Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Alex Beaupain

Alex Beaupain, Sylvain Dépée, Sur la même Longueur d'Ondes

Alex Beaupain dans le grand bain

Entre Bataille et Barthes, entre « Histoire de l’œil » et « Fragments d’un discours amoureux », Alex Beaupain poursuit son exploration des sentiments et de la fugacité de l’existence. Avec « Après moi le Déluge », il signe un quatrième album intelligent et populaire, toujours aussi émouvant et troublant.

Par le soin des arrangements et son ampleur nullement tape-à-l’œil, ce nouvel album nous replonge dans la grande variété de la fin des années 1970. La chanson « Après moi le déluge » a, par exemple, des faux airs des « Filles de l’aurore » de William Sheller…

A.B. : « Enfant, adolescent, j’ai écouté William Sheller, Alain Souchon ou Julien Clerc – j’ai acheté « Fais-moi une place » en 1990 ; j’avais alors seize ans. Dès le départ, j’avais envie de faire de ce quatrième album, mon album de grande variété. La prochaine fois, j’enregistrerai peut-être en cinq jours, dans une maison à la campagne, avec des musiciens cinglés et un son improbable. Là, avec le changement de maison de disques et des moyens plus conséquents, j’ai voulu me faire plaisir. J’ai voulu éprouver la production de la variété de la fin des années 1970 et m’essayer à son ampleur. Je me le suis autorisé et j’assume totalement cet héritage. J’écris – et j’espère que c’est le cas des autres auteurs – les chansons que j’aimerais entendre. Celles qui manquent. J’assume maintenant ce désir, cette volonté d’écrire des chansons que je vais chanter. Mais, attention, dans mon esprit, il n’y a pas de hiérarchie entre variété, chanson française et chanson indé. Il y a dans chacune de ses catégories, somme toute au final assez arbitraires, des auteurs, des compositeurs, des interprètes de qualité et d’intérêt, des gens que j’aime. J’écoute autant Etienne Daho que Dominique A. Mais, je crois que je suis plus sensible aux chanteurs dits de variété qu’à ceux de la production indé. En même temps, ces catégories sont assez périlleuses. Dans les années 1980, avant qu’il ne devienne une sorte de statue du commandeur, intouchable, Etienne Daho n’était pour la plupart des gens qu’un chanteur à minettes, dont les bluettes – très sexuellement ambigües – étaient tout juste bonnes à être diffusées au cours de rallyes. Longtemps, dire que l’on écoutait ses albums, c’était la honte ! »

Alex Beaupain – Après moi le déluge (videoclip) from Alexa MJ on Vimeo.

Avec « Profondément superficiel » ou « Pacotille », l’autre nouveauté que l’on voit clairement transparaitre, c’est une certaine autodérision.

« C’est un choix. Je crois que j’ai longtemps écrit au premier degré absolu. Mes chansons étaient sincèrement tristes et mélancoliques. L’autodérision, c’est un moyen d’éviter le cynisme, le second degré ou la référence. Elle met très sereinement de la distance. C’est une forme de recul salutaire. La posture du chanteur maudit par le destin, tourmenté par l’œuvre qui s’écrit, angoissé par les disques qui ne se vendent plus, ça me fait bien rigoler. Car malgré les coups durs, les difficultés, les absences, ma vie, elle, est démente. L’autodérision est une invitation à la modestie. Parfois, comme pour « Pacotille », il s’agit aussi d’un jeu d’écriture, de l’adéquation entre le fond et la forme. Dans cette chanson, où il n’est question que de miroir aux alouettes et de poudre aux yeux, je ne pouvais pas passer à côté d’arrangements de cordes et de clavier finement toc ! »

Alex Beaupain – Grands Soirs from Castor Equipment on Vimeo.

A propos de « Pacotille » qui file joliment la métaphore, et plus généralement d’écriture, ce quatrième album s’est-il écrit facilement ?

« C’est toujours pareil. Pour moi, j’ai besoin de chanter pour écrire mes textes. Quand j’ai une idée, je me mets au piano ou à la table pour écouter la maquette sur mon IPod. Et j’écris mon texte en chantant. Si au bout de trois heures, rien n’en ressort, tout passe à la corbeille. Je ne garde rien. Je n’ai pas de carnets griffonnés. Rien dans les tiroirs. Pour cet album, j’ai beaucoup écrit pendant la tournée, sur la route, en voiture ou dans le train. C’est pas mal d’écrire en voyant défiler le paysage à toute vitesse, ça donne le rythme, ça permet d’avancer. Les années faisant, l’expérience aidant, les choses se mettent aussi plus facilement en place. Maintenant, le jeu consiste à endiguer le flot, à resserrer le propos. Par exemple, l’écriture de « Après moi le déluge » a été un vrai jeu. Je me suis amusé avec les allitérations, les effets de miroir comme « Je t’attends, tu t’étends » ou « J’apprends que tu t’éprends »… »

Alex Beaupain, Sylvain Dépée, Sur la même Longueur d'OndesQuitte à passer à côté, à la première écoute, des jeux de mots du refrain…

« Ce n’est pas bien grave – c’est plutôt plaisant d’écrire des chansons de réécoute. Non, l’important, c’est tenir l’idée jusqu’au bout, accorder le fond et la forme. Au départ, « Après moi le déluge » avait un troisième couplet. Mais, à l’essai, je l’ai enlevé. Ça faisait système et ça éclipsait le propos. Souvent, le propos éclipse le travail d’écriture. Sur « Pourquoi battait mon cœur », pour la chanson « La nuit promet », je m’étais échiné à croiser les rimes en « ar » et en « ou ». Personne ne m’en a jamais parlé. »

La chanson « Coule » a été composée par Julien Clerc. On y reconnait immédiatement sa facture.
L’écriture des paroles en a-t-elle été compliquée ?

