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Alexis HK & Oxmo Puccino



Rencontre au sommet !

Comme en 2009, leur nouvel album sort le même jour cet automne. Enfants de 1974, du rap et de la chanson, francs-tireurs et fines gâchettes, ils tracent depuis quinze ans leur chemin de liberté. Malgré les déconvenues et les honneurs. Ils étaient faits pour se rencontrer.

Tous les deux, vous avez hybridé chanson et rap. Comment ces deux styles musicaux se sont imposés dans vos vies ?

OX : La chanson et le rap, j’ai fini par trouver ça similaire. La chanson a toujours fait partie de ma vie ; c’est dans mon code génétique. J’ai toujours baigné dedans : la chanson à texte, mais aussi les tubes du TOP 50. Puis, tu creuses. Tu écoutes des disques de Police, tu découvres Sting. Tu achètes des cassettes au hasard ; tu tombes sur Vangelis. Tu fouilles dans les disques des parents, tu tombes sur l’Orchestre National du Mali. Et à un moment, le rap débarque. Ça commence avec les imports que te font écouter les « grands ». Ce sont des vinyles avec des mecs qui portent des baskets sans lacets. Rien n’est encore codé. On y entend des relents de rock, des mecs avec des looks spéciaux qui hurlent. Là, tu te dis : « Il y a quelque chose qui se passe ! ». Et t’es déjà dedans. C’est un style de vie. C’est la vie. Le rap, c’est juste le nom d’un des plus grands courants musicaux nés à la fin du XXème siècle…

HK : Et, sans doute, le plus fort !

OX : Il est très lié à la société ; il reste totalement d’actualité. Il se renouvelle sans cesse. Les rappeurs sont devenus des parents ; les jeunes naissent et grandissent avec cette musique façonnée par leurs parents. Et malgré cette « normalisation », les nouvelles générations n’ont pas arrêté de l’écouter et de la pratiquer.

HK : Je me rappelle quand je t’avais vu en concert, tu avais défini, entre deux titres, ce qu’était un rappeur. Tu avais expliqué qu’un rappeur, c’était quelqu’un qui par ses mots, essaie d’édifier sa propre gloire, non dans un délire égotique, mais pour retrouver une identité, une dignité.

OX : Oui, parce que pendant longtemps, le rap n’a pas été reconnu comme un courant artistique à part entière. Longtemps, ça n’a été qu’une sous-culture.

HK : Pour ma part, dès le berceau, j’ai été biberonné à la chanson. En famille, on écoutait Brel, Brassens, Ferré. Mais, Brassens, pour moi, c’est un des premiers toasters de l’histoire, c’est-à-dire qu’il utilisait les mots comme des obsessions, comme des sonorités capables de se suffire à elles-mêmes. Alors que l’on pourrait les placer aux antipodes, il y a entre Brassens et les rappeurs, un jeu similaire avec les mots et les allitérations. Ensuite, ado dans les années 90, j’ai vu débouler des mecs comme NTM, IAM, MC Solaar. Toute cette génération a redoré le blason de la langue parce que les années 80 ont tout de même été le « grand sacrifice humain » de la langue. Les tubes du TOP 50 étaient mélodiquement efficaces, mais d’un point de vue de la langue et du propos, affreusement pauvres. Au début des années 90, débarquent donc ces mecs-là avec un vrai propos et une identité sociale. Chacun à sa manière, ils donnent la parole à un malaise social. C’était vraiment novateur et revivifiant tant dans la forme que dans le fond. Et en même temps, le rap pose la question essentielle : comment repenser et retravailler la langue pour s’exprimer et pour « édifier sa propre gloire », comme dirait Oxmo.

OX : C’est ça, exactement : comment se forger dans l’adversité ? C’est rarement évident au début. Il faut faire avec un public qui peut te balancer tes tomates, un public qui s’approprie ton travail alors qu’il ne le comprend pas vraiment. D’autant plus qu’au départ, tu y vas sans aucune connaissance. Comme les punks, tu y vas la fleur au fusil : tu ne sais pas jouer de guitare, tu t’en fous, t’en prends une et t’envoies la sauce ! C’est de la pure énergie !

