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Florent Marchet

EXCLUSIF : « Courchevel » – Nodiva / Pias
Avant Annecy 2018, « Courchevel » 2010
Tout l’univers des sports d’hiver tient dans une boule à neige. Un chalet, une luge, un sapin trop vert empesé de flocons ignifugés, un bonhomme au sourire crispé, le nez couleur carotte. L’artifice, l’illusion du mouvement, l’aléatoire sous conditions, certifiés normes CE. Les sports d’hiver, c’est un folklore. Pas étonnant que les comédies (“Les Bronzés font du ski”, “Les marmottes”, “Ma première étoile”) s’en soient repues. Mais, “Courchevel”, le troisième album solo de Florent Marchet, c’est tout sauf du folklore. La station iséroise, les plages de l’Ile de Ré ou de Narbonne, le terminal 2F de Roissy… les décors sont autant de fausses pistes. “Courchevel” n’est pas une série de cartes postales, une enfilade de clichés. Bien au contraire. Rien n’y est figé. Tout y est mouvant, tout y est mouvement. Que se joue-t-il exactement dans ces 34 minutes ? “Hors piste”, l’instrumental de l’album, une chevauchée mécanique sur des routes sinueuses de Nouvelle-Ecosse, et surtout dix points de rupture. Dix moments où se détache l’avant de l’après, où se distingue l’individu du collectif, l’autre de l’identique. Dix moments où le social craque, où la réalité affleure.

Pour ses deux précédentes aventures, l’album “Rio Baril” et le roman musical “Frère Animal”, Florent Marchet s’était trouvé un co-équipier, un sparring-partner en l’écrivain Arnaud Cathrine. Mais, cette fois-ci, il s’est seul attaqué à l’ascension de “Courchevel”. Il en signe l’intégralité des paroles et des musiques. Sans maison de disques jusqu’à mai dernier (Pias s’est déclaré alors que tout était prêt pour une sortie en indépendant), il a seul choisi la voie à emprunter. “Ma préoccupation première était d’enregistrer ce que j’entendais comme je l’entendais, enregistrer sans être pollué par des désirs et des impératifs qui n’étaient pas les miens. “Pour transcrire la seconde fatale (“Narbonne-Plage”, “Roissy”), la soudaine conscience (“Benjamin”), le cruel flottement (“L’eau de rose”), Florent Marchet a composé ses onze titres comme compose un peintre, un cinéaste. Il a puisé dans une foisonnante matière première : des instruments vintage (Clavinet, Prophet 5, Rhodes), des boîtes à rythmes hors d’âge et des programmations ultra-contemporaines, des cordes folk et des cuivres, le jeu, les voix, les chœurs de plus de quinze musiciens (Bertrand Perrin, Rémi Alexandre, le guitariste de Syd Matters, Seb Martel, le percussionniste malien Mamadou Prince Koné…) et chanteurs (La Fiancée, Valérie Leulliot, Nicolas Martel…). Il en a retenus les couleurs, les nuances, les effets, les textures. Il en a établi les équilibres. Les a collés, superposés, polis, enchâssés, estompés, poussés dans leurs derniers retranchements, glissés à l’arrière plan. Ici, ils entrent et se croisent. Là, ce n’est qu’une incursion, un clin d’œil, un regard échangé. Là, encore, ils s’étiolent. Ou disparaissent d’un coup sec. Florent Marchet s’est aussi amusé à détourner, à réinvestir des codes, des factures. “Hors piste” est une BO du début des 70’s ; “Benjamin” un pastiche de tube disco-funk. “Narbonne-Plage” a l’air, au début, aussi inoffensif qu’un calypso de Robert Mitchum. Idem pour le son. “Pourquoi êtes-vous si tristes ?” ne s’ouvre-t-il pas sur une alarme de recul ? Et “Roissy” sur des crépitements d’ECG ? Quant aux castagnettes de “La charrette”, il suffit de les entendre pour que surgisse l’Arizona…Prêtez bien l’oreille : on entendrait presque le frémissement de la queue du crotale. Il s’agit là, de vite camper une scène, d’en faire dire le plus possible au son. Ils n’ont d’ailleurs pas été trop de trois pour assurer la qualité des prises : Djeff Chauffour, Erik Arnaud et Guy Fasolato. Sans oublier Alf, Julien Delfaud et Stéphane Prin. Pas moins de trois orfèvres du mixage pour enfin épuiser les exigences de Florent Marchet.

Mais, au bout du chemin, après des mois rugueux, face aux vents contraires et aux bonnes étoiles : c’est un sommet qui se dresse. Un album impressionnant et embrassant au son moelleux et sous tension, une série de pièces orchestrales aux allures de chanson, à la croisée de Moussorgski et de Air, de la fantaisie pop de Michel Magne et de l’élégante rigueur de Saint-Saëns. “Courchevel” a des ambitions et de la pudeur, et en plus, il arrive à nous faire danser sur des divines tragédies. Bien sûr, ici et là, s’échappent des intonations à la Souchon (“Narbonne-Plage”), Yves Simon (“L’idole”) ou même Dominique A (“La charrette”). Après tout, il est normal que dans une généalogie, il y ait quelques airs de ressemblance. Les secrets et le hasard cimentant les familles, on ne s’étonnera pas non plus, de retrouver dans “Courchevel”, une ou deux mesures de “Manhattan-Kaboul” de Renaud & Axelle Red. Surtout, on retiendra que la voix a pris des épaules, l’interprétation a élargi sa gamme. Si bien qu’il est difficile d’entamer le bras de fer, par exemple, avec le foudroyant “Roissy”, ce vertigineux dialogue chanté avec Jane Birkin, dont on (re)découvre ici le velouté de la voix. Non, non… Pas de doute ! Du haut de ces 34 minutes, une seule observation : Courchevel était jusque là une simple perspective de haute montagne ; c’est désormais une promesse exaucée de très haute chanson.

Sylvain Dépée


Florent Marchet :
Le Myspace

Et tous les lundis, à partir du 6 septembre, à suivre ici le feuilleton en caméra subjective, ‘‘10 fois Florent Marchet’’



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