« Au contraire. Ça s’est fait assez simplement. Je lui avais écrit une chanson pour son dernier album et je lui ai demandé la pareille. Quand il m’a rendu sa copie, il m’a dit : « Ce sera peut-être un peu trop joyeux pour vous ». Sa mélodie est effectivement très rythmée, très sautillante. Etrangement, elle a quelque chose de « L’amour à la machine » d’Alain Souchon. Je me suis laissé guider par son rythme, ses sonorités. Dès que j’ai trouvé l’idée des grandes eaux et l’homonymie « coule/cool », c’était parti. Après, tu te prends au jeu de l’écriture. C’est toujours satisfaisant de réussir à caser des mots comme « cadastre » ou « skipper » sans que ça sonne artificiel. »

On entend sur les ondes et on lit dans la presse que vous êtes un chanteur sentimental. Mais, êtes-vous un chanteur romantique ?

« Si par « romantique », vous entendez chemises à jabot et redingote, ou vous sous-entendez « fleur bleue » ou « cul-cul », alors, je ne le suis pas. Mes chansons n’ont rien de mièvre. J’aime au contraire les situations-limites, j’aime l’exacerbation des sentiments et j’emploie des mots souvent crus. En revanche, si vous faites référence à la force de la nature, c’est indéniable ! Je ne suis ni mer ni montagne, contrairement aux romantiques, allemands notamment. Mais, il est évident qu’entre les averses, les ciels de traine, la pluie, la météo m’imprègne et m’inspire. »

Alex Beaupain, Sylvain Dépée, Sur la même Longueur d'OndesSans oublier, malgré l’intimité du propos, votre goût pour une certaine grandeur…

« Un certain lyrisme, oui… Je l’assume totalement d’autant plus que, ma voix étant ce qu’elle est, je ne peux pas verser dans l’outrance, tomber dans le grandiloquent. Cette idée de démesure me plait. Je me suis récemment fait incendier sur un réseau social parce que j’avais écrit que la musique de Michel Legrand, c’était un peu une montagne de crème chantilly sur de la crème anglaise. Michel Legrand ose tout. Il met des cordes, des cuivres, des chœurs. Il multiplie les lignes mélodiques. Il combine, il complexifie. J’aime cette montagne de crème chantilly. Le lyrisme, l’excès, la démesure, ce sont des armes non-conventionnelles. Et tant pis, si c’est ridicule aux yeux de certains. L’important, c’est que ça serve le propos ou la scène. »
Vous chantez le souvenir des grains de beauté dans un dos, les vieux horaires de train, les photos d’un amour défunt.

Pourtant, à vous entendre sur le lyrisme, on se demande si vous pourriez écrire une chanson sur la quotidienneté de l’amour, sur ses petites choses ?

« Surtout pas ! Il n’y a rien de plus ennuyeux que ces chansons-là. Il en existe, pourtant. Mais, elles ne m’émeuvent pas. Je crois même qu’elles sont inutiles voire néfastes. Je me demande si décrire les sentiments dans leur prosaïsme ne les abime pas. Franchement, je n’y vois aucun intérêt. »

Par ailleurs, on se rappelle du mot fameux de Gide : « Ce n’est pas avec des bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature ». En va-t-il de même pour les chansons d’amour ?

« C’est compliqué parce que dans mon cas précis, je n’écris pas de chansons que je n’imagine pas interpréter sur scène. Il faudrait alors pouvoir accepter l’idée de porter de telles chansons, d’assumer de chanter les beaux sentiments, leur joliesse ou leur pureté. Il faudrait aussi trouver la bonne idée d’écriture. Et je ne suis pas sûr que ça m’intéresse, maintenant. »

Cela signifie-t-il que vous ne pourriez pas écrire une chanson d’amour univoque, sans détours ?

« Ecrire une chanson sur l’idylle, ça me plairait. Mais, je ne l’ai pas encore écrite. Sauf peut-être en creux avec « De tout sauf de toi ». Mais, ce qui m’intéresse vraiment, c’est d’aborder les sentiments par un angle bien précis. Tout part généralement d’une constatation très sincère, de sentiments que j’ai éprouvés, et que j’exacerbe et caricature. Alors, les bons sentiments font-ils de bonnes chansons ? Peut-être. « Lily » de Pierre Perret est une bonne chanson. Font-ils de bonnes chansons d’amour ? Ça reste à prouver… Je ne suis d’ailleurs pas sûr que l’amour soit un bon sentiment. Ce n’est pas raisonnable, l’amour. Ce n’est pas rationnel, non plus… C’est au contraire excessif, dévorant, dérangeant…

Telle la chanson d’ouverture de l’album, « Je peux aimer pour deux », qui retrace une relation amoureuse SM…

« Et il faudrait s’interdire d’évoquer cette part d’ombre, d’aborder le fait que dans toute relation amoureuse, il y a des rapports de domination, qu’il peut y avoir un plaisir dans la soumission ? Pourtant, dans la chanson, on y est habitué. Il suffit d’écouter « Non, je ne regrette rien », « Je suis venu te dire » ou « Ne me quitte pas » ! Tout de même, « Laisse-moi devenir / L’ombre de ton chien », ce n’est pas rien. Alors, effectivement, ces chansons ne sont pas explicitement sexuelles. Mais, je ne vois pas au nom de quoi je me priverais de ce plaisir d’écriture. »

http://alexbeaupain.artiste.universalmusic.fr/
Sylvain Dépée

ARTICLES SIMILAIRES