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My Jazzy Child

My Jazzy Child - Photo : NicolasMessyasz

Le folk cotonneux du précédent disque s’est renforcé à la sève rock’n’roll. De quoi contenter les créatures sonores polymorphes et singulières d’un des plus impressionnants opus de ce printemps.

Pour “l’enfance jazzy”, maturer rock aura nécessité six années. Pour autant, pas besoin de se rebaptiser, son nouveau tempo correspond surtout à un retour aux sources. Damien Mingus s’est “occupé” tout ce temps avec Centenaire, Encre ou encore la Section Amour. Ce qui séduit dans son maelström bouillonnant révèle l’intense domination du bonhomme sur ses créations : une impressionnante sensation d’unicité…

Un son garage, soul parcourt en filigrane ton nouveau disque, consécutifs à de récentes écoutes ou d’une passion éternelle ?
« J’ai toujours eu une sorte de fascination pour le rock’n roll 50’s, clinquant qui sent le cuir, les motos et la gomina… Encore aujourd’hui je jouerais bien dans un groupe surf’n roll ultra orthodoxe, mais bon on ne peut pas tout faire ! Ça me vient vraiment de mon enfance. J’ai très vite été fasciné par les années 50. Et les premiers disques que mes parents avaient achetés quand le CD est apparu (je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître) sont des compilations rock’n’roll avec Chuck Berry, Bill Haley, Cliff Richard etc. Mes parents adoraient danser dessus et j’ai donc baigné , musicalement en tout cas, assez tôt dans cet univers-là. Mais mon idole reste encore aujourd’hui sans conteste Vince Taylor et ses Playboys : ultra looké, ultra rock, ultra sexy. Pour moi il incarne le rock’n roll de toujours. Et c’est vrai que j’avais envie que ça se ressente sur ce disque. Je voulais faire un CD plus rock que d’habitude où l’on pourrait retrouver les différents styles que j’aime. Sur le premier morceau « The Escape » c’est particulièrement ce coté garage / rock’n’roll que je recherchais. »

Le folk c’est ton terrain de jeu d’où tu fais jaillir toutes tes folies créatrices ?

« Ce qui est amusant c’est que je n’ai jamais vraiment voulu faire du folk, en tout cas pas dans le sens “traditionnel” du terme. Et en même temps j’ai l’impression que j’ai toujours fais ça, une sorte de “folk urbain du début des années 2000”. C’est l’approche, plus que le son en lui-même, qui donne ce résultat : c’est en effet une sorte de terrain de jeu où mes règles sont très libres. Cela peut partir d’une guitare, d’une rythmique en tapant dans les mains, d’une partie de clavier sur un vieux Casio pour enfant, ou alors d’un sample de batterie, de musique contemporaine, de métal. Peu importe le matériel musical de départ, il faut en effet qu’il se révèle un “terrain de jeu” suffisamment excitant pour qu’une chanson puisse en sortir. »

L’entame frénétique du disque donne le ton, tu romps avec le climat plus rêveur du précédent disque ?
« Oui je voulais faire un disque beaucoup plus rock dans la forme que mes précédents albums, tout simplement parce que c’est vraiment ma musique préférée. J’avais choisi le titre “The Drums” avant même de vraiment travailler dessus. Pour une fois je savais à peu près comment je voulais procéder : travailler à partir de batteries, certaines samplées sur des disques, mais la plupart jouées par mon pote King Q4 dont j’ai utilisé des samples, parties, boucles… Mais j’ai aussi continué à composer des morceaux plus “folk”, pop, psychés, comme j’aime faire. A la fin j’ai fait le tri et sélectionné les morceaux de chaque “style” qui allaient ensemble, qui permettaient de faire un disque cohérent. Cette étape-là, la sélection, me prend toujours beaucoup de temps. »

Qu’est-ce qui produit cette impression de densité et de chaleur dans ta « cuisine » lo-fi ? Sans dire qu’on y étouffe, on ne sent pas une attirance chez toi pour les productions claires et clinquantes ?
C’est en effet lié à la fois à un goût personnel pour les productions plutôt chaleureuse, lo-fi et tribales, mais aussi à ma façon de travailler. Je ne suis pas un fanatique de la technique d’enregistrement, je connais mal tout ça en fait. Ce qui fait que j’ai développé mes propres méthodes, mes habitudes qui, finalement, aboutissent à ce résultat. Pour les voix par exemple, j’aime qu’elles soient les plus chaleureuses possibles et j’enregistre pas mal de couches pour arriver à ce résultat… Le lo-fi n’est pas un Graal pour moi, mais un terrain qui permet une vraie liberté, où le bricolage, le bidouillage ont particulièrement leur place, ce qui me convient tout à fait. »

Quelle est ta méthode d’enregistrement : le plus de prise live ou l’empilage de couches ?
« L’empilage de prises live en fait ! C’est vrai, c’est exactement ça. Et puis un travail de montage sonore aussi, “d’édition”. C’est en tout cas comme ça que j’ai beaucoup travaillé. En ce moment je suis revenu a un songwriting beaucoup plus classique, à la guitare. Ça change, au bout d’un moment on s’enferme dans des automatismes et il est bon de parfois s’en éloigner. Bizarrement pour moi ça veut dire revenir au couple guitare / voix. »

