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NICOLAS REPAC

« Je suis un passeur d’émotions »

Alter-ego musical d’Arthur H, guitariste et arrangeur aux doigts d’or, Nicolas Repac remonte aux sources du blues avec « Black Box ». Chaque morceau est construit autour de l’enregistrement d’une voix, tantôt issue de la collection de l’ethnomusicologue Alan Lomax (chants noirs américains des années 30), tantôt tirée des nombreux et éclectiques coups de cœur du musicien. Un voyage rétro-futuriste menant de l’Afrique à l’Europe de l’Est, en passant par Haïti, l’Amérique du Sud et les Etats-Unis…

Qu’est-ce que la « Black Box » ?

C’est une boîte noire identique à celle des avions, que l’on retrouve intacte au fond de l’océan après un crash. Sauf que la mienne est musicale ! Je la conçois comme une machine à remonter le temps, un écrin précieux où une partie de cette musique trésor, le blues, est conservée. Mais « Black Box » est tout sauf un disque de blues classique. Il s’agit plutôt d’un voyage musical et métissé qui explore le blues comme un sentiment. Il abolit les géographies spatio-temporelles.

Comment est né ce projet ?

Tout a commencé en 2004. Pour la première fois, je me suis retrouvé seul dans mon studio, en indépendant, avec le projet de créer un disque en forme de voyage dans le temps, pour le label No Format. Cela a donné « Swing swing », où je me suis amusé à recréer des big band virtuels pour les mettre sur le dance floor de notre époque. Lorsque j’ai envisagé de donner une suite à cet album, il fallait que je trouve autre chose. Comme je suis passionné de musique noire, le blues s’est imposé naturellement. Le projet « Black Box » était né.

Comment as-tu collecté les enregistrements à partir desquels tu as sculpté tes morceaux ?

Ce fut un long processus, entamé il y a quatre ans. Le blues, c’est avant tout la voix. Il me fallait donc mettre la main sur des pépites vocales avant de commencer mon travail. La plupart du temps, je les ai trouvées par hasard. Beaucoup d’amis, comme Arthur H ou Vincent Ségal m’ont fait suivre des enregistrements qu’ils imaginaient susceptibles de me plaire. Ils m’ont fait découvrir Alan Lomax, l’ethnomusicologue qui a notamment capté des voix noires des années 30, dans les chants de coton. J’ai composé une quarantaine de morceaux à partir de cette matière brute. Il m’a fallu en écarter beaucoup, pour des questions de droits. Une bonne partie de quatre années de travail a d’ailleurs été consacrée à ça : obtenir l’autorisation de réutiliser ces voix. Cela s’est avéré bien plus complexe que ce que j’imaginais ! Les réponses tardaient à venir, les procédures traînaient en longueur, nous avons essuyé des refus… J’ai, à un moment, craint que ce disque ne sorte jamais. Mais grâce à la persévérance de No Format, nous avons réussi.

Deux de tes morceaux sont construits autour d’enregistrements surprenants : l’un d’un chamane amérindien, l’autre d’une chanteuse tsigane. En quoi définis-tu ces voix comme blues ?

C’est difficile à expliquer. Il y a, quand je les écoute, une forme d’évidence, très liée à l’émotion qu’elles dégagent. J’ai découvert Stena Selinovic, cette chanteuse tsigane aveugle, complètement par hasard. Je travaillais à l’époque sur la musique d’un film belge se déroulant en Europe de l’Est. Pour trouver l’inspiration, j’ai dévalisé Virgin et en suis revenu avec une pile de disques tsiganes. L’a capella de Stena Selimovic était à la fin de l’un d’eux : une pépite magnifique, enregistrée en 1964, par un musicologue serbe. J’en ai eu le souffle coupé. Cette voix m’a immédiatement ramené au blues. Il y a, dans les musiques de l’Est, une exaltation du sentiment incroyable, particulièrement forte dans ce morceau. On retrouve une forme d’exaltation similaire dans le blues, né de l’horreur de l’esclavage pour devenir l’une des formes d’art les plus énergiques et émotionnelles qui soit… J’ai découvert le chamane grâce Arthur H. Nous travaillions alors sur l’un de ses albums, il voulait que nous utilisions des enregistrements de voix préexistantes. Là encore, la voix de cet Amérindien s’est immédiatement imposée à moi comme blues. Le chamane chante pour faire du bien et guérir. Les bluesmen ne font rien de moins.

La musique soigne ?

J’en suis convaincu. Elle peut faire un bien fou, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi d’en faire mon métier. J’aime l’idée de « médecine blues ». Mais ce n’est au fond pas si mystérieux : il y a un lien très fort entre la musique et le corps. La première fait du bien au second, notamment via la danse et la transe du rythme. C’est particulièrement vrai sur les continents où la musique est un art collectif et oral, comme l’Afrique. Là-bas la musique est une ronde, littéralement : elle se joue en cercle, où chaque musicien joue l’un après l’autre.
En occident, c’est un peu moins vrai. Probablement parce que nous nous sommes très vite attachés à coucher la musique sur le papier, je veux dire à en faire un langage écrit, structuré, complexe, avec des harmoniques élaborées. La musique s’est intellectualisée, le rapport au corps s’est distendu.

Comment as-tu travaillé à partir de ces voix ?

