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Bikini Machine


Rétro vers le futur


La machine rennaise tourne à plein régime et s’apprête à conquérir – au moins – le globe terrestre. Sa nouvelle leçon de création tubesque en douze parties parcourt moult générations de musiques sautillantes, de la fibre garage originelle au french yéyé chic en passant par l’électro vintage et le rock actuel. Un art du façonnage multiple sans pareil !

La Bikini Machine phagocyte le meilleur des mouvements musicaux toutes époques confondues et les réinvente à la sauce frenchy chic et choc. Elle désindustrialise le produit pop au profit d’un artisanat décalé. “The full album”, le titre de sa troisième livraison discographique traduit plusieurs acceptions. Tout d’abord, l’acheteur potentiel en aura pour son argent, tant il est rempli de morceaux phares immédiatement mémorisables. Il s’agit ainsi d’un excellent investissement, un argument top en ces temps où la crise n’en finit pas de finir ! Fred, l’un des trois chanteurs de cette entreprise au fonctionnement ultra-démocratique avec déclaration commune à la Sacem, détaille son non-business plan : “”The full album”, c’est un peu tout. Nous avions pensé à la terminologie Internet : “The full album” veut dire télécharger l’album complet et pas seulement un titre. Dans la langue anglaise, cela signifie aussi “abouti”. C’est notre troisième album, donc on voulait qu’il ait une bonne tenue. Nous avons énormément travaillé, fait une trentaine de titres qui n’ont pas pu tous être sur l’album. Un mini CD cinq titres appelé “A certain je ne sais quoi EP” est donc offert en plus de l’album (NDR : pour que “The full album” ne soit pas une vaine promesse, la dernière piste “The race” est complétée par un mix de chaque membre du groupe, soit 30 minutes supplémentaires afin de remplir le CD au maximum !)… C’est vrai qu’il y a énormément de morceaux que tu fredonnes et retiens. On ne s’autoformate pas aux tendances actuelles, mais on aime bien la formule classique couplet / refrain, avec des arrangements qui soulignent la mélodie. Nous avons toujours fonctionné comme cela, même avec nos groupes précédents comme les Skippies (NDR : groupe power rock grunge des 90’s avec déjà trois Bikini). Nous sommes très curieux de nature au niveau du rock indé en général et de l’histoire du rock. Nous avons toujours aimé les tubes, en les considérant comme une vertu. Nous avons été marqués par les titres des Beatles, Bowie ou d’autres plus récents.” Pat, le bassiste à plein régime, précise : “C’est très subjectif les tubes. Certains pensent qu’il n’y en a pas, dans le sens de ce qui marche à la radio.” On peut aussi être gré aux Bikini d’être toujours aussi difficiles à cataloguer. Ils assoient ainsi plus que jamais leur marque de fabrique : une foultitude de genres abordés, en se gardant bien de tomber dans la caricature. Selon Fred : “Nous aimons bien jouer avec les clichés, mais en nous méfiant aussi de l’exercice de style un peu trop sérieux. Nous ne sommes plus là-dedans. Parmi nous, il y en a toujours un pour dire si l’on part trop vers quelque chose d’évident et de convenu. Nous contre-balançons tout le temps les premières impressions tout en essayant de rester simples, car nous ne faisons pas non plus une musique complexe.” Pat rajoute : “Etre toujours à cinq sur la composition, c’est un peu un garde-fou. Nous nous orientions tous vers un truc que l’on trouve de bon goût. L’astuce, c’est de mettre toutes les références sans que cela s’entende, en les cassant. Ce qui va faire “classe” pour nous, c’est d’introduire des références sixties. Par exemple, le morceau électro punk “Submission” contient un passage avec une mélodie à la Beach Boys. Je ne sais pas si beaucoup de groupes se permettent ça !”

