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Le Printemps Érable 


Les artistes québécois et le Printemps Érable

Pour compléter l’article publié dans le dernier Longueur d’Ondes, nous vous proposons une série d’entretiens réalisés auprès de JS Le Tueur (Mise en Demeure), Marc-Étienne Mongrain (The Lemming Ways), Sarah Toussaint Léveillé, Le Husky, Louis-Jean Cormier (Karkwa) et Chafiik (Loco Locass). Et pour vous mettre dans l’ambiance de ce Printemps Érable, voici deux vidéos qui ont énormément circulé dans les médias sociaux québécois :

Le Lip-Dub rouge, vidéo réalisée par Marc-Antoine Doyon et Véronique Dagenais. Plusieurs artistes québécois (Karkwa, Loco Locass, Yann Perreau) ont donné leur accord pour l’utilisation de leur musique. On note également la participation des membres du groupe Loco Locass dans la vidéo, tournée en une journée.

Les casseroles, vidéo réalisée par Jérémie Battaglia. Sur une musique d’Avec Pas d’Casque (Intuition #1), de très belles images des marches des casseroles, manifestations en protestation de la loi 78, qui entre autre interdit les rassemblements spontanés de plus de 50 personnes et est considérée comme une atteinte à la liberté d’expression.

Naître de la grève
Entrevue avec J-S le Tueur de Mise en Demeure

Né de la rencontre d’étudiants-amis-militants, Mise en Demeure distille ses paroles croustillantes et acérées de concerts bénéfices en manifestations. C’est en 2007 dans le cadre d’un bed-in au Cegep du Vieux Montréal que tout commence. Lieu de « repos » des manifestants venant d’un peu partout au Québec, l’administration peu encline à héberger tout ce monde décide d’envoyer la police : résultat 100 arrestations. À la suite de quoi, il a fallu lever des fonds pour payer des avocats et autres frais afférant. À l’époque, il n’y avait pas vraiment de groupe militant dans le milieu étudiant, alors J-S et François décident de monter un « petit » set qui a durée 1 h 30 ! C’est le début de l’aventure.

Côté musique, c’est justement le franc parlé qui a fait le succès du groupe. La « violence » des paroles contrastent avec l’aspect bon enfant de la musique. Ils ont d’ailleurs souvent été accusés par leurs détracteurs d’incitation à la violence à cause du contenu explicite de leurs paroles. Anecdote cocasse, durant « Occupons Montréal » (NDLR : mouvement altermondialiste, commencé à New York avec « Occupy Wall Street »), le groupe a fait un show de dernière minute en l’annonçant via FaceBook une vingtaine de minutes avant seulement. Arrivé sur les lieux, le groupe décharge son matériel, sous les yeux de la police, qui leur demande : «  Vous êtes bien le groupe Mise en Demeure », ce à quoi ils ont répondu avec le sourire : « Oui, pourquoi, vous êtes des fans ? ».

Si pour eux le mouvement social du printemps était prévisible, son ampleur l’était moins. En tant que militants dans des associations étudiantes, ils avaient préparé le terrain, et les étudiants avaient eu le temps de murir leur réflexion concernant les frais de scolarité. Le simple fait de faire des Assemblées générales pour faire voter la grève était une petite victoire. C’est dans ce contexte que le groupe a vécu depuis plusieurs années. C’est en cela un groupe de la grève et de la contestation. Si toutes les actions menées par d’autres musiciens qui ont soutenu la cause étudiante sont légitimes, si le mouvement est une source d’inspiration, pour eux, c’est juste leur vie. Ils voient ça de l’intérieur, et non pas comme un fait de société dont ils se seraient emparés sur le bord du chemin pour en faire des créations musicales.
Site internet.
Vidéo de « Violence Légitime, mon œil »

Prendre la rue
Entrevue avec Marc-Étienne Mongrain de The Lemming Ways

Si vous aviez eu l’occasion de faire quelques manifestations à Montréal ce printemps, vous auriez surement croisé Marc-Étienne Mongrain. À l’instar de certains autres artistes qui se montraient uniquement lors des gros rassemblements (tous les 22 de chaque mois depuis le début de la grève étudiante), Marc-Étienne lui, en a vécu des manifs, et pas des plus calmes, la violence policière arbitraire étant généralement le « Happy End » généré par le gouvernement alors en place.

Le jeune homme à l’énorme carré rouge, auteur / compositeur du groupe The Lemming Ways, semble être sur tous les fronts. En concert, c’est avec conviction et émotion qu’il souligne l’aspect « prémonitoire » de ses chansons. Le EP « Two / Poles » aurait tout aussi bien pu être écrit pendant le mouvement social que vit le Québec, mais il a été finalisé juste avant ça. « C’est sans doute comme si c’était dans l’air, qu’il allait se passer quelque chose. » Rien que dans les titres, tout semble dit : « We Lost », « I believe », « Two Poles ».

