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10 Fois Florent Marchet / N°5


Sur les pistes noires

3 février 2010, Le Grand Mix, Tourcoing. Bien sûr, il y avait ce métro vide et à la sortie, ce crachin blanc qui se glisse dans le col de chemise. Bien sûr, il y avait ses murs salis par le dernier siècle et les briques rouges délavées. Bien sûr, l’arrière-cour du Grand Mix avait tout du terrain vague avec caddy oublié et graffitis salopés. Nous sommes dans le Nord. Et en hiver. Rien d’étonnant. Pourtant, ce n’est pas ça qui m’a refroidi ce matin. Ce ne sont pas, non plus, les visages fermés de Djeff Chauffour, l’ingénieur du “Courchevel tour”, et de Rémi Alexandre – la nuit n’est pas si loin après tout. Ce n’est pas l’atmosphère polaire du Grand Mix en ces premières heures de la journée – température idéale pour la bonne tenue de la moumoute blanche imitation ours qui tapisse désormais la scène. Ce n’est pas non plus, la moustache qui vient d’apparaître au dessus des lèvres de Florent et qui j’imagine déjà, fera gloser. Les marketeurs diront que depuis Michel Delpech et Francis Cabrel, les chanteurs hétéros français n’ont plus le droit de porter la seule moustache. Les branchés diront que c’était la mode de l’hiver dernier et que 2010 marque le retour de l’hyper-glabre. Les journalistes en recherche de petite bête y trouveront un os à ronger.

Non… Ce qui m’a refroidi, ce sont le sourire inquiet et le regard gris de Florent. Il m’en expliquera plus tard, dans les rues de Tourcoing, entre un traiteur et une boulangerie, les raisons. Le Wurlitzer, le piano électrique acheté spécialement pour ce nouveau spectacle, s’est subitement désaccordé hier, au premier jour de la résidence, et Monsieur José, son ancien propriétaire, est aux abonnés absents. Dans les chambres d’hôtel, l’équipe a passé son après-midi à limer les lames métalliques pour réobtenir un son juste. La résidence s’est réduite, elle, comme peau de chagrin. Cinq petits jours, en deux temps, pour accoucher du “Courchevel Tour”, un impossible tour de force. Il faut non seulement trancher sur la couleur musicale et l’ordre des chansons, mais aussi mettre au point les lumières, intégrer vidéos et archives, réfléchir à des éléments de décor et à une mise en scène… Enfin, ni son manager, Julien Soulié, ni son tourneur, Fabrice Coalava, ne pourront faire le déplacement dans le Nord. Mais face à cette avalanche de contrariétés, Florent n’est pas seul. Il peut se reposer sur des compagnons de longue date, le batteur Bertrand Perrin et dans la nuit de la salle, derrière la console, Guy Fasolato, Djeff Chauffour, l’éclairagiste Guillaume Cousin et “l’œil extérieur”, Arnaud Cathrine. Il peut aussi compter sur le renfort de Rémi Alexandre et Jean-Yves Lozac’h, deux membres de Syd Matters.

Sur scène, tout le monde est en chaussette – il ne faut pas abîmer la moumoute fraichement acquise au Marché Saint Pierre, qui encore neuve, a tendance à pelucher. Bien emmitouflé, chacun s’installe. Le Wurlitzer est presque au milieu de la scène ; on va tester les rafistolages. Rémi, chaudement lové dans son manteau et sa capuche, fait des va-et-vient entre ses guitares et ses claviers. Derrière son Memotron, on dirait presque un esquimau. Guidé par un atavisme quelconque, je me dirige au fond de la salle et m’accoude au bar. Arnaud Cathrine a dans la main ce qui n’est pas le premier café du jour. Quand il aura jeté son gobelet, ses bras viendront envelopper son corps et son regard se fixera sur le plateau. Il y a toujours eu dans son regard une implacabilité adoucie par le souci de l’autre. Pendant que Djeff Chauffour vérifie les derniers réglages, ils se lancent dans une petite mise en jambes. Et c’est une première surprise ! Florent s’avance, sans guitare, ni ukulélé, devant le micro. C’est “Notre jeunesse” et c’est la première fois que je le vois chanter, désarmé, les mains libres. Une idée tenace d’Arnaud Cathrine et la confirmation d’un soupçon : Florent Marchet est comme Dominique A, un interprète à la corporalité forte, singulière. Ce ne sont pas les mêmes gestes, ni les mêmes attitudes. Mais, ce sont deux silhouettes électriques et violentes. Les coups de tête du colosse Ané n’ont guère étonné son monde ; en revanche les coups de poings épileptiques de Florent… Autre surprise, le parti pris musical : plus sombre, presque noisy avec des effets, notamment un écho dans la voix. A voir, pas convaincu.