La durée du disque, 32 minutes tenues traduit encore cette volonté d’aller à l’essentiel, de ne pas s’encombrer de temps inutiles ?
« Oui, un peu de la même façon que mes chansons sont aussi toutes plutôt courtes. Il y avait bien plus de morceaux sur l’album au départ, mais avec Julien de Clapping Music nous avons décidé de resserrer le disque. J’ai donc viré pas mal de morceaux, certains que j’aime beaucoup d’ailleurs, mais qui n’avaient pas leur place sur le disque. Et puis je préfère que l’auditeur soit un peu frustré et remette le disque du début plutôt que de l’emmener dans un long voyage sans fin… Certaines musiques s’y prêtent, mais pas mes chansons je trouve. »

Tu sembles ne jamais vouloir lâcher l’auditeur et ta créature sonore, tu te vis en démiurge ultime ?
« Il y a un peu ce coté-là oui. Je pense que c’est lié au fait que je suis tout seul dans ce projet et que je me suis inventé une méthode, un univers qui me semble cohérent. Je ne me rends pas toujours compte si c’est audible, mais c’est très important pour moi, pour trouver une cohérence. C’est vrai à l’étape du morceau comme à celle de l’album : je passe énormément de temps sur le tracklisting par exemple, afin de trouver l’enchaînement que je veux, afin que l’on puisse passer d’un style à l’autre sans trop de problème… Sinon j’ai toujours considéré que je “créais” des chansons,  plutôt que je ne les écrivais… donc le terme de créature sonore me convient tout à fait ! »

Ce qui séduit aussi et traduit ta toute prégnante volonté de domination, c’est le caractère hétéroclite ultra riche de ton disque, mais maîtrisé. Qui n’empêche ainsi pas de ressentir une unité d’ensemble conséquente, ce à quoi tu tiens ou qui se fait naturellement ?
« Ça vient je pense avant tout de mes goûts pour des musiques très diverses et qui m’inspirent toutes sans exception. Je peux me dire : faisons un morceau métal, un morceau un peu hip-hop, surf, folk etc… De toute façon, je sais que le résultat ne sera jamais 100 % une musique de genre, que je vais la faire dévier en cours de route. Mais je démarre souvent comme ça, en essayant de m’approprier un style de musique pour en faire du My Jazzy Child. Après comme je disais plus haut, pour que le disque garde une unité d’ensemble, il faut savoir sélectionner les morceaux qui conviennent pour un disque et surtout bien travailler le tracklisting de l’album. »

Tu dis aussi sur ton blog ne pas vouloir passer du temps à constituer un groupe. Est-ce si contraignant et y a-t-il d’autres raisons pour ne pas jouer live ?
« Disons qu’en composant ce disque je n’ai jamais pensé à la contrainte : “Il faut que je puisse le jouer en live”. Il y a des morceaux qui sonnent plus “groupe de rock” d’autres plus folk psyché, etc. Il y a clairement des morceaux que je ne pourrais pas jouer en live, qui sont intimement liés à l’enregistrement. Pour d’autres c’est plus concevable, mais je n’ai pas vraiment eu le temps et la motivation de monter un groupe pour ça : d’une part parce que certains morceaux ont déjà plusieurs années et que je n’ai pas trop envie de retravailler sur des choses que j’ai déjà faites il y a longtemps. Mais c’est aussi, et surtout, parce que je joue dans un groupe qui s’appelle Centenaire et que pendant toute cette période-là on a beaucoup joué en groupe, fait des répétitions, des concerts, etc. Du coup je ne ressentais pas du tout le besoin de monter un autre groupe en parallèle, la perspective ne m’excitait pas plus que ça. »

Pourquoi avoir attendu 6 ans pour sortir un nouvel album ? Une exigence exacerbée ?
« Non, pas spécialement. C’est surtout que j’ai fais beaucoup de choses, musicalement parlant : j’ai joué dans plusieurs groupes, plusieurs projets, de Encre à Centenaire aujourd’hui, en passant par Arafight, la Section Amour, etc. Je n’ai jamais arrêté la musique depuis que j’ai commencé vers 16 ans… Ce qui fait que je n’étais pas spécialement “frustré” musicalement. Je veux dire que lorsque je revenais de répet’ ou de concert, je n’avais pas spécialement le besoin de me mettre tout seul à mon ordi pour composer. Je n’ai jamais forcé l’inspiration, l’envie de composer. Ce qui fait que j’ai vraiment pris mon temps. Cela dit, je travaille sur le prochain et j’espère vraiment qu’il sera prêt dans moins de 5 ans ! »

Sur ton blog tu disais que tu attendais encore le questionnement des journalistes sur ce disque. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’égo, mais plutôt d’une démarche intellectuelle si j’ose dire, de confrontation de l’œuvre avec des « spécialistes » et un regard sans détours ?
« En fait le texte dont tu parles sur mon blog est une tribune libre que m’a proposé le webzine (excellent par ailleurs) Pinkushion.com. C’est un exercice particulier, et je suis parti sur le constat qu’à ce moment-là, aucun journaliste ne m’interrogeait sur le disque. C’était surtout un fil rouge qui m’a permi d’aborder plusieurs thèmes différents ( je renvoie donc au site pour ça !) Cela dit la confrontation avec des critiques est toujours intéressante, surtout que dans le petit milieu “indé” français, ce sont la plupart du temps de véritables passionnés. Et puis j’ai toujours aimé l’aspect “rock critic”, ça fait intégralement partie de la culture rock pour moi. »

Vincent Michaud
Photo  : Nicolas Messyasz

« The drums »  (Clapping Music)
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