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FRANCOPHONIE – Partie 1

La francophonie dans (presque) tous ses états - Partie 1

 

Langue maternelle, d’usage, administrative, d’enseignement ou choisie, le français est employé dans plus de 80 pays. Actuellement 5e au rang mondial, on estime qu’il sera parlé par 8% de la population mondiale en 2020 (1 personne sur 13 !) Or, suivant les lieux de pratique, les enjeux sont chaque fois différents… Et pour vous, la francophonie, c’est quoi ?

 

Partie 1 : LE NORD

 

FRANCE

« Le refus de l’uniformité »

Annick Girardin, secrétaire d’État à la Francophonie

Annick Girardin - Bruno Chapiron

« La francophonie est un lien concret entre les peuples américains, asiatiques, africains et européens. Nous serons plus de 750 millions de locuteurs en 2050 ! C’est un atout, un vecteur de solidarité et d’échanges. C’est vouloir la diversité, refuser l’uniformité et le renfermement. Je viens de Saint-Pierre-et-Miquelon, archipel français d’Amérique du Nord. Nous sommes ainsi, comme d’autres, très attentifs au choix de la langue.

Je crois profondément en une francophonie utile. Ce fut d’ailleurs le sens de mon courrier aux entreprises, le 18 mars, pour lutter contre l’anglicisme dans le monde du travail. Oui, la langue française se nourrit d’autres langues, mais elle ne doit pas être dénaturée pour autant. N’oublions pas que le français est la 3e langue des affaires.

De même que le poids des compositeurs francophones à l’étranger est réel. Evitons donc de chanter en anglais à l’Eurovision. Montrons nos capacités ! Travaillons les prises de conscience ! Les quotas de chanson française sur les radios [ndla : 40%, voté en 1994] restent un minimum. On peut pousser plus loin…

Nous bénéficions d’outils incroyables : 96 instituts français dans le monde, 445 Alliances françaises, France24, TV5Monde…Tous font la promotion de l’action culturelle à l’extérieure de la France. Le français n’est pas une langue du passé : ce doit être un combat. Restons pragmatiques et soyons contre tout ce qui est définitif. Nous y gagnerons.

Fin 2015, les francophones ont l’occasion de s’unir pour peser lors du sommet sur le climat, à Paris… »

 

 QUEBEC

 « Un militantisme de survie »

Hélène David, ministre de la Culture, de la Protection et de Promotion de la langue française

Hélène David - Ministre du Canada - Portrait 2015 - Paris - Michela Cuccagna ©

« Nous fêtons cette année les 10 ans du plan de sauvegarde des œuvres culturelles francophones. Cette  thématique a toujours été une motivation politique, ne serait-ce que par rapport à notre histoire : le Québec est une ancienne colonie française dans un Canada, lui-même ancienne colonie anglaise. Or, le Québec a une importance fondamentale dans la création canadienne. Il s’agit donc d’un militantisme de survie et d’une fierté.

Aujourd’hui, nous sommes 8 millions de locuteurs. Face au géant anglophone, il nous faut adopter une position réaliste et nationaliste. Le français n’est pas un patois local ! Il faut le protéger, pas le dialectiser. A nous, francophones, de prouver notre force économique en réalisant une révolution tranquille. L’anglais et le mandarin n’empêchent pas notre langue de vivre, ni de redevenir une langue d’affaires.

Nous avons créé un dictionnaire de traduction pour en finir avec les anglicismes. Cela vous fait parfois rire, mais il y aurait avantage à ce qu’il soit reproduit en France. Si un mot existe en anglais, il peut aussi l’être en français…

Faisons également en sorte que notre culture soit véhiculée à travers le monde. La seule différence avec vous, c’est que, pour y parvenir, nous faisons davantage appel à des fonds et au mécénat. Le but est de rayonner, de créer de la richesse et de l’éducation. Si l’air du temps est désormais au bilinguisme (surtout chez nous), faisons en sorte que l’une des langues soit le français. Gardons-la comme langue d’affichage et pour le travail.

C’est pour cette raison que nous aidons les différents acteurs culturels à se remettre au niveau technologique.