Le noir se fait dans la salle. On entend le générique d’un JT des années 70’s, suivi d’un reportage sur VGE aux sports d’hiver (“on lui reproche un manque de souplesse, une raideur dans le style”) et d’un autre sur Courchevel 1300 déserté par les touristes britanniques, enfin la voix féminine du message d’accueil de l’Hôtel des Airelles. “Courchevel” / “Benjamin” / “Levallois” / “Mes nouveaux amis” / “Notre jeunesse”… Hurlements hystériques : une nouvelle archive, un extrait d’un reportage sur la folie Tokio Hotel, lance “L’idole”. Le filage défile. Le ton est résolument rock ; on est loin de l’évidence pop de l’album. Les chansons sont toujours autant architecturées, mais une certaine âpreté les a vidées de leur apparente légèreté. D’ailleurs, les lumières évoquent plus la banquise que le coin du feu. A une exception près sur “L’eau de rose” où la silhouette de Florent se découpe sur un carré grenat. Les violets, à peine réchauffés par des ocres, et les blancs dominent, parfois violemment. Et puis, il y a ce passage où la scène est plongée dans le noir et où seul le visage de Florent est éclairé. Inquiétant, peut-être un peu glauque.

Débriefing. On (dé)pose les instruments. Arnaud Cathrine monte sur scène, Guillaume Cousin vient écouter, Bertrand Perrin s’allonge sur la moumoute. Tout le monde se regroupe, sauf Rémi qui reste derrière ses claviers, à l’autre bout de la scène. “Tous pareils” fait-il une meilleure fin que “La famille Kinder” ? Faut-il plus de chœurs sur “L’eau de rose” ? Quel est le problème avec “La Charrette” ? Qu’est-ce qui cloche ? On essaie la guitare électrique plutôt que l’ukulélé, et on la garde pour les rappels ? Enfin, faut-il sacrifier (achever) le Wurlitzer ? Florent reste très silencieux. Il consulte son i-phone. Toute la matinée, il a gardé cette même figure, le regard bas, presque vide, l’oreille dressée. Souvent, le pouce et l’index droits se sont portés à ses lèvres. Parfois, même, il ferme vigoureusement les yeux. Un pli fend alors son front. Il s’abstrait du monde. Je note le mot “peine” sur mon calepin. Florent décide d’évacuer le Wurli. Djeff jettera plus tard, un nouveau coup d’œil sur le grand blessé. On le remplace par un clavier rouge pour essayer une autre combinaison de titres pour le final. “Je m’en tire pas mal” fait sens ; encore faut-il bien caler les chœurs. On y reviendra après le déjeuner. Mais, pour l’heure, les gars partent faire des courses. Je remballe appareil photo, feutres et carnet de note ; je saute du tabouret. Furtive douleur sous la plante du pied droit. Elle disparait aussi sec. J’accélère le pas pour les rejoindre. Nouvelle piqûre, plus vive. J’ai quelque chose sous ma chaussure. Je regarde. Un badge est planté dans la semelle de ma Stan Smith. C’est un emblème pirate. Au dessus de deux tibias entrecroisés, le crâne a été remplacé par une cassette audio. Je discerne une devise : “Pop Is Not Dead “.

Vous venez de lire un moment de la vie de “Courchevel”. Lire la chronique de l’album

LO 56

Sylvain Dépée / Photos Sylvain Dépée

Episode n°5 sur 10.

Pour voir le n°4 cliquez ici.

A suivre…


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