HK : Ce qui prime, c’est ce que l’on a sur le cœur. Dès qu’on arrive à l’exprimer, que ce soit par le rap ou la chanson, on a réussi. « Redemption Song » de Bob Marley en est le parfait exemple. Qu’est-ce que cette chanson ? C’est le moment précis où le mec prend sa guitare, va nous dire sa vérité et nous faire vibrer par son point de vue.

OX : Pas besoin d’orchestre, pas besoin de production, la simplicité même.


Ce qui signifie que chanter, c’est avant tout une école de sincérité ?

HK : Tout à fait. Chacun va la porter dans son style propre, celui qu’il s’est forgé.

OX : Dès lors qu’il y a des mots choisis, en français, sur de la musique, c’est de la chanson. C’est une globalité. Le rap est un style qui s’inscrit dans cette globalité. La seule différence entre le rap et la chanson, comme on l’entend traditionnellement, est technique : le texte n’est pas chanté, il est exprimé de manière rythmique et monocorde. Mais, la différence reste aussi dans l’imaginaire. Elle est encore liée à des représentations, des codes, des images qui d’ici à quelques années, se seront évanouis. On parlera du rap comme du rock ou du jazz. Ce sera un style comme un autre. Pas moins ou plus social, pas moins ou plus scandaleux qu’un autre. Seuls resteront la justesse et la sincérité des mots, ou leur absence.

Il n’y a donc plus de codes à respecter ou à enfreindre ?

HK : La seule règle, à mes yeux, est de ne pas être dans l’imposture. J’adore le rap ; j’en écoute. Mais, jamais, je ne pourrais me prétendre « rappeur ». J’ai l’impression que pour se dire « rappeur », il faut avoir un certain vécu, venir d’une certaine histoire. J’ai grandi en pavillon, dans une banlieue certes, mais assez préservée. Je serais un usurpateur si je m’appropriais des situations de violence, sans jamais les avoir vécues. J’aurais l’impression de voler quelqu’un. Quelque soit la forme utilisée, l’important est d’être sincère. Edifier sa propre gloire, c’est savoir qui on est. Savoir qui on est, c’est faire des chansons qui nous ressemblent, qui nous collent à la peau. C’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile….

OX : C’est ce qu’il y a de plus difficile !

HK : …sans détrousser quelqu’un. Mais, en se laissant influencer, en se laissant bercer et en reprenant à son compte tel ou tel élément pour entendre au final : « Ah ouais, c’est bien lui ! Je le reconnais ! Je vois ce qu’il a digéré pour en arriver là ! ». Cette démarche est primale. Après, la forme fluctue au gré des envies, de ce que tu écoutes. A certains moments, tu peux avoir besoin d’écouter du rap bien costaud, et à d’autres, d’écouter une chanson douce de Yaël Naïm. Aujourd’hui, il y a tellement de musiques qu’il devient impossible de se cantonner à une seule école et de s’y enfermer de manière sectaire. C’est une époque, très dure, où il faut trouver son identité au milieu d’un incroyable volcan musical.

OX : Il y a quinze ans, on avait accès à une toute petite partie de la musique du moment. Avec internet et les nouvelles technologies, on a accès à toutes les musiques de toutes les époques. C’est une révolution. Maintenant, tu as tout – le morceau, les reprises, les clips, les commentaires – en un instant. Ça change profondément l’inspiration et l’écriture. Dans quelques années, on se rendra compte de la lame de fond qui est en train de survenir. Maintenant, il est non seulement possible de mélanger les genres provenant de toute la planète, mais aussi de mélanger les époques.

