Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Katerine


Badin, parfois (boni)menteur, Katerine manie les pirouettes ironiques avec une aisance gracieuse. Aussi fascinant que ses chansons, il nous offre un regard acéré sur la vie et peut fendre l’armure au détour d’une phrase… Il est fort ce Katerine et c’est pour ça qu’on l’aime.

On s’interroge. On lui peinturlure le corps, on le met en scène dans un DVD, Gros Cube reprend ses premiers morceaux en mode jazz. Ce type est si singulier que tout le monde a envie de jouer avec lui comme avec une poupée Barbie, à commencer par les photographes. Tout ce(ux) qui touche(nt) Philippe Katerine devien(nen)t du Katerine : “Katerine, c’est eux aussi, explique-t-il. Mes amis, font partie de moi, influencent ce que je fais et donc, deviennent moi. Je suis une éponge, j’absorbe, je digère, je transforme tout, parfois inconsciemment.” Il le chante même sur le fameux “Louxor” : “Prenez-moi / faites de moi n’importe quoi / pendez-moi la tête en bas / comme la dernière fois.” Sa vision est aussi celle des gens avec qui il travaille. Et jouer les Aimé Jacquet ou les Jim Phelps de “Mission impossible”, c’est son dada. Une fois sa team complétée, il n’a plus qu’à s’abandonner : “Pour le meilleur et pour le pire. J’aime m’abandonner dans les bras d’un autre. Mais il faut bien choisir son bourreau.” Katerine se retrouve ainsi à la tête d’un collectif créatif qui parle en son nom. Dans la tête des gens (dont nous), tout ça c’est du Katerine : “Nous avons un esprit commun dans lequel j’ai beaucoup puisé.”

Il puise aussi dans l’air du temps. “Robots après tout” colle intimement à l’époque, faisant écho à notre frustration face à la modernité. Le style est très visuel. Katerine manie le stylo caméra, comme on dit dans les écoles de journalisme. Il observe, glane et récolte des saynètes, mais ce n’est pas lui qui invente ces travers, c’est nous ! Lui ne dit pas “trop cool”, “cheesy” ou “bordeline”… Alors, on se reconnaît dans ses chansons ; de là naît le succès. Mais comment gérer un succès aussi énorme ? “Quand je suis déprimé, ça me fait un bien fou que les gens me disent “J’adoooore” dans la rue.” Sacré changement : il y a une dizaine d’année, quand les gens lui chantaient “Je suis dans la merde et je vous emmerde”, il se disait “gêné”, presque honteux. Aujourd’hui, il assume : “C’est un peu comme quand on va à la piscine la première fois, on est gêné d’être en maillot, l’eau est froide… La deuxième fois, ça va mieux. Et après on aime bien.”

Le disque électro et la tournée toutes guitares dehors sont difficiles, originaux et abrasifs ; et pourtant, le disque est d’or et les salles combles. Une analyse ? “Ce succès s’est construit petit à petit et beaucoup par la scène. Mais il y a une phrase que je déteste dans le milieu que je fréquente c’est : “Les gens ne vont pas comprendre”. C’est atroce, je ne veux pas niveler par le bas. Les gens comprennent tout. Comme vous, comme moi. On comprend tout, mais pas de la même façon. Les idées de ce disque sont devenues plus compréhensibles et plus abouties grâce à la production de Gonzales et Renaud Letang.”

Ce travail de collaboration-abandon a été une révélation. Cette tournée est devenue, au fur et à mesure, du grand n’importe quoi que “les gens” se sont appropriés. C’est bordélique, empirique, mais cohérent. Bref, c’est du Katerine. Il s’en tire par une pirouette : “Les costumes, c’est purement pratique. Quand tu chantes en civil, tes fringues sentent la sueur et sont immettables. Alors j’ai testé d’autres choses : des paillettes, de la peinture sur corps, une tenue de footballeur américain ou des robes. Et puis, quand on tourne avec des amis, on se sent invincibles, on est en confiance.” Toute la troupe prend goût aux délires. Les ex-Little Rabbits (alias “la secte humaine”) n’y sont pas étrangers. C’est d’ailleurs Gaëtan Châtaigner, le bassiste du groupe, qui a laissé traîner ses caméras partout, sur scène, en coulisse et qui a mélangé tout ça à des saynètes surréalistes pour créer le DVD “Borderlive”. Le résultat ? Un road movie musical un peu foutraque, à la fois film et bonus en même temps. Encore du Katerine : “Je me retrouve bien dans ce DVD, comme Gaëtan se retrouve chez moi. C’est logique. Etre intégré dans un groupe génère plus d’excitation. On est plus fort.” Lors de cette tournée rock extravagante, une furie sonique a tout emporté sur son passage et a aussi changé le chanteur. De ces restes d’incendie, la troupe a voulu garder une trace : un CD live s’imposait à côté du DVD. Ce sera “Robots après tout” joué dans les conditions du live… mais réenregistré en studio ! “Je n’aime pas les disques live, en général. L’idée était de retourner “Robots” comme un gant. L’humain prenait sa revanche. On enlève les uniformes et on joue sur un tempo qui n’est pas celui d’une machine, mais celui d’un être humain.” On enlève les uniformes et on change les perruques ! La démarche est exactement la même pour la sortie de “Doublez votre mémoire”, aux éditions Denoël. L’obsédé textuel et capillaire a acheté un livre vierge et l’a rempli pendant sa tournée. C’est un peu le cahier de texte d’une écolière… enfin, dans la démarche. “J’ai fait ce livre comme un journal, avec des collages. C’est un parcours mental, lié à mon histoire, je voyais que j’étais en train de me métamorphoser. Il y a des rêves, des hallucinations, des récits d’enfance, de tournée…” Comme dans un film de David Lynch : on est dans un labyrinthe, mais tout est relié. Et la fin ? “Un luxe inouï… la fin était décidée d’avance : il n’y avait plus de pages !” Heureusement pour nous, le “grand livre” de Katerine compte encore beaucoup de chapitres. Et la suite de ses aventures risque d’être encore radicalement différente de ce que l’on connaît. C’est cela, la Superstar attitude !

Eric Nahon

Photo: Thomas Beihuret

ARTICLES SIMILAIRES