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Pigalle


Hadji-Lazaro reforme son groupe fétiche. Si vous pensez que c’est pour le fric, c’est que vous connaissez mal le personnage. C’est reparti pour quatorze nouvelles tranches de vies aigres-douces sans clichés ni chiqué. Avant de reprendre la route et d’écumer salles et festivals, l’âme de Pigalle nous reçoit dans son bureau et jusque dans sa chambre pour décortiquer “Des espoirs” dans l’intimité.

Il a toujours été idéaliste. C’est un trait de caractère probablement hérité de son père, militant communiste pendant et après la deuxième guerre mondiale. Il a débuté son parcours de musicien dans les années 80 en plaquant tout pour jouer dans le métro. La suite est devenue légendaire : Pigalle, Les Garçons Bouchers, Los Carayos… Un énorme tube avec Pigalle, le fameux “Dans la salle du bar tabac de la rue des Martyrs”. En montant son label Boucherie Production en 1985, François Hadji-Lazaro est devenu le parrain de tous les indépendants. Il a montré que faire du business autrement et sortir des albums inventifs était possible. Vingt-cinq ans plus tard, François nous reçoit dans son antre. Les murs sont couverts de banjos, guitares, vielles à roue, ukulélés, cornemuses ou accordéons. Au milieu trône un Mac portable câblé à un micro, une console et un petit clavier. Nous sommes exactement là où “Des espoirs” a été créé. Loin d’être un trip passéiste et nostalgique, le disque est à la fois actuel et intemporel. Et une bien belle claque.

Pourquoi avoir reformé Pigalle ?

Ces dernières années, quand je tournais sous mon nom, les musiciens étaient tous plus ou moins liés aux membres de Pigalle. C’est donc naturellement que j’ai eu cette envie, car je n’avais pas envie de former encore un nouveau groupe, ni de refaire un Xème disque “François Hadji-Lazaro” ! J’en referais peut-être un, mais plus tard.

Peux-tu comprendre le plaisir du public à l’annonce de cette reformation et de la tournée ?

A mes concerts, je voyais les petits frères du public de Pigalle. Aujourd’hui, ce sont les enfants qui viennent et qui continuent à m’en parler. Mais j’ai un peu hésité car je me demandais si le public n’avait pas un peu oublié cette formation. Mon tourneur et mon équipe m’ont convaincu que non… Et puis, j’ai redécouvert le fait de jouer avec un batteur, de mélanger les styles, d’avoir un souffle plus rock.

Qu’est-ce que l’on dit avec Pigalle que l’on ne dit pas sous le nom de François Hadji-Lazaro ou Los Carayos ?

Dans Pigalle, on ne trouve pas la provoc’ et le second degré des Garçons Bouchers. Il y a aussi l’importance des textes. Je me réfère toujours à la démarche des chansons réalistes d’avant-guerre, mais c’est l’occasion pour moi d’y ajouter toutes les épices musicales possibles. Et évidemment, beaucoup de rock.

Avec Pigalle, il y a aussi une “ligne”. Le propos est-il plus resserré que lorsque tu publies sous ton nom ?

Ce qui donne une unité, c’est le côté plus mélodique. Ca permet de faire rentrer divers instruments et d’avoir une atmosphère différente pour chaque morceau. Ce serait trop facile de multiplier les ambiances, les instruments, alors j’essaie qu’il y ait une “patte”. Ca demande parfois beaucoup de jonglage.

La chanson “Qui voudrait parler d’elle ?” s’inscrit-elle dans cette démarche réaliste ?

Oui, j’aime bien les chansons qui sont un peu abstraites, mais dans beaucoup de cas, ça cache un manque d’idées. Partir dans tous les sens est plus facile que d’essayer de raconter une histoire. C’est un travers que j’entends souvent. Ce qui n’empêche pas de prendre ses distances avec ce que l’on raconte. Ce morceau est une histoire un peu hors du temps qui raconte quelque chose.

C’est la même chose pour “Ils se voyaient deux, trois fois par mois” ?

Même si je place quelques éléments d’aujourd’hui dans le texte, l’histoire est aussi intemporelle. C’est la même chose pour les chansons d’avant-guerre. Si tu fais abstraction des arrangements et de la manière de chanter qui sont datés, tu remarqueras que les textes n’ont pas d’âge.