Et, oui, nous pouvons influencer le reste du Canada, car nous votons et sommes une des plus importantes provinces. Les francophones hors Québec ont besoin de nous et inversement. C’est une grosse responsabilité. Et c’est finalement sur ce sujet que nos partis politiques s’entendent le plus. »

 

 BELGIQUE

« L’OIF manque de pragmatisme »

Joëlle Milquet, ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Joelle Milquet - DR

« Ici, la francophonie est un espace plus important que l’on ne le pense. C’est une vision commune de l’humour, du rapport à la culture et à l’esprit critique, qui n’est pas toujours propre au monde anglophone.

Malheureusement, elle est sous-utilisée à tout niveau. Un comble en pleine ère d’ultra-communication ! Exemple : ce cadre linguistique favorise quelques échanges Nord/Sud sur un plan politique ou culturel… Or, étant donné les difficultés de l’Afrique du Nord, il est primordial de renforcer ces liens afin d’y développer des valeurs démocratiques. Il faudrait donc aller encore plus loin.

J’en discutais avec la ministre du Québec : pourquoi ne pas créer des outils numériques communs, en particulier pour l’enseignement ? Ce serait l’occasion de partager nos savoirs au sein de l’espace francophone. C’est aussi ça, la souveraineté ! Je regrette que l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) manque de projets pragmatiques de ce type…

Mais revenons à la Belgique : les Wallons ont un sentiment sincère d’appartenance avec la France. On le voit à leur consommation des médias et de la culture hexagonale. Et si l’unité du pays ne se fait pas par une langue unique, nous avons tout de même une culture belge commune. Différentes approches, certes, mais un réel art du compromis « à la belge ».

Le fait d’avoir des Néerlandais, des Flamands, des germanophones et des francophones, c’est justement ce qui explique et favorise notre ouverture. Nous sommes dans l’interculturel constant ! Et, quoi que l’on en pense, c’est un modèle qui fonctionne. »

 

SUISSE

« Quelque chose de très communautaire »

Marc Ridet, directeur de la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles

Marc Ridet - Adelaide Wojciechowski

« Les francophones sont minoritaires, contrairement aux germanophones. Ils sont très identifiés et concentrés dans la partie romande du pays. C’est une fierté, quelque chose de très communautaire.

Le pays est dirigé par des germanophones, mais qui parle mal allemand (seulement un dialecte s’en rapprochant). C’est toujours étrange, pour des francophones, de se faire diriger par un dialecte… Nous avons donc une découpe linguistique par canton qui pourrait parfois ressembler à celle de la Belgique. Sauf qu’ici, il n’y a pas de conflit.

La francophonie c’est une vraie communauté d’esprit autour de laquelle les gens se retrouvent, malgré une méfiance envers l’interventionnisme politique de la France.

Nous sommes également proches du Québec, de la Belgique et de l’Afrique du Nord au sein desquels existent des expatriés suisses. La langue française nous donne donc une dimension très internationale !

De plus en plus de régions suisses parlent entre elles en anglais. C’est sans doute la faute des francophones qui parlaient peu allemand, du fait de la Seconde Guerre mondiale… Idem côté musique où seuls la chanson et le hip-hop se distinguent par leurs paroles francophones. Pour autant, il n’y a pas de crainte que le français disparaisse : il n’est même pas protégé !

Le plus drôle ? C’est que Stéphane Eicher, l’artiste qui a le plus fait connaître la Suisse francophone, est… un Suisse allemand ! Il appartient à cette génération qui trouvait Paris sexy. Celle d’aujourd’hui préfère Berlin… »

 

LUXEMBOURG

« La possibilité d’être trilingue »

Patrice Hourbette, directeur de Music:LX

Patrice Hourbette - Jan Kubon

« Pour nous, le français représente beaucoup. Pas la francophonie. Tout d’abord parce que nous avons un rapport frontalier avec la France. Il n’y a donc pas de dimension sentimentale. Ensuite, parce qu’à Luxembourg-Ville, la capitale, il y a seulement 20 000 Français (sur 111 000 habitants). Enfin, parce que 400 000 personnes franchissent chaque jour la frontière pour venir travailler… Au total, ce sont près de 80 langues qui sont parlés.

Nous avons trois langues officielles : le luxembourgeois (langue de cœur), l’allemand, puis ensuite le français (outil de travail). Ce trilinguisme – voire quadrilinguisme, si l’on compte l’anglais dans les milieux artistiques – est sans doute l’une des plus belle réussite du pays. Il touche l’ensemble des catégories sociales (agriculteurs compris).