Ce que vous faites déjà l’un comme l’autre. Oxmo, « Pam Pa Nam » est une moderne tarentelle dans laquelle vous glissez quelques mesures de « La Marseillaise ». Et vous, Alexis, après « Maudits Anglois » sur « Les Affranchis », vous nous servez une pavane médiévale « Ignoble noble »…

HK : C’est devenu un clin d’œil, presque une marque de fabrique. Je trouve notre époque terriblement paradoxale. Elle est à la fois hypermoderne et complètement médiévale. C’est un mélange spatio-temporel qui m’amuse. Aujourd’hui, il faut être ludique et sincère. Dès que tu arrives à prendre du plaisir ou à t’émouvoir avec sincérité, les spectateurs l’entendent. La question du style leur est secondaire. Dès lors que la chanson leur parle, tu pourras mettre ce que tu voudras derrière, pourquoi pas une scie musicale, ça leur importera peu.


Vos albums ont-ils été conçus dans le plaisir ou cela reste-t-il un exercice éprouvant ?

OX : Dans le bonheur et dans le jeu, totalement. Je ne crois pas à la création dans la souffrance. J’aime ce que je fais…

HK : Et tu es reconnu pour ce que tu fais…

OX : Tout à fait. J’ai un parcours qui me permet, maintenant, de créer dans la tranquillité et je ne veux pas gâcher ces moments de plaisir, d’euphorie. On fait de la musique, on s’amuse, on arrive à en vivre un peu et il faudrait s’angoisser ? Hors de question ! Ce sont tout de même les meilleurs moments de ma vie.

HK : Pareil ! Pas mieux !

Vous faites donc ce que vous voulez ?

OX : Oui. Depuis mes débuts, j’essaie de faire ce que je veux !

HK : Sur ce point, on est, je crois, tous les deux arrivés au même stade : on fait ce que l’on veut et on est capable de le défendre. On est en capacité de dire : « T’as pas aimé ? C’est pas grave ! ».

OX : Exactement !

HK : Quand tu sors ton premier disque, tu prends des taules et tu ne sais pas vraiment comment te défendre. Au bout du troisième ou du quatrième, tu fais des morceaux, ça plait un peu, beaucoup, tu réussis des chansons et tu en rates d’autres. Mais, tu avances, tu te bonifies et tu te renforces au contact des critiques.

Mais, êtes-vous le seul juge de paix de votre album ?

OX : Ah, mais, c’est très important ! Il faut être en accord avec ce que tu délivres. Tu peux avoir des doutes quand tu cherches, quand tu crées. Mais, avoir des doutes quand tu as tout fini est impossible !

HK : On ne te pardonnera pas d’arriver avec un nouvel album, d’arriver sur scène et de ne pas être convaincu par ce que tu proposes.

OX : On ne te pardonne pas d’avoir des doutes quand l’album est bon. Alors, s’il est nul, ce n’est même pas la peine de faire le déplacement.

Mais, ce n’est pas un piège d’être le seul juge ?

OX : C’est le risque de la vie d’artiste !

HK : En même temps, il ne faut pas croire qu’on est le seul maitre à bord. On est entouré. On travaille avec des gens qui nous parlent, qui nous conseillent.
OX : Quand je dis que je fais ce que je veux, ça englobe aussi le fait que je choisis de travailler avec une équipe, avec tel ou tel musicien, que je consulte mes amis, mes proches sur la couleur d’une chanson ou l’orchestration d’une autre. Ça signifie juste que je limite les contraintes extérieures à mes choix.

On parlait à l’instant du lien très fort entre le rap et la société, et notamment sa critique. L’un comme l’autre vous la sondez, vous l’observez. Votre regard porté sur ses travers fait-il de vous des artistes engagés ?

OX : Je ne crois pas être un artiste engagé. Je trouverais même assez paradoxal d’y prétendre parce que tout à chacun, y compris moi, appartient à une même société, à une même planète et tout ce petit monde ne comprend pas qu’il contribue à notre situation commune. Il contribue inconsciemment à la situation qu’il conteste et contre laquelle il se bat. Il en est à la fois le créateur et le pourfendeur. Nous sommes tous sur le même bateau, nous avons tous les mêmes problèmes. Les réactions, les discussions, les égards que ça provoque m’intéressent bien sûr. Les gens se livrent, se dévoilent et entrainent le système. Ce cercle vicieux me fascine. Porter un regard sur la société, ce serait m’en extraire et rentrer dans la mêlée.

