorte d’unité nationale –ou avec ceux du continent. C’est donc une chance, une ouverture. On voyage. D’autant que ceux qui ont étudié en France hier, sont les gouvernants d’aujourd’hui.

La seule chose que nous ne comprenons pas, c’est le manque d’assimilation/intégration du système européen qui souffre pourtant d’une baisse de sa démographie. Ce sentiment de repoussement, qui s’est accéléré sous le président Sarkozy, renforce l’aspect communautaire. Etant donné notre système éducatif, cela nous choque que l’on face une différence entre Français et Malien : nous sommes amis. »

 

MAROC

« Pour être plus subversif »

Adlane Defouad, musicien (BinObin)

Adlane Defouad - DR

« Du fait du protectorat français, la francophonie fut d’abord subie avant d’être réutilisée au quotidien. On considère à tord le Maroc comme un pays arabe, mais la langue la plus pratiquée reste le darija, sorte de créole avec de l’arabe et du français. Le Maroc est à la croisée des mondes sub-saharien, maghrébin, africain et français. Le berbère, et ce malgré son antériorité, n’est qu’une troisième langue… Même les panneaux d’orientation sont traduits arabe/français ! Nous avons donc pu, grâce à la francophonie, tisser des liens avec le Nord comme avec le Sud.

Nous avons fait nos études en français et en arabe. Mêmes nos conservatoires sont inspirés des vôtres ! D’où notre groupe signifiant « entre deux », car les gens ne comprenaient pas pourquoi notre son sonnait si français. Cela nous a interrogé sur le concept de la musique identitaire… Pour nous, la francophonie est une identité plurielle.

Anecdote : il nous est arrivé de représenter la France à l’étranger… Un comble quand on voit les politiques d’intégration de l’Hexagone !

La langue française a perdu du terrain au Maroc, les politiques anti-migratoires en ayant diminué l’intérêt… Notre génération était plus francophile et bilingue. Aujourd’hui, à part les universités scientifiques, c’est une option.

La culture française se propage par Internet ou les chaînes câblées. C’est celle la plus accessible. Nous avons moins de ponts avec celle anglophone. Et, face à la pop anglaise, c’est à se demander si chanter en français, n’est pas plus subversif. Cela a, en tout cas, enrichit notre création. »

 

MADAGASCAR

« Un marqueur social »

Gilles Lejamble, président de Libertalia Records

Gilles Lejamble - Libertalia Music

« Nous avons quatre langues officielles : le malgache, le français, l’anglais et… la langue de bois ! Celle qui domine reste le malgache. Sauf que, en plus de ses variantes régionales, il est souvent mal parlé. Le français reste donc un marqueur social.

Jusqu’en 1960, date de fin de la colonisation française, tout le monde était francophone en ville. C’est moins le cas depuis, mais nous n’avons pas plus d’anglophones. En 75, tout l’enseignement a été bouleversé : l’Etat a souhaité une « malgachisation » des institutions. Les cours ont donc été donnés en malgache et nous avons, autre exemple, changé le nom des rues. C’est tout un héritage qui s’effaçait. D’autant que nous sommes aussi bon en français que vous l’êtes en anglais… C’est dire !

Nous ne profitons pas de la francophonie, car l’extérieur de l’île n’existe pas pour nous. L’ouverture des frontières ou des mentalités n’est pas dans l’intérêt de nos politiques. L’espoir d’en finir avec notre système corrompu ne vient pas de la langue, mais bien d’une révolution interne. Avant la démocratie, ce que nous souhaitons le plus, c’est le développement économique. Se battre pour la démocratie est hypocrite : l’Europe ne s’est elle-même pas développée ainsi… Et donner le droit de vote à un analphabète ne change rien et créerait des inégalités supplémentaires. Non, c’est le développement économique qui impose la démocratie.

Une fois l’éducation rétablie, nous pourrons nous concentrer sur ce type d’approche. »

 

INDE

« Un atout commercial »

Lalit Verma, président de l’Alliance française Pondichéry

Lalit Verma - Sumanta Chandra

« Ma langue maternelle est l’indien mais, après trois siècles de présence française à Pondichéry, il reste forcément des traces… Notamment parce qu’il y a eu beaucoup de naturalisations parmi les colons – seuls 5 000 hexagonaux ont conservé leur nationalité.

Je suis né dans le Nord. Il a fallu que j’apprenne trois langues : indien, anglais et, donc, le français – qui, je trouve, est une langue plus précise (d’où le fait que les règles de la Fifa soient francophones).

Aujourd’hui, il reste un peu moins de 20 000 locuteurs francophones et l’Inde est le pays le plus jeune du monde. Nous avons désormais une mentalité d’envahisseur, alors que nous fûmes le plus souvent les opprimés. Par exemple, nous continuons d’aller en Angleterre. Pas pour nous y instruire, non. Pour nous spé-cia-li-ser ! Voyez le chemin  parcouru…

On essaie donc de mettre toutes les chances de notre côté. Le but : aspirer les différentes cultures pour se fondre dans la masse. Nous restons fiers de nos racines, mais c’est une bénédiction de se confronter à d’autres pratiques/mentalités. Nous souhaitons l’harmonie dans la diversité et inversement.

Pour nous, et même si nous vous remercions pour certains apports, le maintien d’une francophonie s’inscrit surtout dans une stratégie économique. En plus de respecter davantage le climat et d’avoir zéro défaut dans nos constructions, parler français est un atout commercial supplémentaire face aux Chinois. Ca aurait donc pu être l’allemand ou l’espagnol… Peu importe : ce sont les opportunités d’export qui nous intéressent. »

 

ÎLE MAURICE

« Une philosophie de partage »

Subhash Dhunoohchand, musicien (Tablatronic Moksha Project)

Subhash Dhunoohchand - DR

« Comores, Mayotte, Colombie, Inde… Je participe très régulièrement à des semaines de la francophonie à l’étranger, même si mes textes sont en anglais pour favoriser l’export. Car pour moi, la francophonie reste surtout un formidable réseau de musiciens et de professionnels. Il y a une même philosophie de partage et de non-violence.

Par contre, je demande toujours à rencontrer des élèves. Je leur explique surtout les bénéfices de la modernité et des traditions. Ma musique s’en inspire d’ailleurs, mélangeant tabla et sons électro.

A Maurice, la langue maternelle est le créole – une langue orale, peu adaptée pour l’écrit. Ce n’est d’ailleurs pas un choix politique : c’est naturel. D’autant que, même si le français reste pour nous aussi important que l’anglais, nous apportons plus d’importance à la transmission de nos idées que le moyen d’y parvenir. Notre premier ministre peut donc, par exemple, s’exprimer en anglais, indien et créole dans la même conversation. Les journalistes eux-mêmes peuvent changer de langue dans un seul article – avec, certes, une dominance du français qui reste la langue des affaires et des administrations… Cette dimension trilingue est travaillée dès la maternelle.

La francophonie, c’est comme la cuisine : il n’y a pas d’esprit commun. Certains font du métissage culinaire, d’autres non. Peu importe. Nous, nos plats sont influencés par la Chine. Ca en dit déjà long… Pour moi, c’est donc à la langue française de s’adapter à chaque pays – avec ses répercutions légitimes – et non plus à s’imposer comme du temps des colonies. »

 

Samuel Degasne

Voir la partie 1

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