Catalogue machinal

Examinons maintenant les rouages de cette machinerie redoutable qu’est “The full album”. Avec un certain sens de l’accueil, “Good morning” se place en entame de l’album, en bon tube indie rock en puissance que n’aurait pas renié The Hives. Ce premier single transmet toute l’énergie du Bikini, qui sied si bien aux femmes et plait tant aux hommes. Il affiche un esprit résolument actuel, moins nourri de garage surf, la vague originelle qui porte le groupe depuis ses débuts. Changement de cap, le titre “Où vont les cons ?”, avec en featuring Mickey Tout Seul, déboule par une intro sixties tourbillonnante et une mélodie tendance Gainsbourg irrésistible. Une bande-annonce vidéo l’avait accompagné au début de l’été, réalisée par Armel Gourvennec – le frère de Jocelyn, ex-footballeur professionnel et fan de rock – à la façon du “Grand détournement” de Michel Hazanavicius qui, par ailleurs, participa à l’ouvrage. Retour ensuite à notre époque avec “Scherzo”, au rythme frénétique impulsé par une voix en écho, façon The Rapture première fournée. “The old school” donne, lui, le mode d’emploi de la Bikini Machine, à en croire Fred : “C’est old school à tous les niveaux, mais un riff techno vient se greffer sur un orgue garage.” Pour rigoler dans les surprises-parties, “Mister Syncope” donne une leçon de jerk débridé à travers le portrait d’un danseur cocasse à la technique incertaine. “Submission” marie l’esprit BO si prégnant chez les Bikini, à Cure et Bloc Party. “Boxful of Pranks” revisite Sugar, le groupe de Bob Mould post Husker Dü, et convoque le solo “10:15 Saturday night” des Cure. Enfin “The race” ramène tout le monde sur la plage, en bon instru surf indissociable du son Bikini. Le grand détournement musical de la Machine passe par quarante chemins sans jamais se résoudre à la sédentarité.

Jon Spencer, un artiste

Vous l’avez compris, un exploit et non des moindres de “The full album” est de garder une certaine unité et d’éviter de prendre un bouillon dans le brouillon. Fred confirme : “Ce disque est plus disparate, mais a plus d’unité sonore que le précédent.” Festif, “Full volume” fait feu de tout artifice. Sa production truculente rajoute à l’explosivité, toute à la fois claire et bordélique, dansante et rock’n’roll. Comme au bon vieux temps du big beat ! Du bel ouvrage peaufiné à plusieurs mains : Ian Caple, expert du spleen de Brixton, Mister Five électro man et Jesper Reginal producteur danois de Power Solo et membre du backing band de Jon Spencer. Lequel a lui aussi mis la main à la galette. Pléthore d’intervenants pour ajouter à la diversité ? “Ca participe un peu, mais cela n’a pas été vraiment calculé,” admet Fred, “car on aurait pu tout faire avec Jon Spencer. Lui aurait aimé, mais ça n’a pas été possible pour des raisons de timing car il était très pris. Le côté décalé de notre musique, lui, il appelle ça “post-moderne”. Il a pigé qu’on n’était pas qu’un groupe de rock’n’roll et un garage-band, qu’il y avait de l’électronique notamment, comme sur “Damage” du Blues Explosion. Nous avons d’abord tout enregistré dans notre home studio rennais qui s’est enrichi au fil de ses vingt années d’existence. Jon Spencer a ensuite mixé sept morceaux aux Etats-Unis. Il nous envoyait des MP3 par mail pour que l’on se rende compte.” Pat : “Nous lui envoyions des pistes séparées, un “rough mix”, une mise à plat comme nous l’entendions. Le fait de lâcher complètement les morceaux et de ne pas intervenir, c’était la première fois que cela nous arrivait, mais le résultat est très intéressant. Le premier mix que l’on a reçu, je ne trouvais pas ça bien, mais lui travaille au feeling et même s’il est payé, il répond : “Vous m’avez engagé pour que je sois producteur !” En gros, si vous voulez produire autrement, vous demandez à quelqu’un d’autre ! C’était peut-être pour marquer le coup au premier abord, car après il tenait compte de notre avis.” Fred précise : “Il est plus mixeur que producteur. Un vrai boulot de production se pratique en amont, dans le studio où se définit comment les morceaux sonnent, voire même leur structure. Un producteur va te demander d’ôter un pont inutile, de rajouter un refrain. Là, il a juste changé quelques détails, rajouté quelques petits trucs que nous lui avions fournis. Nous sommes tous un peu arrangeurs dans l’âme, surtout maintenant avec les équipements numériques, on ne s’arrête pas à 24 pistes, on peut en avoir 55 ! Nous avons tendance à mettre pas mal d’arrangements, donc Jon Spencer a fait des choix. Sa devise c’était un peu “Less is more” ! Parfois, pour qu’une ligne de guitare soit efficace, il ne faut pas en mettre trop autour. Je pense qu’il a eu raison nombre de fois. C’est un artiste, Jon Spencer, avec son intuition propre et sa subjectivité. Ian Caple, c’est plus un grand pro du mixage qui va exécuter ce que tu lui demandes.”