Et ce n’est pas votre rôle de renter dans la mêlée et d’en découdre ?

OX : Mon rôle, c’est juste de la divertir avec des belles chansons. A la rigueur, parfois, j’apporte un peu de réflexion. Mais, je ne me méprends ni sur mon rôle, ni sur mon impact. Je suis avant tout un divertisseur !
HK : Attends, Oxmo ! Tes chansons ont tout de même de la profondeur ! Tu ne fais pas de l’entertainment ! Tu ne fais pas des chansons pour oublier le monde qui nous entoure. On va piger des choses à travers tes mots…

OX : En fait, il faut prendre le divertissement au sens large. Les informations, qui devraient le plus t’instruire sur l’état du monde, sont du divertissement parce que leur but est d’accaparer ton attention et qu’elles mettent tout en œuvre pour y arriver.

HK : Pour moi, le divertissement est une diversion. Certains artistes, quand tu les écoutes ou quand tu les vois, te divertissent : ils t’éloignent de ta condition présente, ils te lavent la tête…

OX : Pour moi, le divertissement, c’est le premier degré. Je me suis toujours vendu au premier degré. C’est le seul moyen d’être écouté – ce qui ne garantit pas d’être entendu. On peut découvrir mes chansons grâce à leur côté divertissant et puis, au gré des écoutes, creuser et trouver. Mais, le divertissement, c’est la première étape. Après, si tu as envie de poursuivre, tu réécoutes, tu creuses, tu viens aux concerts…
HK : Très bonne technique ! Il m’empêche que derrière toi, tu laisseras des chansons. Ce qui a tout de même un peu plus d’éternité que les informations du journal télévisé !

OX : Moi, je suis dans le long-métrage alors que le JT est dans la série. Lorsqu’on voit la façon dont est mise en scène la disparition d’une fillette ou la traque d’un serial killer, il y a construction, choix des images, des textes auxquels s’ajoutent les commentaires. Le tout dans un seul but : accaparer ton attention ! C’est en ça que mes chansons sont du divertissement : elles font tout pour se faire entendre.


Alexis, vous vous êtes fait aussi une spécialité de croquer les travers de notre société…

HK : C’est aussi les hasards de la vie. Je me contente d’écrire mes chansons au fil des jours. Par exemple, je n’avais pas écrit la chanson sur la peopolisation, Princesse de papier¸ pour moi. Elle était destinée à Clotilde Courau qui voulait chanter. C’était une commande de sa part. Elle m’avait dit : « Vas-y ! Ecris-moi une chanson qui s’appellerait Princesse de papier ! ». Princesse de papier, c’était tout à fait elle : actrice, princesse qui se met à faire de la chanson… Au final, elle l’a refusée en me disant « Non. Franchement désolée. Mais, si je chante cette chanson, je me grille… ». Je l’ai donc mise de côté et je l’ai ressortie pour Le dernier présent. C’est la vie qui apporte les chansons. Il faut se laisser porter…

OX : Totalement.

HK : Il y a des moments où quelque chose traverse ta vie et tu as subitement envie d’en faire une chanson. Souvent, c’est pour donner un petit coup de griffe ou mordiller certains mollets. Mais, ça peut être, aussi, tout simplement parce que tu as envie de raconter l’histoire, l’émotion que tu viens de vivre.

OX : Tes chansons, Alexis, ce sont des moments de vie, des étincelles chopées en plein vol. Ce sont des idées balancées à travers des histoires. La fille du fossoyeur [chanson sur un amour impossible de l’album Les Affranchis, NDRL ], ça pourrait être la fille de n’importe qui. Les difficultés et le drame n’en seraient pas moins absurdes.

