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Olivier Mellano

Olivier Mellano, LO 66, Sur la même Longueur d'Ondes numéro 66

“Je fais la musique que j’ai envie d’entendre”

Le Rennais inclassable décline trois versions d’une même pièce : symphonique, électrique et électro avec moult invités : Simon Huw Jones (And Also The Trees), MC Dälek, Black Sifichi ou encore la chanteuse baroque Valérie Gabail, se jouant des chapelles musicales en révélant la fragilité de leurs cloisons.

Caméléon insatiable, Olivier Mellano ne modère ni ses envies, ni son imagination et c’est tant mieux. Dans les années 90, ses études de musicologie à Rennes l’amenèrent à faire l’école buissonnière auprès de la scène locale : Venus de Ride, Dominic Sonic ou encore Complot Bronswick. Dès 1998, il pratiqua le mélange des genres, musique classique, rock, vidéo et danse contemporaine sur son “Île électrique” lors des Trans Musicales de Rennes. Son jeu de guitare inventif fit ensuite sa renommée. Avant de l’exploiter dans le hip-hop avec Psykick Lyrikah, il électrisa Miossec ou Dominique A qu’il rejoint sur album et tournées. Co-fondateur de Mobiil et membre de Bed au début des années 2000, il sème le trouble dans le monde pop. Il réalise aussi quelques bandes-sons pour des spectacles de danse, des films ou des ciné-concerts. Oublions la gageure de citer avec exhaustivité la carrière d’Olivier Mellano et arrêtons-nous aujourd’hui sur “How we tried a new combination of notes to show the invisible”, à la fois spectacle et objet discographique (coffret CD / DVD). Il s’agit d’une nouvelle coproduction avec les Trans, auxquelles s’ajoutent La Station Service et l’Orchestre symphonique de Bretagne. Ce dernier est à l’origine du projet, en ayant commandé une œuvre à Olivier Mellano qui évidemment ne s’en est pas tenu là et a travaillé cette matière sonore perméable à tous les mondes musicaux, actuels ou savants. Ce tryptique classique, rock et électro en trois volets (+ un film DVD) poursuit le parcours entrepris en 2006 avec “La chair des anges”, composée de pièces pour clavecin et orgue, guitares électriques, quatuor à cordes et voix, entre musique baroque et contemporaine. En effet, cette nouvelle livraison se joue encore des formats et styles musicaux, brouillant les cartes entre écriture et improvisation.

Les interrogations, la démarche de recherche permanente d’Olivier Mellano se traduisent ici, comme une extension de sa personnalité. “How we tried a new combination of notes to show the invisible” le bien nommé, interroge le processus créatif, de la phase de recherche jusqu’à la forme finale. La “chose” créée convoque-t-elle une forme préétablie d’origine céleste, ou bien jaillit-elle de l’esprit de son géniteur ? Olivier Mellano revisite le pari des romantiques du XIXe d’avoir à suivre sa voix intérieure, d’inventer son propre monde et de ne plus voir en tout acte qu’une manifestation divine. Il convoque dans ses textes l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski qui, par la voix de son personnage Kirilov (du roman “Les démons”), déconseille d’approcher l’harmonie éternelle, soit la perfection artistique, plus de cinq secondes sous peine de voir disparaître son âme ! Olivier Mellano n’en a cure et continuera à chercher le Graal musical. D’ores et déjà, cette nouvelle œuvre protéiforme lui permet d’accéder à l’éternité par l’objet discographique. Il s’inscrit selon ses propres dires dans la lignée de Bryars, Stockhausen ou Arto Lindsay, “avec le point commun de n’avoir pas rejeté en bloc l’émotion musicale.” Inspiration divine ou pas, voici les explications du démiurge Olivier Mellano.

Raconte-nous la genèse de ce projet…
J’ai voulu confronter la symphonie commandée par l’Orchestre symphonique de Bretagne à d’autres esthétiques pour éprouver le matériau musical pur et voir ce qu’il pouvait donner en revêtant d’autres habits. Il y a dans cette démarche quelque chose de l’ordre d’un manifeste qui décide d’abolir les hiérarchies entre ces esthétiques. J’ai fait une transcription de la pièce symphonique pour 17 guitares électriques et un batteur, puis j’ai demandé à Simon Huw Jones du groupe And Also The Trees d’en être la voix. J’ai ensuite composé une version électronique et y ai invité Black Sifichi, Arm et MC Dälek. Tout le projet n’a été qu’une succession d’envies et d’évidences. J’ai également proposé à la réalisatrice Alanté Kavaïté de coécrire et de réaliser un film autour de la version symphonique. Cette pièce est comme un organisme autonome qui voudrait sans cesse se confronter à d’autres formes et je pense que ça n’est pas terminé. C’est l’envie de projeter la même musique via des spectres différents, sachant que certains types de musiques sont plus favorables que d’autres à susciter tels types d’émotions. Si l’on est en phase avec le fond, il peut prendre n’importe quelle forme. Certaines personnes ayant écouté les différentes versions ne se sont pas aperçues qu’il s’agissait de la même pièce. J’aime beaucoup quand le squelette qui tient tout l’ensemble finit par disparaître.