Marc-Étienne ne se voit pas comme une personne engagée, c’est juste qu’il vit et que le contexte social qui l’entoure le bouscule, alors, à son tour, en allant sans cesse manifester dans la rue, en prenant son appareil photo sous le bras comme témoin visuel, et sa tête bien pleine comme arme, il affirme son soutien aux étudiants et même plus. Il s’intègre au mouvement, il en fait partie à part entière avant tout en tant que citoyen. « En tant que musicien, je n’ai pas une job de 9 h à 17 h, je suis musicien tout le temps. Et avant d’être musicien, je suis citoyen, alors je ne sais pas si on peut dire que je suis engagé, ça m’a toujours un peu dérangé ce concept d’artiste engagé, ça veut rien dire dans le fond. » Son engagement peut-il nuire à son groupe ? Il n’a pas de réponse, mais Gabriel Lemieux-Maillé, batteur au sein de The Lemming Ways croit au contraire qu’affirmer ses convictions donne un capital sympathie au sein du public ou des fans : « Que le monde soit d’accord ou pas avec tes idées, l’essentiel c’est d’être honnête et cohérent avec toi-même, et ce type d’attitude ne peut pas nuire à la musique. »

Sur les musiciens qui n’ont pas pris parti pendant la grève, il explique : « Je peux comprendre, tu peux avoir un avis sur le sujet, mais ne pas te sentir à l’aise pour l’exprimer. Les musiciens ne sont pas obligatoirement des porte-parole ». De même, quand on l’interroge sur les chansons sorties pendant la grève, il sourit : « Les chansons écrites dans la spontanéité ne sont pas forcément les meilleures ».

Si Marc-Étienne Mongrain se dit parfois « radical » dans ses propos ou dans ses actes, il n’en demeure pas moins que musicalement comme socialement, le Printemps Érable à apporter de bonnes choses et permis d’élargir le spectre de la pensée.

Site internet de The Lemming Ways.


Assumer son engagement
Entrevue avec Sarah Toussaint-Léveillé

Sarah Toussaint-Leveillé est une petite nouvelle du paysage musical francophone québécois, découverte entre autre grâce à sa participation au concours des Francouvertes 2012. Cette musicienne de 21 ans a réalisé une chanson accompagnée d’un vidéo-clip « Boboche » : C’est l’heure de cogner la casserole, hommage aux longues marches des Québécois et leur batterie de cuisine, dernier bruit de la rue pour se faire entendre. « En show, quand arrive le moment de chanter les casseroles, je me dis toujours : Est-ce que ça va passer ? Mais ça passe, suffit d’assumer » explique la jeune femme. Pour elle, cette chanson est une proposition de ce qui lui tient à cœur. « L’artiste est citoyen, et son art, c’est sa plateforme pour défendre ses idées, s’il décide de l’utiliser ainsi. » Point d’opportunisme là-dedans, en effet si l’artiste aide une cause, parfois, en retour, la cause aide l’artiste, mais cela est généralement difficilement contrôlable. « Je voulais écrire une chanson qui n’attaque pas les autres, mais qui souligne l’éveil collectif. Il y a des sous-entendus, mais pour moi, ce sujet vaut au-delà de la crise étudiante. C’est une façon de dire qu’il faut se consulter, que l’on doit être notre propre porte-voix, cesser de dissocier la politique du peuple. Nous sommes la politique, les politiciens sont supposés nous représenter, ce qu’ils ne font pas toujours ». Alors l’artiste prend le relais ? « Je crois qu’il forme une petite partie de l’isthme entre le peuple et les gens de pouvoir, quand il décide de le faire. Il n’a pas le devoir de le faire, mais il en a le droit, certainement » Est-ce un risque de s’engager ? « Dangereux ? Ça peut. Mais il faut assumer, et à partir du moment où on l’assume… on arrête de se justifier ! »

Site internet de Sarah.

Militer pour un parti
Entrevue avec Le Husky

« Maintenant, je vois rouge en dedans, je me sens presque violent, quand je vois couler le sang ». Ces paroles se trouvent au cœur de la chanson « Voir Rouge », écrite et composée par Le Husky à la fin du printemps et inspirée du mouvement de la rue. Yannick Duguay alias Le Husky l’avoue pourtant, il a fait beaucoup moins de manifestations que sa blonde (NDLR « compagne » en québécois !) et c’est à travers leurs discussions que la chanson est née. L’une dans la rue, l’autre derrière son écran à partager et relayer de l’information, à prendre position, à montrer du doigt, à défendre. Chacun sa voie / voix pour se faire entendre ! « Quand tu vois des confrontations violentes entre des policiers et des manifestants aux images du télé journal, ce n’est pas le Québec dont j’ai envie ! » s’exclame-t-il.