HK : Mes chansons sont toujours des fictions qui s’enracinent dans la réalité parce que, comme je le dis souvent, rien n’a plus d’imagination que la réalité.

OX : « La réalité dépasse toujours la fiction… »

HK : Il n’y a qu’elle pour inventer des noms, des situations, des intrigues de fou. Un romancier peut les reporter ou les réinventer, mais il est incapable d’en créer aussi parfaitement.

OX : Le romancier se contente de mettre du style !

HK : En tout cas, je fais de moins en moins la différence entre mon métier et ma vie. Tout est confondu, tout est mélangé. Même si je fais appel à la fiction, je puise toujours dans ma réalité. Je n’ai rien d’autre à proposer que mon sens de l’observation et quelques mots. Par exemple, On peut apprendre est une chanson sur l’indécence des puissants, de ceux qui se goinfrent à longueur de journée et qui n’ont même pas conscience que s’ils partageaient un tant soit peu, le monde irait un peu mieux. Mais, cette pensée est tellement naïve que tu te contentes de balancer une salve disant qu’on n’apprend pas à un gros porc à arrêter de se gaver. Tu l’as dit ; ça t’a fait du bien. La difficulté avec l’engagement, c’est que nous ne faisons que des chansons. C’est une forme courte, et rapidement, ton point de vue peut paraitre candide. Si tu veux t’engager politiquement, chanter, c’est un peu limite ! Il vaut mieux faire autre chose. Les militants bossent, font des réunions, des conférences, des manifs. Nous les chanteurs, nous sommes dans une position d’observateur assez confortable. Quand tu as fini de chanter, les gens t’applaudissent. Et généralement, les chanteurs qui se sont engagés, sans jamais siller, se sont gaufrés.

OX : Maintenant, de toute manière, tout mouvement rebelle, toute action contestataire se transforme automatiquement en objet de consommation. Dès que tu arrives avec une bonne idée, totalement sincère, qui pourrait changer les choses, elle est récupérée pour être vendue. Tu ne peux même pas y échapper.

HK : C’est un système tellement sournois…

OX : Complètement ! S’engager aujourd’hui rend paradoxalement les choses encore plus compliquées.

Si la frontière entre votre métier et votre vie personnelle s’efface, quelle place reste-t-il à la pudeur ?

OX : Tout est dans la manière de dire les choses. C’est mon crédo !

HK : Dans le choix de ce que l’on va raconter. J’estime qu’il y a des sujets qui ne vont pas intéresser les gens. La pudeur, elle, est là. Il faut qu’il y ait une poétique, il faut que nos chansons puissent parler aux gens. Ça ne doit pas être, d’aucune manière, un exercice de mise à poil, qui généralement se relève très peu sincère et assez nombriliste. On choisit les moments, les endroits, les sentiments qui nous tiennent à cœur. Oxmo et moi, nous ne faisons pas partie de l’école des « chanteurs trop égocentrés ».

OX : L’égo, c’est pourtant l’alpha et l’oméga de notre époque. Tout le monde a un égo, tout le monde est star. On est à l’époque de l’avatar. Ça rend les choses encore plus fascinantes à observer.

HK : Je pensais à ça en relisant « 1984 » de George Orwell, roman d’anticipation dans lequel les gens ont des postes de télévision dans leur salon qui les surveillent et les dénoncent. George Orwell, là-dessus, a eu un peu la berlue parce que l’inverse s’est produit : les gens vont directement se mettre en scène à la télé ou dans des vidéos. On n’a pas besoin de leur demander. On est tous fichés, dans une inconscience et une impudeur totales…

OX : Tout en proclamant le contraire, en revendiquant sa liberté.

HK : Nouvelle preuve que la réalité et l’histoire sont plus fortes que la fiction.

Autre point commun entre vous, c’est la distance que vous observez et avec laquelle vous scrutez le monde, un peu comme des démineurs face à une bombe.