Ta démarche passerelle entre différents courants musicaux relève d’une intention ou bien est-ce viscéral ?
Je ne me pose pas cette question, je fais la musique que j’ai envie d’entendre. J’écoute beaucoup de choses différentes, je ne vois pas pourquoi on ne devrait écouter ou faire qu’une seule forme de musique. La forme importe peu, ce n’est qu’un choix d’énergie ou de couleur, l’essentiel est en dessous. Et tant mieux si les chapelles sont bousculées. Je pense que l’on sous-estime le public, les gens sont prêts à tout écouter, c’est la façon dont le système tente de les en dissuader qui est inquiétant.

As-tu noté de la condescendance vis-à-vis de la rock culture et toi-même as-tu éprouvé quelque complexe ?
J’assume absolument cette culture parce justement elle m’a décomplexé par rapport à la composition. Si j’avais suivi le cursus classique de composition, je serais probablement encore en train d’élaborer ma première mesure en guettant l’approbation de mes pairs. Pour des raisons générationnelles, de plus en plus de compositeurs viennent de la rock culture et de l’underground, il va falloir s’y habituer.

Vincent Michaud

ENCADRÉ 1

Olivier Mellano
“How we tried a new combination of notes / noise / one/0 to show the invisible”
(Naïve)
La logique appelle de commencer l’écoute de ce triptyque par “Notes”, la version symphonique. La chanteuse soprano Valérie Gabail y trace le sillon vocal pour ses successeurs. La musique baroque joue de concert avec la musique nouvelle, la BOF façon Hermann. Deuxième volume, “Noise” accueille Simon Huw Jones qui par son timbre glacé si racé… réchauffe la pièce. Les quatre mouvements se font plus secs et cassants, mais le chanteur parolier de And Also The Trees tient bien la tempête au milieu de 17 guitares (!), tour à tour extatique et apaisé. Troisième volet, “One/0” (électro hip-hop) s’avère le plus mouvant ; collages numériques et nombre d’invités (trois) obligent. Black Sifichi à la voix rugueuse si courue dans l’électro française, instaure une torpeur post-apocalypse ou pré-création, à chacun de ressentir. L’Américain MC Dälek / iconAclass distille ensuite son flow sombre sous un beat hypnotique, accompagné par un inquiétant chœur d’enfants. Arm (Psykick Lyrikah) apporte plus loin sa – relative – sérénité. Ces trois versions se complètent, au point d’échanger leurs pistes sur des moutures à télécharger sur www.oliviermellano.com. Enfin “How we tried…” est un film DVD, Prix du Public Étrange Festival 2012, coécrit par Mellano et réalisé par la cinéaste lituanienne Alanté Kavaïté sur la version symphonique. Un œuf y symbole la création… artistique. 2012, nouvelle odyssée de l’espèce et de l’espace ? Comme dans le film de Stanley Kubrick on y voit des cosmonautes / scientifiques d’une époque incertaine. Viennent aussi des images de modernité urbaine ou de verte forêt originelle. Science et humains, clonage ou procréation naturelle, le voyage métaphorique continue.

ENCADRÉ 2

Simon Huw Jones, la voix du volume “Noise” et chanteur leader d’And Also The Trees, folk rock gothique magnifié et intemporel.

Travailler avec Olivier Mellano ?
Olivier est très enthousiaste, passionné par ce qu’il crée. Il est très méticuleux et a une oreille extrêmement précise. Il n’a cependant jamais perdu son sens de l’humour et sa patience. Quand j’ai écouté la version classique avec cette belle voix soprano, je me suis demandé s’il s’adressait à la bonne personne en pensant à moi. Au commencement de la transcription, j’ai mieux compris. Cette expérience m’a fait beaucoup apprendre sur moi, ma voix et même sur la musique en général.
Entrer dans le travail d’un autre ?
Intéressant et difficile. Je n’avais jamais chanté de paroles autres que les miennes et on ne m’avait jamais demandé de jouer seulement le rôle du chanteur. J’ai été impliqué malgré tout dans la transcription, sans être certain de ma marge de manœuvre, Olivier non plus. Il a commencé par m’encourager à chanter de façon personnelle et instinctive. Je lui ai donc envoyé des enregistrements qu’il trouvait bons, mais pas à la bonne place. Il fallait coller plus à l’original. Souvent je ne comprenais pas ses décisions, mais en fait il avait raison. C’est un morceau de musique complexe, quand le timing des mélodies ne colle pas, ça sonne incomplet ou disjoint. Les parties vocales sont très proches de la version originale, même si je suis pas un chanteur classique et si je n’ai pas essayé de le devenir.

Dernier album paru “Hunter not the hunted” (AATT / Differ-Ant)
Avec le concours à la traduction d’Anne-Laure Charpentier.

“J’aime beaucoup quand le squelette qui tient tout l’ensemble finit par disparaître.”

“Je pense qu’on sous-estime le public, les gens sont prêts à tout écouter, c’est la façon dont le système tente de les en dissuader qui est inquiétant.”

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