Point d’opportunisme dans « Voir Rouge » : « J’écris toujours sur ce qui me prend aux tripes, ce qui me fait ressentir des choses en dedans. Cette chanson, je l’ai payé de ma poche et tout le monde y a mis du sien. Puis, tu peux la télécharger gratuitement. Elle sert sans doute plus la cause que Le Husky. Dans le fond, quand je m’exprime, c’est en tant que citoyen, que Yannick Duguay avant toute chose. Il se trouve que je fais de la musique, alors naturellement, je signe la chanson du nom du groupe… »

Yannick ne s’attendait pas à un tel mouvement, une sorte de renversement de l’équilibre social établi venant de la jeunesse, ces étudiants qui ont réussi à rallier beaucoup de monde à leur cause. Et après la voix de la rue, celle des urnes ? Il a milité pour le parti de Jean-Martin Aussant, Option Nationale : « Ça doit passer par là aussi, il se trouve que j’avais plus de temps à ce moment, alors je l’ai utilisé pour ce qui me parait utile, et quand j’ai lu la plate-forme d’Option Nationale, cela me correspondait. »

Site internet du Husky.
Chanson « Voir Rouge ».

Créer l’inspiration
Entrevue Louis-Jean Cormier

Chanteur du groupe Karkwa et nouvellement artiste solo avec son album « Treizième étage », Louis-Jean Cormier s’est dit inspiré par ce printemps qui a bousculé plusieurs artistes québécois : « Ça serait mentir de dire autant pour moi que pour la majorité ou l’ensemble des artistes qui ont eu à produire quelque chose durant le printemps 2012, qu’on n’a pas été inspiré par ça. Puis je le souhaite à tout le monde de l’avoir été, parce que c’est exceptionnel. Moi je suis né en 1980, je vis dans une génération passive. Je n’ai pas connu des grands rassemblements dans ma vie. Donc c’est sûr que ça me rentre dedans. Puis je pouvais mieux comprendre ce que mes amis des générations au-dessus ont vécu dans les années 1960 – 1970 : les gros rassemblements, la prise de conscience. Puis après ça les années 1980, les référendums, la poussée du Parti Québécois. Je ne veux pas être partisan du tout, mais reste que jusqu’aux résultats des élections du 4 septembre, il s’est passé plein de choses. Donc ce n’est plus juste le printemps québécois, c’est rendu une année de rebondissements. »

« J’ai fait quelques manifs et j’ai participé activement en jouant comme le 22 avril, en marchant avec les gens, en tapant de la casserole, en suivant ça avec des élans émotifs, poétiques, parce qu’en tant qu’artistes, on est à fleur de peau. On est peut-être plus sensible que d’autres à cette mouvance-là. J’ai redécouvert en moi l’artiste engagé qui était un petit peu camouflé, un petit peu dans sa bulle avec Karkwa, parce que oui, on avait des pointes sociales, oui, on était actif quand même, mais on ne portait pas le flambeau du groupe engagé. Je ne le porte pas plus de façon primordiale en solo, mais j’ai osé en étant solo, je ne parle plus pour quatre autres personnes, je me suis dit que j’allais prendre plus position, que j’allais me dévoiler un petit peu plus là-dessus…

Alors les artistes « récupéré » ? « Parfois le danger, c’est que ça sent l’opportunisme, ça ne serait pas bien que ça soit ça. Il faut le faire avec des convictions profondes, il faut le faire d’une manière sincère. Est-ce vraiment de la récupération, je ne pense pas, la situation est tellement importante que finalement « fuck off » ! Opportunisme ou pas ça sert à quelque chose. Ça peut même parfois nuire à la cause de l’artiste. La partisannerie, c’est dangereux. À travers l’art, je n’aime pas ça. Mais l’engagement social, des pointes universelles, des constats de sociétés, c’est très positif et stimulant ! »

Site internet de Louis-Jean Cormier.