Il n’y a pas d’appétit pour la culture française, à part une élite s’intéressant à la littérature. Le peu d’Hexagonaux passant à la radio en est la preuve. Lors du concert d’un artiste francophone, comme par exemple Stromae, 1/3 du public sera français. Mais seulement parce que les billets sont moins chers ici…

Alors qu’ils captent aussi les programmes français, les enfants sont aussi plus habitués à ceux de la télévision allemande, les trouvant plus informatifs – malgré un rapport compliqué avec le pays germain, du fait de la Seconde Guerre mondiale.

S’il y a un militantisme linguistique ici, c’est plutôt sur la sauvegarde du luxembourgeois. »

 
 

BONUS

– –

Bureau Export / Francophonie diffusion :

« L’occasion d’un lobbying culturel »

Créé en 1993 et fusionné depuis 2014 avec Francophonie diffusion, le Bureau Export accompagne le développement d’artistes français à l’international. Rencontre avec Fabrice Rebois, directeur général, et Sergio Marigomez, chargé des relations avec les producteurs.

« Avec la plateforme Francodiff.org nous offrons un soutien à la tournée et de l’aide à la promotion. Pour cela, nous pouvons notamment compter sur un réseau de 700 radios et des partenariats internationaux. Nous sommes présents sur les 5 continents dans des pays au niveau de développement chaque fois différent, comme par exemple l’Inde, où les droits d’auteurs débutent à peine. Nous favorisons également le placement d’artistes dans des publicités (ex. : l’iPhone 6), des films ou des séries, permettant ainsi à la musique française de faire le tour du monde.

L’espace francophone ? C’est avant tout un réseau, l’occasion d’un lobbying culturel. Nous avons un lien profond avec les diffuseurs radios : nous ne spammons pas et opérons une sélection qualitative. Et puis, nous faisons des échanges. Imaginez : pour les Québécois, c’est une chance d’être diffusé chez nous, hors de leur village gaulois entouré d’Américains.

Notre particularité ? En France, nous sommes précurseurs pour adapter les styles musicaux. Nous avons des vraies scènes locales (électro, reggae…), des milieux structurés et professionnels. Autre singularité : notre appétence pour le rédactionnel, notre appétit encyclopédique et notre lien permanent avec l’Histoire.

À l’export, il y a un plus gros accueil sur la chanson. Et, généralement, quand un Français a du succès, il va en Suisse et en Belgique (ensuite, seulement, le Québec). Mais parfois, il y a quelques surprises : succès de Stromae au Coachella festival (Californie), Patricia Kaas en Russie, Alizée dans les charts mexicains (devant Avril Lavigne et Britney Spears), Indila en Turquie… Pourquoi Daft Punk ne fait pas partie de nos classements ? Parce qu’ils sont signés sur un label américain. L’un de nos plus gros vendeurs de l’année est donc… un belge (Stromae), vendu en France. Doit-on considérer que sa tournée en Belgique est de l’export ? Heureusement oui, car cela fait revenir en France des flux financiers et soutient les 240 000 emplois de la filière…

Il faut lire le rapport Attali sur la francophonie : il met en évidence le fait que le secteur musical est l’un des domaines les moins aidés, alors que nous avons l’un des cinémas les plus subventionnés du monde et que la musique est économiquement bien plus importante… Les pays nord-européens ont musclé leur dispositif depuis quelques années, notamment parce qu’ils sont condamnés à l’export. À nous également de rebooster l’export de la musique française. En 2014, 58% du chiffre d’affaires, généré par la musique française en dehors de nos frontières, proviennent du digital. Nous venons donc de lancer un digitank pour rassembler les meilleurs spécialistes français de la distribution digitale, afin de favoriser les meilleures pratiques dans la filière.

La France occupe logiquement une place importante dans la francophonie (parts de marché, Histoire…). On constate une volonté commune, mais malheureusement peu suivie d’actions, faute de moyens. L’Afrique et son économie en fort développement s’ouvrent au marché. Nous avons une histoire commune et la francophonie en est le cœur battant. Continuons donc à être innovants ! »

Samuel Degasne

Prochain numéro : La Réunion, Côte d’Ivoire, Mali, Maroc, Madagascar, Inde, Île Maurice…

Voir la partie 2

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