Pigalle, c’est aussi des scènes de vie que l’on ne voit pas ailleurs. Comment travailles-tu cette singularité ?

Il y a forcément une part d’imagination. Par exemple, quand je l’ai enregistré, il n’y avait pas de bar-tabac dans la rue des Martyrs. Mais les gens pensent toujours que j’y passais mes nuits à l’époque. Ce que je raconte, je ne l’ai pas forcément vu, mais je suis très observateur. J’enregistre plein de petits détails qui ressurgissent quand j’écris.

Quel regard portes-tu sur les personnages qui hantent “Des espoirs” ?

Même chez les pires, j’espère que l’on sent une certaine tendresse. Ce serait terrible sinon. C’est sûr qu’il serait plus facile de faire une chanson sur une merveilleuse fille à la beauté sans pareil ou sur un parfait salaud…

“Si on m’avait dit”, l’un des morceaux emblématiques de l’album, porte en lui quelque chose de très nostalgique. Peux-tu nous en dire plus ?

Ce n’est pas péjoratif pour moi. La chanson parle de la déception entre ce que l’on croit à l’adolescence et ce qui se passe plus tard. C’est aussi un morceau sur l’angoisse de laisser un monde pourri à sa descendance. Je savais que je voulais aborder ce sujet, ce sentiment de douche froide par rapport à ce que l’on ressent quand on est plus jeune. Mais je ne pensais pas que la mélodie serait aussi joyeuse quand j’ai écrit le texte.

Nous sommes dans ton “bureau”, avec ta ribambelle d’instruments, mais ce que l’on voit en premier, c’est l’ordi qui trône au milieu…

Je me suis intéressé à l’informatique musicale dès les années 80. Ca permet de mélanger tous les instruments acoustiques. J’ai enregistré “Regards affligés”, le disque sur lequel on trouve “Le bar tabac…”, comme cela. On a commencé à utiliser la boîte à rythmes et les séquenceurs que l’on trouvait uniquement dans la musique indus. Un bon ordi et un micro te donnent une liberté totale. Tu peux faire une version tard dans la nuit avec la voix cassée ou une plus fraîche le matin. Après, tu gardes celle qui te semble la plus appropriée.

Sur “Des espoirs”, on entend beaucoup de boucles qui font les rythmiques. C’est une base ?

Oui, mais pas seulement. Parfois, ce sont des sons que je fais avec la bouche ou avec divers instruments que je retravaille ensuite. C’est aussi ça qui me plait : pouvoir jouer de l’épinette des Vosges et voir comment ça sonne ensuite avec un peu de technologie. Et puis, avec tous les instruments au mur qui font caisse de résonance, mon bureau a un très bon son !

Plus tu as d’instruments et plus tu as d’idées ?

Exactement. Dans “Des espoirs”, j’en ai d’ailleurs un nouveau : la pipa chinoise. Traditionnellement, ça n’était joué que par des femmes. J’ai entendu ça sur Internet et j’ai réussi à m’en procurer une.

Il y a trois ans, tu nous avais dit avoir monté Pigalle en réaction au show-business des années 80. Aujourd’hui, comment se porte l’industrie ?

Les grosses maisons de disques virent plus de gens qu’elles n’en prennent. C’est l’hémorragie. Comme je voulais faire un album de Pigalle, j’ai fait la tournée des labels habituels ; tous étaient intéressés par le nom de Pigalle, mais aucun ne pouvait le travailler sur la longueur. “On sort le disque… et puis on voit ce qui se passe.” Je me suis senti contraint et forcé de monter ma structure pour travailler le disque “à l’ancienne”, de la manière qui me semblait convenable. Je connais le mode d’emploi…

Donc “Saucissong Records, un label de chez Chantage Productions” n’est donc pas une deuxième version de Boucherie Prod’ ?

Non, pour le moment, c’est pour faire cet album et après, advienne que pourra ! De toute manière, je ne pourrai rien décider avant au moins une bonne année, le temps de voir comment se porte le marché.

Eric Nahon

“Des espoirs” – Saussisong / L’Autre Distribution

myspace.com/pigalleofficiel

“Jouer de l’épinette des Vosges et voir comment ça sonne ensuite avec un peu de technologie…”

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