Être fier de son peuple
Entrevue avec Chafiik des Loco Locass

Loco Locass est un groupe « à part » de la scène francophone québécoise. Depuis maintenant presque 20 ans, Batlam, Biz et Chafiik propagent leur musique sur fond de paroles indépendantistes. « En faisant ça, on sait que l’on se coupe déjà de la moitié d’un public potentiel » explique Chafiik. « Si on a un truc que l’on n’a pas fait comme les Français, c’est justement de manifester toutes les deux secondes ! L’ampleur du Printemps érable m’a surpris, mais pas le fait que ce soit des jeunes qui portent le flambeau, car je n’embarque pas dans le discours des jeunes qui ne sont pas intéressés par la politique. Mais que les Québécois, avec le point culminant des casseroles, soient dans la rue, pour moi c’est du jamais vu ici. »

Au milieu du printemps, l’album «  Le Québec est mort, vive le Québec ! » sort. Cette sortie n’était pas calculée, mais prévue depuis longtemps ; elle s’est véritablement fondue au cœur des mouvements sociaux. Aucune des chansons ne parlent du printemps québécois, mais reste que dans le discours, le ras-le-bol est là, avec des envies de grands changements. « On s’est quand même abreuvé de cette énergie-là. L’album ça a été sept ans de textes au compte-goutte et trois mois de gros rush intense d’enregistrement qui ont correspondu au début de la grève. Au début je ne trouvais même pas le temps d’aller manifester. Mais quand l’album s’est terminé, la grève n’était pas encore finie, alors on y est allé ! »

Moment fort pour le groupe, le concert du 15 juin aux Francofolies : « C’était un concert-concept. Du début jusqu’à la fin, il y avait des références aux mouvements sociaux étudiants. On avait demandé aux gens d’emmener leurs casseroles. Selon les organisateurs des Francofolies, c’était l’une des plus grosses soirées jamais connues. Il y avait trop de monde, c’était fou ! On a les a fait participer, on leur a fait chanter des slogans. C’est surtout ce spectacle-là plus que l’album qui a marqué notre participation à ce mouvement. » Ce soir-là, la traditionnelle manifestation de nuit comptait plus de 30 000 personnes. « On était dans la rue, on parlait des enjeux, on avait nos casseroles, on ne marchait pas, mais on regardait tous dans la même direction. Aux Francofolies, ils ont recensé une bonne dizaine de groupes ayant utilisé les casseroles dans leur concert ! ». Ils ont également participé à un Lip Dub qui a fait le tour des médias sociaux. Réalisé par des étudiants (Marc-Antoine Doyon et Véronique Dagenais), cette vidéo tournée en un long plan séquence reprend plusieurs chansons d’artistes québécois dont le fameux « Libérez-nous des Libéraux »… et dans les faits, ça a marché !

« Grâce aux casseroles, j’avais une double jouissance : celle d’un peuple qui décide littéralement de se réveiller, d’aller dans la rue, de faire des manifs spontanées de casseroles, et celle du fait que ce soit musical. En tant que musicien, ce que j’adore dans la musique, c’est son lien avec la vie. C’est comme un désir profond d’harmoniser la vie. La musique c’est prendre des bruits et ça devient de la musique en fonction de la manière dont tu les organises. Il y avait quelque chose de noble mais populaire. J’étais fier que mon peuple manifeste de manière festive. »

Loco Locass est l’un des rares groupes qui s’affichent comme engagés : « Ça peut être très difficile de faire du bon art en revendiquant. La plupart de l’art de qualité n’est pas nécessairement engagé. L’art n’est pas quelque chose qui doit être engagé, mais ça peut l’être. Pourquoi peu de monde le fait… parce que souvent les gens qui ont la forme n’ont pas le fond et vice et versa. Il y a plein de personnes qui ont de bonnes choses à dire, mais qui n’ont pas forcément un talent de composition, une belle voix, le gout de faire bouger des foules. Mais d’un autre côté tu as plein de fous, des gens extrêmement talentueux, qui ne regardent peut-être pas le journal chaque soir. Ça peut paraître irréconciliable : les gens de création d’un côté et les gens d’analyse de l’autre. Parfois il y en a qui tombent dans le milieu, et c’est le cas de Loco Locass. »

Et l’avenir dans tout ça : « Le gouvernement vient de changer, on peut voir ça comme une période d’accalmie. Il ne faut pas non plus toujours être en crise, sinon les crises n’ont plus d’impact. Je trouve ça normal que des artistes qui n’étaient pas nécessairement engagés aient pris par au mouvement, mais là il va falloir voir à la suite. » Pour Chafiik, il y a bien eu un Printemps Érable, mais le vrai printemps québécois reste à venir, une saison qui mènerait vers un pays démocratique, libre et indépendant.

Site internet des Loco Locass.

Yolaine Maudet
Photos Toma Iczkovits, Véronique Messier
Peinture du réalisateur Pierre Tetarte

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