Les nouveaux maîtres à penser ?

La Bikini Machine élabore des morceaux canailles et truculents, drôlement cyniques. Dans une France où l’on peut douter de la perpétuation du règne des Lumières, Bikini Machine pose une des question essentielle : “Où vont les cons quand ils sont morts ?”. Et apportent une réponse essentielle et illuminée : “Peut-être ils vont se renseigner…”. Ecoutons ces nouveaux maîtres à penser : “Il ne s’agit pas de cynisme à proprement parler, mais d’un peu d’autodérision, un petit ton sardonique. Tout le monde s’est investi dans les textes, avant ils restaient plus personnels. Nous nous sommes beaucoup relus les uns les autres et des chansons ont même été écrites à plusieurs. Nous savons que nous plaisons à l’étranger et aussi que ce n’est pas “Où vont les cons ?” qui va nous ouvrir les portes aux Etats-Unis. Mais depuis cinq ou six ans, c’est vrai que la langue française peut plaire.” Pat : “Jon Spencer nous a demandé pourquoi on ne chantait pas plus en français. Nous lui avons demandé si c’était parce qu’on chantait mal en anglais… En fait non, pour lui c’était normal de chanter dans sa langue. C’est un fan de Gainsbourg.” Fred : “Il aime bien les sonorités de la langue française. Il existe de bonnes tentatives de rock chanté en français, mais ça reste rare et on en a vite fait le tour. Les deux ou trois premiers 45T de Dutronc par exemple, Gainsbourg, les Nino Ferrer les plus soul. Mais nous n’appartenons pas à ce que l’on appelle le rock français : Noir Désir et ses enfants, Deportivo, Eiffel…”

La Bikini Machine n’endoctrine pas, elle conditionne plutôt à “vivre sans temps mort et jouir sans entrave.” Des situationnistes : “Effectivement plus situationnistes qu’altermondialistes, nous ne sommes pas à même de donner des leçons de morale, nous avons beaucoup trop d’autodérision et de “déconne” pour ça. Les petits hold-up nous conviennent beaucoup plus qu’une mise en perspective des tenants et des aboutissants de la société… Foutre le bordel ne nous déplaît pas, mais pas de manière convenue.” Le bonus track J’aime pas traduit bien cet état d’esprit, extraits choisis : “J’aime pas les activistes, les gens bien comme il faut […] Je veux juste Apollinaire et des bandes-dessinées, entendre chanter Joe Strummer et aller au ciné […] J’aime pas les slogans politiques […] Pourrions-nous nous donner la peine de ne pas être endoctrinés ? Dansons dans les rues chaque semaine juste pour expérimenter […] C’est une question de goût, du reste je m’en fous.”

Vincent Michaud
Photo: Pierre Wetzel

“The full album” – Platinum Records

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