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Discographisme récréatif


Après un premier ouvrage en 2005, voici le deuxième volet de Patrice Caillet consacré aux pochettes de disques retravaillées « maison » par des artistes d’un jour ou d’une vie. Il ne s’agissait donc pas d’une tocade, mais bien d’un profond attrait de la part ce collectionneur impulsif, fan de vinyle. En dehors de l’art classique dit bourgeois, proche de l’art brut, cette forme d’expression s’apprécie sous d’autres regards que celui du kitsch : intimes, mélancoliques ou délurés.

En parallèle au livre, l’exposition « Insiders » du Musée d’Art Contemporain de Bordeaux le CAPC,


a permis de juger sur pièces ces pochettes surprises. Le musée tue-t-il les esprits en marge ? Eternel débat que vous pourrez étayer lors de futures sorties de ces pépites rafraîchissantes.

Ce deuxième volume révèle que ton penchant pour une accumulation compulsive de vinyles ne s’est pas arrangé depuis le premier volet ?

Patrice Caillet : Oui en effet j’aime beaucoup la musique et aussi les disques vinyles que je trouve souvent dans des vides-greniers, mais certaines pochettes m’ont été données ou prêtées par des personnes de ma connaissance.

Cette suite raconterait quelle histoire, quels thèmes participent au classement des pochettes ?

PC : Exactement la même, d’ailleurs c’est toujours la même histoire : l’amour, la musique, la danse, les rencontres, la consommation, l’ennui, la séparation.

Inventer de nouvelles formes de consommation et / ou d’expression, ça te parle ?

PC : Non, à travers ce travail de montage, je n’ai rien à inventer au niveau visuel. De mon point de vue, tout préexiste : ce sont simplement des objets-images trouvés. « Discographisme récréatif » s’apparente à un travail documentaire ; je ne fais qu’assembler ces pochettes à ma manière , comme un found footage pour le cinéma.

Les modificateurs des pochettes “luttaient” consciemment ou non contre la standardisation ?

PC : Oui, c’est leur travail de réappropriation des iconographies ambiantes, de la consommation de masse qui est passionnant !

Y-vois-tu aussi un moyen pour eux de raconter une histoire ou plutôt leur histoire ?

PC : Exactement, chacune des pochettes raconte une histoire, au lecteur de se l’approprier.

Existe-t-il une sociologie de la pochette de disque ?

PC : Une certaine corrélation s’établit entre ces différents « mondes de l’art » : communication de masse, art contemporain et art populaire… La pochette personnalisée se situe à la fin du circuit économique du disque. Pour le consommateur méticuleux ou le collectionneur « discophile », elle n’aura plus de valeur affective ou marchande, elle sera estimée « souillée ». Dépossédée de sa fonctionnalité originelle et conçue dans un acte ultime d’appropriation, elle acquiert pourtant ici une nouvelle valeur représentative.

Cette forme d’expression n’est-elle pas morte quand le CD est apparu : pas évident de graver sur le boîtier plastique ou de s’exprimer sur un tout petit format !

PC : Depuis les années 1980 / 1990, les interventions semblent plus restreintes. Il est indéniable que le boîtier cristal du CD et la généralisation du « numérique » découragent toute intervention. Mais peut-être est-ce aussi le fait d’une appréciation souvent « clinique » de la représentation actuelle. Ou, à l’inverse, cela traduit-il un effet de saturation, conséquence d’une opulence des images à l’ère de la surmédiatisation ? De plus, la viabilité d’un produit culturel étant d’autant plus limitée que son usage « se doit » d’être sans cesse renouvelé, l’appropriation deviendrait, à l’image du « tube de l’été », à la fois instantanée et éphémère. On peut toutefois supposer que la copie de CD, le téléchargement et la popularisation des outils d’infographie participent d’un nouvel engouement pour le « bricolage » (« do it yourself »).

T’es-tu retrouvé dans l’intitulé “Insiders” de l’exposition bordelaise qui rassemblait des travaux « alternatifs en relation avec de nouveaux modes d’appropriation de la ville et de l’architecture ? »

PC : Ce travail de collection (discographisme) peut s’en rapprocher, il s’agit de “pratiques” amateures, intimes, créatives ou récréatives (en cas de modification ou de détournements) d’individus qui, contrairement par exemple à la définition de l’art brut, ne sont pas hors de la culture et de la consommation de masse, mais complètement dedans. Ces pochettes appartiennent à l’ère de leur temps, à des instants donnés de leur vie, peut être le temps d’écoute d’un disque, d’une rencontre d’une rupture… Elles renvoient bien à une histoire de la culture populaire et à ces référents socioculturels. Mais je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendus, ce livre n’est pas un patchwork d’imageries kitsch , en tout cas même ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse… Du fait de propos souvent balbutiants, laconiques, d’un graphisme jugé très approximatif, ces pochettes peuvent être considérées comme relevant d’une pratique mineure et insignifiante. Cependant elles sont avant tout l’expression d’instants vécus, de tentatives esthétiques certaines, oscillant entre copie, stylisation, citation, détournement, projection, idéalisation, création, iconoclasme…

« Discographisme récréatif » (En Marge / Editions Bricolage)

Vincent Michaud

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