HK : Oui, mais ce n’est pas aussi systématique. Le monde n’est pas une pétaudière présentement pour nous deux. On est installés dans un canapé, on nous pose des questions, on y répond, on a l’occasion de se rencontrer. Il faut relativiser tout de même les choses. Il le faut d’autant plus que si le monde est effectivement une pétaudière, il faut profiter à fond des êtres aimés, des instants partagés, des gens rencontrés. En vieillissant, j’ai de plus en plus d’empathie avec les gens parce que je sais combien la vie est dure et difficile, combien il est compliqué d’y trouver son équilibre. Nous avons la chance de faire un métier où il est possible de se poser ces questions-là, de les dénouer et d’en faire de belles choses.

OX : Bien sûr que le monde est une énorme pétaudière, mais je préfère porter mon attention sur sa beauté. La vérité est que dans notre société, tout le monde met volontairement de la distance et pense qu’il s’agit de la seule attitude à avoir. C’est un moyen de briller un peu, de se sentir exceptionnel, sur le mode « Moi, on ne me la fait pas ». Aujourd’hui, tout le monde s’expose, tout le monde s’exprime à longueur de statuts Facebook et de Tweets assassins. On cherche à être original. Tout le monde cherche à être original si bien que tout le monde est identique. Je ne donne pas plus d’importance à mon avis qu’à celui des autres. A travers mes chansons, je fais juste une proposition : voulez-vous me suivre ou non ?

HK : Je trouve, dans ton cas, que ta distance est en fait de la sagesse. Tu ne te mets pas en retrait pour te boucher les oreilles et fermer les yeux, mais pour dire : « Voilà ma vérité ! Je la dépose avec humilité à vos pieds et si vous trouvez un contre-argument, je suis prêt à vous écouter ». Ça me parait être la seule posture tenable. Tu suis ainsi une recette originale pour être heureux : comprendre que le monde, à défaut d’être une pétaudière, est profondément instable et que les seules choses solides, ce sont…

OX : Ce que tu fais, ce que tu aimes ! (rires)

Un bon chanteur est-il un beau parleur, dans les deux sens du terme, celui qui maitrise la parole et celui qui sait séduire ?

OX : Le terme ne me convient pas parce qu’un « beau parleur » n’a que ça. Quand tu es sur scène, il n’y a plus rien à faire : le boulot est déjà fait si les chansons sont bien troussées. Tu peux te contenter de chanter. Bien sûr, nous faisons de belles chansons, qui font plaisir, et entre deux chansons, nous en profitons pour glisser quelque chose de totalement spontané, aucunement calculé, qui vient du cœur. Ça peut être de belles paroles, joliment pensées et tournées. Mais, ça ne fait pas de toi un beau parleur.

HK : Pour séduire les gens, il n’y a pas trente-six solutions, il suffit de ne pas leur raconter de cracs. Il suffit de leur dire qu’on est bien ensemble, qu’on est heureux qu’ils soient venus, qu’on se soit rencontré…

OX : Et c’est là vérité !

HK : Bien sûr que c’est la vérité…

OX : Parfois, on me dit que j’en rajoute… C’est faux ! Je suis immensément heureux de voir les gens, de voir qu’ils ont choisi d’être dans une salle de spectacle plutôt que devant la télé ou au restau. Il n’y a pas mensonge ! Quelqu’un qui ne doute de l’authenticité de ces moments, sincères ou tendres, les vit pleinement. En ce sens, mes chansons sont des belles paroles, mais je n’en deviens pas pour autant un beau parleur. Mais, les gens doutent. Ils ont une pudeur, voire une réticence, à exprimer leurs sentiments positifs et à voir d’autres en exprimer au point que tous les moments spontanés deviennent suspects – heureusement, on en guérit.

