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CABADZI

Cabadzi ©Marylene Eytier - Longueur d'Ondes 73

Sacré numéro

Venu des arts de la rue et du hip-hop, l’ovni nantais Cabadzi affermit un peu plus sa maîtrise sur un univers unique en son genre, avec un deuxième album littéralement plein de surprises.

Faites plaisir à Cabadzi : ne leur parlez pas de cirque. La phobie du clown ou de la femme à barbe n’ont rien à voir là-dedans. Le trio, né d’un croisement entre les arts de la rue et le cirque contemporain, assume aussi bien l’héritage de la troupe que son goût du spectacle. Lulu, aux textes, évite pourtant le sujet d’une pirouette : « Si nous n’aimons pas que l’on nous en parle, c’est que l’on trouve le sujet mal traité par la sphère journalistique. Pour les médias, le cirque c’est la piste aux étoiles, les paillettes… Alors que la France est le pays au monde qui invente le plus dans le cirque contemporain. Son influence s’étend jusque dans le cinéma ou l’esthétique de certains clips. » Bref, Cabadzi préfère se taire « parce qu’on ne réussit pas à se faire comprendre à chaque fois. »

Le nom du groupe, « qui ne veut rien dire, mais sonne bien », de son propre aveu, est hérité d’une compagnie fondée en 2003 par le chanteur. Un projet de bande originale qui tombe à l’eau, un membre qui se fait la malle et, de troupe, Cabadzi devient groupe. Avec un ajout de taille à la musique et au beatbox, le hip-hop.

Le mélange étonne ? Il détonne surtout. Ce n’est pas un hasard si la curieuse équipe s’est fait un nom sur scène avant de séduire les disquaires. « Nous venons de là. Nous avons aussi beaucoup tourné dès le début. Nous sommes également les propres producteurs de nos live. Cela veut dire que nous jouons où l’on veut. Et nous avons besoin de jouer beaucoup ! » Jo, le multi-instrumentiste de la bande, rebondit : « Quand nous parlons de concert, nous avons envie que ce soit un spectacle. »

Chantant en français, Cabadzi a naturellement la tête dans ses textes ; des mots dont parfois la portée a pu le dépasser. À sa sortie en 2012, dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle, Digère et recrache fait les choux gras de l’extrême gauche. Lulu tombe de haut. Le public passe à côté du message. Pire, il lui en attribue un autre. « J’ai pas mal souffert de l’incompréhension autour du premier album. Pour certains, il était ultra gauchiste. Je ne suis pas d’accord. Et puis, on a beau avoir des opinions politiques, je n’avais pas envie d’être résumé à ça. Surtout que le milieu de la musique engagée ne nous parle pas. Nous avons juste envie d’un réalisme autant musical que textuel. »

Machine arrière toute. Oubliée la politique, exit la polémique. Les paroles imprimées à la surface du disque visent désormais le cœur : « Au fur et à mesure des morceaux, on comprend que l’on suit le parcours d’un homme. Tout le fond de l’album est de mettre en texte des choses que l’on n’ose pas dire. » Amitiés et amours frustrées, le propos de Des angles et des épines paraîtra à certains violent, voire douloureux. Mais le groupe, malgré le départ de Camille, au violoncelle, va bien, merci pour lui. « Nous sommes tous les trois des mélancoliques. La beauté, on va la trouver dans la noirceur et pas forcément dans la fête à la Patrick Sébastien, c’est tout. » En témoignent les influences et l’isolement, voulu, du trio. De Tom Waits aux Black Keys, en passant par Jay-Z, Cabadzi cultive dans son coin son potager d’influences. Seulement, à l’écoute, il n’en reste pour ainsi dire rien. Les inspirations extérieures glissent sur leur peau comme un vieux diamant sur un vinyle, sans trouver prise : « On pourra toujours se dire que The Black Keys c’est mortel, et essayer de faire pareil, le son qui sortira ne sera jamais le même. Ce sera toujours du Cabadzi. » La satisfaction de l’équipe à retravailler ses morceaux, parfois au point de les détourner de leur intention initiale, n’y est certainement pas étrangère.

Pluri-influencé mais indépendant, artiste autant qu’artisan, tout chez Cabadzi a le goût du fait maison, des clips bouclés avec des queues de cerise et des coffrets CD finition main. Sur les quatre nouveaux clips, trois ont été réalisés par Lulu. Six autres devraient suivre. À l’ère du DIY, ces musiciens de la Loire ont appris à soigner la forme. « Y’en a marre des digipacks où il n’y a plus rien dedans. Le monde de la musique a allégé le support pour qu’il coûte moins cher. Nous voulions aller à l’inverse et tout sortir en coffret avec des tonnes de bonus. Nous ne venons pas du monde de la musique mais nous avons compris petit à petit, en nous écoutant nous-mêmes, que les groupes que nous aimions le plus étaient ceux qui soignaient tout l’environnement autour de leur musique.»  Ce que l’on appelle, plus communément, des artistes complets.

Cabadzi Des Angles et des epines - Longueur d'Ondes 73Des angles et des épines

Autoproduit

Ceci n’est pas un album, c’est un roman. Dix pistes-chapitres où s’inscrivent les turpitudes d’un pauvre hère, passé par toutes les épreuves que peut réserver la vie. Petites déceptions du quotidien, vraies désillusions, en passant par la case prison, Cabadzi n’est jamais aussi juste que quand il rappe le malheur. Portés par l’amour du groupe pour les cordes et les cuivres, les morceaux de vie que sont Cent fois, Féroces intimes et Mon ami, restent en tête des heures durant. Tout comme le timbre enragé du chanteur et la maîtrise du beatboxer, discret mais toujours présent. Un retour féroce.

>> Site de Cabadzi

Texte : Romain Gouloumès

Photo : Marylène Eytier

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