De manière très instinctive. Je ne rationalise rien, même si je réfléchis beaucoup. J’arrive le matin dans mon petit studio de Montmartre. C’est un lieu idéal. Il y règne un silence absolu – si l’on excepte les cris qui s’échappent de la cours d’école juste en face, à l’heure de la récréation. Après cela, je laisse la musique venir à moi. Je capte des choses. Les correspondances s’imposent. Je rêve et fantasme la musique en toute liberté, de façon spontanée. C’est un chemin mystérieux.

Tu utilises des sons du passé pour construire des morceaux d’aujourd’hui. Quel est ton rapport au temps ?

Je pense que l’on n’échappe jamais complètement au passé. On a toujours en soi un peu de ce que nos aînés musiciens ont fait avant nous. Mais ma démarche n’est en aucun cas passéiste : elle est tout le contraire, c’est-à-dire rétro-futuriste ! Même si cet album est construit à partir d’un matériel blues d’autrefois, il est bien ancré dans notre époque. D’ailleurs, on peut plutôt le définir comme électro. C’est ce que j’aime faire : construire des trompe-l’œil à partir de matière sonores récoltées ici ou là. Le sampler est l’outil idéal pour cela. Il permet de reconstruire des orchestres impossibles, de s’adonner à des détournements sonores, et surtout, d’établir des correspondances. Avec le sampler, on peut faire se côtoyer Jean-Sébastien Bach et Jimmy Hendrix. J’aime abolir les frontières du temps et de l’espace.

Comment te définis-tu : arrangeur, mixeur, sampler ?

Ces termes-là sont avant tout techniques : ce sont ceux que l’on écrit sur les contrats. Je suis tout cela à la fois, mais plus fondamentalement, je me conçois plutôt comme un émetteur-récepteur. Je reçois des messages et je les restitue. J’aime tenter de saisir, au bon moment, une émotion, pour la restituer en toute modestie. Je suis un passeur d’émotions.

Tu nourris une véritable passion pour la musique noire. Pourquoi te bouleverse-t-elle autant ?

A cause des rythmes. Enfant, les rythmes du rock de Chuck Berry, Little Richard et des musiciens noirs des années 50 ont été mon premier choc musical. Ils m’ont ouvert une porte. Très vite, je me suis mis à creuser. D’où venait cette musique incroyable ? J’ai découvert qu’elle est née du blues. De là, je suis remonté à l’Afrique. Ces musiques noires ont en commun, dans leurs rythmes, quelque chose qui relève de la transe. C’est une drogue. Elles ont un pouvoir qui relève quasiment de l’occulte, une souplesse qui me séduit. Lorsque je les écoute je me sens moins seul : elles sont un art collectif et familial. On comprend cela lorsque l’on va en Afrique : la musique est partout, dans les mariages, les enterrements, les repas.

Il y a, entre tes morceaux et ceux d’Arthur H, quelque chose qui relève de ce dont tu parles : la transe du rythme.

Ce n’est pas étonnant. Nous partageons de façon très intime une sensibilité commune. Nous aimons les mêmes timbres et cette idée qu’il y a une forme d’universel, ou disons, de voyage spatio-temporel, dans la musique. C’est un frère d’âme artistique.

Quels sont les artistes qui ont marqué ton parcours ?

Ils sont nombreux – et pas tous issus de la musique noire -, mais si je devais n’en citer que quatre, je dirais Gainsbourg, Miles Davis, Tom Waits et… Stanley Kubrick ! Ils font tous à leur manière partie de ma mythologie personnelle. Les deux premiers ont en commun de s’être servis de leurs faiblesses pour créer quelque chose d’inédit. Miles Davis est né à une époque où, avec Dizzy Gillepsie, il fallait jouer à 200 à l’heure : en réaction, il a inventé le jazz cool. Dix ans plus tard, il a créé le jazz rock… Il a réinventé plusieurs fois le genre, comme l’a fait Gainsbourg avec la chanson. Ce dernier a introduit la voix parlée bien avant que l’on évoque le slam. Tom Waits, lui aussi, a eu plusieurs périodes radicalement différentes. Et Kubrick n’a jamais craint d’explorer un univers nouveau à chaque film, il n’a pas hésité à claquer la porte des grands studios d’Hollywood pour redevenir indépendant. Tous en commun de ne jamais avoir eu peur de changer de registre, de se renouveler entièrement sans craindre de perdre leur public. C’est ce qu’il y a de plus passionnant dans l’art. Jeune, c’est ce que je rêvais d’être.

Envisages-tu de réaliser le même travail de sample « spatio-temporel » avec d’autres musiques ?

Pour l’instant, la musique occidentale, si l’on peut l’appeler comme ça, me passionne moins. Cela ne m’empêche pas d’envisager de monter quelque chose sur la musique classique et contemporaine avec mon sampler. J’ai l’intuition de quelque chose, mais pour l’instant, ce n’est pas assez précis.

L’écoute de « Black Box » fait également naître des images très fortes. As-tu travaillé les morceaux dans ce but ?

En effet. J’aime particulièrement les musiques qui donnent à voir, que l’on pourrait qualifier de cinématographiques, et je travaille dans cette direction. C’est pour moi fondamental. Si tout va bien, il y aura un jeu d’images très travaillé sur scène, pour la tournée de. Mais je n’en dis pas plus, je suis un peu superstitieux…

La tournée de « Black Box » démarrera au printemps 2013.

Aena Léo
Photos Emma-Pick

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