HK : Dans ce cas-là, tes belles paroles sont avant tout des paroles vraies, peu importe qu’elles soient positives ou négatives. Bien sûr, tu peux en jouer avec le public et convenir de faire le beau parleur pour l’amuser. Mais, si faire le beau parleur est ta vocation, il vaut mieux aller sur les marchés vendre des Tupperware. En concert, les spectateurs veulent juste que tu sois heureux, que tu te trompes – parce que ça fait la saveur du live -, que tu partages avec eux des chansons qu’ils connaissent déjà… Si cette chaleur est factice ou absente, t’as perdu ta soirée ! Madonna qui chante 45 minutes à l’Olympia, voilà un truc de beau parleur, de vendeur de soupe.

Dominique A parle de la scène comme une épreuve, « un match de catch ». Est-ce aussi le cas pour vous ou la scène, est-elle devenue votre élément ?

HK : Pour moi, monter sur scène n’a vraiment pas été évident. Vu mes qualités de non-showman que je traine depuis mon adolescence, ça m’a demandé un long travail sur moi-même. Là, j’ai vraiment réussi à édifier ma propre gloire ! J’ai pris sur moi. Les artistes que j’aime, ne sont généralement pas à l’aise en concert. Ils arrivent sur scène avec une fragilité. Tu sens que le concert peut capoter à chaque instant et au final, ils s’en sortent brillamment. Presque par miracle. Là, il y a un vrai match. Dominique A m’a touché parce qu’il est dans une bataille. Il ne vient pas en terrain conquis ; il vient pour combattre. Et c’est mon cas, aussi. Monter sur scène est très important, même à titre thérapeutique. C’est mon lien avec le reste du monde.

OX : La scène, c’est ce qui justifie tout aujourd’hui. C’est le rendez-vous. Non seulement, c’est le jour de gloire, au cours duquel tu viens refaire l’album et des anciens morceaux, mais c’est aussi le rendez-vous que tu as donné à ceux qui te suivent depuis quelques années…

HK : Il y a des fidèles…

OX : …Qui deviennent des amis, qui vieillissent avec toi, que tu as rencontrés jeunes et qui viennent maintenant avec leurs enfants. Il faut être à la hauteur de leur attente et de leurs souvenirs. Chaque concert est un bouquet de souvenirs incroyable avec le public, avec les musiciens. La routine n’existe pas. C’est un peu tous les jours les vacances et en même temps, c’est une fatigue vertigineuse et enivrante.

HK : C’est complètement magique : tu as l’impression que le monde s’est organisé pour que tu puisses aller à ce rendez-vous. Quand tu réfléchis à tous les hasards et à toutes les correspondances nécessaires pour que tu puisses être dans cette salle-là, ce jour-là…

OX : C’est prodigieux !

HK : En fait, Ox, t’es comme moi : t’es dans la béatitude de ton travail !

On parlait de combat à l’instant. Qu’est-ce qui pourrait vous faire raccrocher les gants ?

HK : Je le saurai vite. Le moment où j’arrêterai de chanter, ce sera une évidence. J’ai aujourd’hui 38 ans et quand j’en aurai 50, je pense qu’il sera temps de faire autre chose : écrire, faire des chansons pour d’autres. Tu raccroches les gants quand tu n’as plus rien à dire du tout.

OX : Ce ne sera pas une décision ; ça s’imposera tout seul.

HK : Tous les mecs qui raccrochent les gants, dix ans après, de toute façon, tu vois les colonnes Morris qui disent : «  Exceptionnel ! Son grand retour ! ». On va donc vivre au présent, défendre ce nouvel album et puis, on verra de quoi sera faite la suite. Je me suis habitué à vivre dans la précarité. Ce qui m’angoissait terriblement à une époque de ma vie est presque devenu un jeu. Tout peut s’arrêter du jour au lendemain. On peut avoir plein de thunes, un jour, et être fauché comme les blés, le lendemain. Une fois que tu es habitué à cette précarité, tu sais alors qu’un jour, ça s’arrêtera naturellement…

OX : Pareil, pas mieux ! (rires)

Sylvain Dépée

Photos Nicolas Messyasz

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